Musicien libertaire, participe largement aux “Allumés du Jazz”, Batteur libre, compositeur, arrangeur. A beaucoup travaillé sur Lyon avant de venir s’installer dans la campagne près d’Angoulème où il organise un Festival festif à Trois-Palis depuis 2 ans. Ses derniers travaux sur les œuvres de Robert Wyatt puis de Carla Bley et enfin un splendide duo avec le guitariste Alain Blessing ont été largement commentés dans nos colonnes. Il a bien voulu répondre à quelques questions :

© Photo Irène Piarou

Comment se passent tes journées (instrumentales surtout) : jouer, travailler, contacts avec d’autres musiciens…?
Honnêtement je suis plus préoccupé de ce que nous vivons, qui est tout à fait exceptionnel, que par tout ce qui touche à ma pratique instrumentale, une préoccupation qui me semble à ce jour assez décalée.Beaucoup semblent réagir comme si rien ne sera différent après la pandémie, sans se poser de questions ni sur leurs pratiques, ni sur leurs rapports au public, à l’institution, etc…Pas envie de “jouer”, dans tous les sens du terme, mais très forte envie d’en profiter pour travailler collectivement à stopper une machine idéologique entrepreneuriale prônant une compétition à outrance, sortir d’une gouvernance de comptables, dont j’espère que cette pandémie aura enfin démontré l’inanité ! Il faut comprendre que cette seule logique du marché en matière de culture en général, de musique en particulier a gagné le ministère et certaines collectivités territoriales, excluant de fait tout ce qui ne rentre pas dans ce moule, pourtant là où à mon avis se trouve l’essentiel de la création artistique. Alors bien entendu je continue également à échanger avec mes amis-es musiciens-nes, à m’occuper des disques que j’ai enregistrés dont un est sorti récemment, à réfléchir à des idées…Mais pour quelqu’un qui travaille depuis quelques années à “désapprendre” la technique instrumentale pour se concentrer sur l’essentiel, à savoir en ce qui me concerne comment transmettre des émotions et des sensations en étant le plus suggestif possible en triturant les notions de temps (étiré, arrêté, suspendu, suggéré, perdu…) cette période s’y prête bien !Mon implication aux Allumés du Jazz me rend également beaucoup de temps, en ces temps troublés beaucoup est à faire. 
Qu’écoutes-tu ? 
“You must believe in spring” par Bill Evans, toutes les versions de “Silence” de Charlie Haden, mais aussi beaucoup de musiques du monde entier, avec une préférence pour les musiques d’Iran, les musiques minimalistes d’Arvo Pärt, Phil Glass et John Adams… sans oublier le dernier album de David Bowie qui comprend une autre version du morceau “Sue —Or In A Season Of Crime” qu’il avait enregistré avec l’orchestre de Maria Schneider et qui est pour moi une sorte d’absolu.
Des projets, des envies ? 
Une furieuse envie de changer le monde !
Le festival Trois-Palis 2020 annulé ?
Pour un petit festival sans trésorerie (si les deux premières éditions se sont équilibrées, nous avons sérieusement entamé le petit capital qui nous avait permis de tenir les budgets), il n’est pas envisageable d’annuler au dernier moment.Mais ce n’est pas la seule raison, étant musicien moi-même je me refuse à en engager sur un projet sans être certain de l’amener au bout, question de confiance et d’honnêteté vis à vis de mes pairs, mais aussi vis à vis des partenaires, bénévoles et du public. Maintenant quelle est la somme des raisons qui fait que l’on en arrive à annuler un festival qui aurait dû se passer mi-septembre ?Il faut rappeler qu’un festival, pas plus qu’un concert, ne peuvent se faire sans aides, la billetterie ne suffit pas, loin de là, à payer les artistes, leurs cotisations sociales, leurs déplacements, leur hébergement, leurs repas, les frais de communication (affiches, flyers, pubs…), les locations diverses et… la Sacem qui les deux éditions précédentes nous à réclamé plus de 10 % du budget global ! (Ce qui pour un si petit festival est gigantesque) Ces (petites) aides proviennent à la fois de collectivités territoriales — pour ce qui nous concerne en 2019 le Grand Angoulême, le département Charente et la Mairie de Trois Palis (refus de la Région Nouvelle Aquitaine qui nous a affirmé “avoir d’autres priorités” — sic) — et les Sociétés Civiles : La Spedidam en 2019. Je ne les remercierais jamais assez de nous avoir fait confiance en nous accordant ces aides dés les premières éditions, très modestes en terme de budget, mais ambitieuses en matière de programmation.Nous avons également bénéficié d’un sérieux coup de pouce des Allumés du Jazz et du soutien du Service d’Art et Histoire du GrandAngoulême (qui intervient lors des Journées Européennes du Patrimoine)Le label discographique IMR et e réseau imuZZic ont également mis la main au panier pour amorcer la pompe.Pour 2020 la programmation était faite, nous avions institué un partenariat avec Gérad Fauvin pour un piano demi queue et un autre avec le Conservatoire pour un stage “remix” avec Xavier Garcia (ARFI).Ce stage est maintenu, mais sera sans doute décalé dans le temps.Compte tenu de la situation sanitaire et si nous avons bien monté les dossiers de demandes de subventions auprès des collectivités territoriales, il nous a été impossible de savoir à temps si elles aboutiraient.Du côté de la Spedidam, les commissions d’attribution des aides ont d’abord été suspendues puis reportées à des dates beaucoup trop tardives pour que l’on puisse sereinement voir venir. En plus une grosse partie des aides qui sont allouées aux festivals, entre autres, ont été “transférées” au nouveau Centre National de la Musique (CNM) ! Cette nouvelle usine à gaz mise en place par le ministre pour satisfaire “l’industrie culturelle et de divertissement” qui ne semble pas du tout se préoccuper des “petits” festivals, trop occupé qu’il est à défendre les intérêts de ces grosses machines. Ces sommes ne seront pas allouées aux organisateurs “occasionnels” (dont ce n’est pas l’activité principale toute l’année) qui donc se retrouvent exclues des dispositifs… Le message est on en peut plus clair.Le flou total, les contradictions, le manque d’informations crédibles sur cette pandémie de la part de nos gouvernants (que tout le monde à pu constater !) ne nous ont pas aidés non plus à prendre des décisions.Ce festival est basé sur la proximité, la convivialité, les musiciens sont tous hébergés et nourris dans un même lieu. Autant de facteurs de risques si la pandémie est encore active en cette fin d’été ou si elle revient à cette période.Je ne peux prendre aucun risque ni avec les musiciens-nes ni avec le public. D’autant qu’il s’agît de petites salles où il est impossible de mettre les spectateurs à distance raisonnable. Et puis je me vois mal organiser un festival avec des musicens-nes qui portent des masques (impossible pour les soufflants !) et un public masqué et dispersé…Il fallait également être certains que les musicien-nes puissent se déplacer puisqu’ils viennent d’un peu partout…Bref l’ensemble de ces raisons ont fait que j’ai trouvé plus prudent d’annuler le festival sous sa forme actuelle de 3 jours avec des concerts, en laissant ouverte une possibilité d’organiser quelque chose de plus réduit (peut-être un seul soir) au cours de l’automne dans le cas où il s’avérerait finalement possible de la faire sans risques ni sanitaires ni financiers.
Mais, surtout, nous allons dès maintenant nous atteler à préparer une édition 2021 à la hauteur de l’événement !

Par Alain Flèche, photos Irène Piarou