Jeudi 29 juin 2023 – 20h30
Saïma Quartet
Abdelbari Fannush, saxophone
Baptiste Gilbert, guitare
Antoine Morera, contrebasse
Thomas Le Galo, batterie
Dès les premiers accords, Blues, c’est un velouté qui nous est proposé là de facture classique avec l’énergie enrobante de la jeunesse. Le sax d’Abdelbari Fannush tient la rampe, et elle s’éclaire !… soutenu par de vigoureux compères bien déterminés à envoyer le tempo dans les cordes ! La guitare de Baptiste Gilbert et la contrebasse d’Antoine Morera incrustent leur jeu dans l’espace de cette grange bienveillante et les bottes de paille se mettent à bouger, croyez-moi !
Ils creusent, comme on aime, le jazz qui est fait pour ça…
Sacrée guitare qui groove en pizzicatant, ben si c’est possible, et c’est bon, les bottes se tassent un peu, devant ce tissu richement brodé tant en profondeur qu’en relief ; Coltrane rôde. Le sax lui répond dans un langage plus aérien, ça grimpe aussi le jazz et ça aime jazzer et c’est ce qu’on entend là, une jubilation, certes méticuleuse, mais généreuse en même temps, allant chercher dans les recoins de la rythmique tout ce qu’elle peut apporter. La batterie a bien accroché l’ouvrage alors la contrebasse préfère l’épure et récupère le tempo.
Jolie ballade pour un Mirage de Thomas Le Galo, aux volutes bleutées – on a le droit ?- disons vapeurs d’eau qui se déplaceraient lentement et dont le quartet nous ferait suivre les douces méandres. Le grain du sax les engage à une superbe lascivité. Ça n’est pas la chaleur qui nous fait fondre… Même si on est amateur d’insurrection, on aime se délecter ainsi, savourer chaque note, longer le cri de chaque son du sax, les pincements harmonieux de la guitare, les caresses de la contrebasse et les frôlements de la batterie.
Pour Swift, la cadence est soutenue pour nous remettre de nos émotions, puis la contrebasse pousse son chant encouragée par la voix de son interprète. Le tempo entraînant, avec la batterie en chef de file, conduit le sax vers la libération de sa vélocité, sans excès juste pour qu’on apprécie les sons continus quand ils s’y glissent.
Nous voilà à dos de cheval, Schner, composition de Baptiste, petit trot surtout, juste pour profiter des paysages musicaux, collines, reliefs abrupts, dégradés de lumière sur les forêts de résineux… Evidemment, le chemin serpente, la guitare se risque sur des pentes aux herbes hautes ondoyantes, parfois glissantes : vous les voyez les accords vivre.
Steady est une musique plus aquatique aux tourbillons capricieux au gré des courants plus ou moins forts, ça finit par grouiller, bien appuyé par la batterie de Thomas. la guitare retient quelques algues longuement et les enroule sur elles-mêmes, pas de dextérité gratuite. Des cailloux ricochent de l’un vers l’autre pour finir.
Les deux guitares – Pierre Perchaud est monté sur scène – ont mis de l’effet pour dialoguer ensemble, renforcer des accents plus exotiques. Elles se cherchent, et c’est un délice d’entendre la proposition de chacun. Pierre a pris la main et nous embarque tous où, je ne sais pas, mais loin c’est sûr, magie de l’impro maîtrisée c’est certain. Hasmina, de l’espoir !
Pour finir, Bloom d’Abdelbari, swing tranquille, les quatre parallèles. La contrebasse reprend sa belle voix gémissante, sensible, appelant le sax à livrer sa plus forte plainte afin qu’ils célèbrent tous ce que les instruments renvoient quand on les révèle ainsi !
Jeudi 29 juin 2023 – 22h
Eric Séva, Daniel Zimmermann
Eric Séva, saxophone baryton
Daniel Zimmermann, trombone
Eric Séva et Daniel Zimmermann mêlent d’emblée le souffle de leurs instruments à la musique d’Astor Piazzolla, la décomposant lentement, la remplissant d’air pour en dessiner les contours ; le ralenti en dégage les aspérités, les arabesques, courbes et angles aussi, sautillements, échappées, fantaisies, tournoiement : une chorégraphie musicale Oblivion… Le trombone prolonge la gestuelle dans les airs, et les deux aspirent le morceau pour en restituer l’âme ou le mystère.
Comment mettre en musique un village bien-aimé ? Accorder sax et trombone, en trouver la légèreté, y ajouter de la lumière, petites notes courtes et joyeuses, comme une nouvelle de quelques pages -faut quand même raconter la pierre chaleureuse, les petites rues au tracé hésitant- point de rigidité, de rectitude ici, des parfums de Pyrénées-Orientales, l’esprit sautillant sans pensée autre que la contemplation de la simplicité, de la présence de constructions modeste aux poutres apparentes : Luz d’Eus.
Pour en entrer en Méditation profonde (DanielZimmermann), il faut un trombone bouché, un sax pratiquement en respiration circulaire pour étendre les sons, les entendre résonner et créer un espace mental, une pensée libre de vagabonder. Ils repartent à notes menues, comme un retour vers le sol tout aussi accueillant.
Délicieux jazz, hommage à la liberté, et à la vie cocasse à traverser. Trombone et sax trouvent les accents comiques de joyeux lurons, à l’anarchie débridée. Partant de la musique de Stéphane Grappelli pour le film Les Valseuses, les deux musiciens traduisent la fantaisie de la vision d’une époque révolue. On se souvient bien de la gouaille des deux personnages…
Les deux découpent Libertango d’Astor Piazzolla et, comme pour le premier morceau, démantèlent et ré-imbriquent la mélodie, et paradoxalement la rendent encore plus dansante et plus virtuelle aussi. Figures impossibles, un peu folles, décodant les codes du tango. C’est une sorte de ballade de fond de temps ou de fond de verre ? comme un souvenir fatigué remonte à la mémoire, en appelle d’autres, moment faussement paisible à l’inquiétude discrètement tapie dans les recoins de la Place Duodurum (Eric Séva). Entrelacement charmant du trombone et du sax, exhausteurs de goûts…
Caravan a pris les ondulations et les turbulences des deux musiciens, un Tex Avery musical bien enjoyant ! Indifférence, que dire de ce blues dansant aux vapeurs du passé rajeuni par hommage grâce à ces deux dérouteurs de leurs instruments, musiciens trublions, où la blague musicale est le meilleur crédit du sérieux.
Vendredi 30 juin 2023 – 19 h
L’Orphéon MéléHouatts
Le plaisir de la musique, et partant du jazz, c’est pour tous les âges. Alors une vingtaine de musiciens, de l’école départementale de musique jusqu’aux amateurs du Sud-Charente s’accordent admirablement pour partager ce moment avec le public attentif.
Bourrées, musiques de fanfare, musiques traditionnelles, quelle énergie précautionneuse pour nous réjouir ! Les morceaux impeccablement rythmés remplissent la grange et chatouillent avec délice nos oreilles.
De tempos enlevés en douce berceuse, sax, piano, clavier, flûte traversière, guitare, trombone et autre batterie, et j’en passe… donnent la juste tonalité orchestrée par Adrien Mercier.
Sacrés artistes attachés à la vie associative…
Vendredi 30 juin 2023 – 20h30
Christian Escoudé – Unit 5
Christian Escoudé, guitare
Sophie Alour, saxophone
Ludivine Issambourg, flûte
Antoine Hervier, orgue
Simon Goubert, batterie
La mise en bouche vient de Simon Goubert et Antoine Hervier pour accueillir Christian Escoudé, casquette new-yorkaise rouge comme sa chemise, nerveux et sûr. La batterie s’envole tout de suite, tempo quand tu nous tiens, il faut en découdre avec un jeu volontaire, puissant. Ça vibrionne avec un orgue lui aussi déchaîné, Ungaria de Django Reinhard…
C’est une musique faite pour remplir immédiatement le volume du lieu, le sax et la flûte dépassent le plafond, le quintet déborde ainsi les frontières. La flûte de Ludivine Issambourg est puissante -corps compris- impertinente, oxymore heureux pour une traversière, déstabilisante comme on aime. La batterie du pyrotechnicien danseur Simon Goubert sera tout du long un feu d’artifice aux explosions subtiles, et finement colorées. Antoine Hervier surfe sur son orgue, pas d’autres verbes en tête.
La cavalcade continue, on hésite entre patinage artistique aux figures gracieuses et train qu’il faut vite prendre, toutes fenêtres ouvertes, l’esprit volant au vent de la musique.
Comme nous le dit Christian Escoudé, quelques notes de Paul Desmond font poésie. Ainsi, guitare et flûte jouant de même se rejoignent en une seule voix, suivies par Sophie Alour qui a pris sa flûte aussi ; l’écho du peu laisse la place à l’imaginaire, secret de l’épure faut-il en être capable. On tenterait un slow -un truc où on s’enlaçait voluptueusement-, tendre ralenti des gestes, douces coulées des sensations, peut-être bien des sentiments si l’on écoute la flûte de Ludivine.
Cinq musiciens sur un chemin cahotant avancent avec entrain quand, par moments, ils engagent une valse désaccordée qu’ils lâchent à nouveau, etc. Musique de l’instant, légère, au moins en apparence. Sophie Alour aux doigts si fins qu’on croirait qu’ils vont se tordre les glisse finement sur son sax… La batterie a des sursauts d’étalon. Duo tendre entre la guitare et le son délicat de Sophie pour entendre les caresses du sax.
Christian Escoudé reprend en medley des chansons françaises du film Le Bal d’Ettore Scola : « J’attendrai » ton retour, « Et maintenant » que vais-je faire, son « Joue contre joue » s’enroulent dans le bal du musicien.
Simon Goubert, acrobate de la batterie lance un solo vigoureux et tout de même aérien pour appeler ses comparses à lancer un rythme endiablé, Christian Escoudé en tête, puis le sax non moins volubile. Ça swing ferme. Il suffit d’acquiescer et c’est parti ! ils sont tous au taquet pour cette ronde endiablée.
Vendredi 30 juin 2023 – 22h
Azawan
Khiredine Kati, mandole, banjo
Martin Guerpin, saxophone soprano
Julien Lallier, piano
Martin Berauer, contrebasse, basse électrique
Karim Ziad, batterie
Aux premières notes, l’envoûtement est garanti, le transport aussi. Mandole et saxophone soprano par leurs sons en dentelle et leur approche délicate du monde sensible nous ont élevés. Le piano en joue de même et s’incruste ainsi créant avec la contrebasse et la batterie suaves un univers hybride où le mariage des genres fait liberté : on en douterait ?… C’est pourtant notre porte de sortie par l’inattendu, le mixte, l’inconnu reçu, exploré. Au bout, la richesse. La musique populaire chaâbi des années 30 fait ainsi bon ménage avec le jazz. Vous regardez autour de vous, et vous voyez la terre et le ciel et ça vous donne espoir, encore. Le sax soprano ainsi traité révèle sinuosités, fines courbes, une maille savante. Les instruments frémissent.
Le sax nous raconte sa plainte, toujours nuancé, raffiné, aux atténuations stylées. Affiner ainsi notre oreille, rendre plus audibles nos perceptions du monde, nous ne saurions nous en plaindre.
Enchantement, vous dis-je… Cette composition de Martin Guerpin est un long fil ténu d’une partition infinie, sommes-nous mortels ? La mandole de Khiredine Kati tout aussi fine poursuit l’ouvrage avant que la contrebasse de Martin Berauer ne revienne vers le jazz, même si, ici, point de cloisons.
Avec cette musique populaire chaâbi du fond des temps, semble-t-il, la mandole nous embarque, suivie des quatre autres musiciens. On pense à des mouvements imperceptibles du corps qui célébreraient une sensualité discrète et joyeuse comme un hymne à la vie. Faites avancer doucement la hanche, là sous la taille à deux pas du bonheur.
Ce qui est aussi remarquable, c’est que les instruments habituellement dédiés au jazz (certes au classique aussi) se plient à cette rythmique à la fois païenne et spirituelle, à la précaution du détail évoquée par chaque note si proche de la suivante, si différente et si identique, halètements construits.
Même si l’entrée en Angoisse par le piano de Julien Lallier descend dans les abysses, le tempo lui redonne fierté, et s’il faut en découdre avec elle, c’est avec ténacité. Le sax la décompose bien sûr, veut l’apprivoiser, la révèle, la soulève, la contourne, l’expurge… vite accompagné par une batterie rebelle. Quelle belle angoisse !
Et quels sourires !
Par Anne Maurellet, photos Frédéric Boudou
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