Régis Huby large EnsembleThe Ellipse

[ÉVÈNEMENT] Quand on emprunte des chemins de traverse, à la recherche de musiques qui sortent un peu du lot, pour lesquelles « expérimentation » n’est pas un gros mot, il n’est pas rare de croiser le nom de Régis Huby, mentionné dans des programmations, des articles ou au dos de quelque pochette de disque énigmatique. C’est normal car, à la fois violoniste, improvisateur et compositeur, il est très actif en ce domaine et, depuis de nombreuses années, associé à des projets décloisonnés, où le désir de liberté créative fait se côtoyer musiques classique, jazz, électronique et même contemporaine, voire chambriste.

Ainsi, des collaborations se sont construites puis enrichies, des amitiés ont été nouées, comme avec Guillaume Roy avec lequel il fondera le Quatuor IXI, ou encore au sein de Codex III, un trio un réunissant Bruno Chevillon et Michele Rabbia. Servies par d’admirables talents, beauté, pureté inouïe mais aussi étrangeté sont au rendez-vous et interpellent les oreilles curieuses de l’ailleurs. Nous fument également enchantés par trois magnifiques galettes qui virent sa participation, ainsi que, pour la 2ème et la 3ème, celles en plus de camarades, la plupart de longue date, que nous retrouvons sur « The Ellipse », des œuvres remarquables dont nous ne résistons pas au plaisir de publier plus bas les pochettes : « Gaber Io E Le Cose » de Maria Laura Baccarini, magnifique hommage à Giorgio Gaber et Sandro Luporini, « Need Eden » de Acoustic Lousadzak Claude Tchamitchian Tentet et enfin « L’ogre intact » du Pierrick Hardy Acoustic Quartet.

Les vives émotions vécues lors de ces découvertes pouvaient certes nous préparer à celles que « The Ellipse » allait déclencher, mais la puissance de ce Large Ensemble, composé de 15 membres, réuni et ainsi nommé « en référence à Steve Reich dans sa pièce « Music for 18 musicians » nous catapulte en un tout autre univers, tant les trois pièces proposées, « Mvt I », « Mvt II » et « Mvt III » sont chacune porteuses d’une complexité évocatrice tourbillonnante, et nous poussent irrésistiblement à nous élever, comme une tête hissée hors des eaux tumultueuses, pour voir plus loin ce qui nous attend et ne point sombrer dans les flots.

Le premier mouvement est introduit par les notes cristallines du vibraphone d’Illya Amar, nouveau venu dans l’équipe, tout comme Joce Mienniel dont la flute propose assez vite un intermède coloré, au rythme répétitif « reichien » qui venait alors de s’instaurer. Le temps de quelques battements d’ailes fragiles que le flow reprend de plus belle, en des échanges variés, où divers climats se succèdent, chacun s’exprimant clairement, grâce à une netteté sonore délicate, les unicités réunies construisant de note en note un ensemble rayonnant, avec même parfois de petites scories électroniques qui pigmentent l’atmosphère.

Sans presque d’interruption, le vibraphone et la guitare acoustique viennent alors nous présenter le deuxième mouvement, d’une poésie légère, comme une halte au cœur d’une fraîche clairière, avant que ne reprenne la course effrénée de l’ensemble, l’occasion de belles envolées des soufflants, notamment de trombone et de flûte, la courte pièce, d’une énergie concentrée, se concluant dans une sérénité à peu près retrouvée.

Probablement le plus contemporain, ou expérimental, comme on voudra, le troisième mouvement est de toutes parts le théâtre de multiples explosions, les cordes s’en donnent à cœur joie, les clarinettes, mais aussi la guitare électrique qui y va d’accords biaisés tentant de faire perdre l’équilibre. Au 2/3 du développement, voici un genre de mini « big bang » bruitiste qui ouvre la voie à d’autres horizons, une sorte de mutinerie sonore, un faisceau de voix libertaires qui proposent écoute profonde, calme et réflexion et demandent à ce que d’autres bruits soient adoptés, pour mieux écrire la suite de l’histoire. Le pouls répétitif revient alors tel un feu d’artifice, une procession décidée, têtes hautes, vers une fête finale.

Tout au long de cet album, nous avons eu l’impression d’assister à un film en trois actes où des bouts de vie intense ont été assemblés, comme un puzzle vital, le résumé d’un voyage de plus de trente ans. Les forces océaniques, dans leurs multitudes d’humeurs, suggérées lors de sa présentation par Régis Huby sont très présentes dans ce disque, de même que les « figures circulaires » qu’évoque « The Ellipse ». Grâce à une écriture de haut vol et à une direction visionnaire, les magnifiques individualités de ce Large Ensemble, aux jeux riches et captivants si finement saisis, sont alignées comme de vibrantes planètes, aux lueurs infinies.

Il n’est enfin pas interdit de supposer que le triptyque coloré de l’intérieur de la pochette décrit visuellement cette musique qui créé des images. Osons dire que la partie gauche du tryptique, c’est le Mvt I, impression répétitive, rythmique multicolore aux influx ordonnés, les fondations du style, la partie centrale c’est le Mvt II, le temps du frémissement et du questionnement, et la partie gauche, le Mvt III, la montée en tension, l’explosion, la libération et le chemin de tous les possibles à encore parcourir qui s’ouvre, celui dont les doigts de Régis Huby nous montrent la direction !

Par Dom Imonk

Veuillez trouver ci-dessous le lien qui vous permettra d’écouter et d’acheter le disque :

https://regishuby.bandcamp.com/album/the-ellipse

Abalone/L’Autre Distribution

Régis Huby – violon & composition
Guillaume Roy – violon alto
Marion Martineau – violoncelle, viole de gambe
Olivier Benoit – guitare électrique
Pierrick Hardy – guitare acoustique
Joce Mienniel – flute
Jean-Marc Larché – saxophone soprano
Catherine Delaunay – clarinette
Pierre François Roussillon – clarinette basse
Matthias Mahler – trombone
Illya Amar – vibraphone, marimba
Bruno Angelini – piano, fender rhodes, nova bass
Claude Tchamitchian et Guillaume Seguron – contrebasses
Michele Rabbia – batterie, percussion, electronique

Enregistré à Sextan Studio par Arthur Gouret (Juillet 2022)
Mixé par Sylvain Thevenard (Décembre 2022)
Mastering par Marwan Danoun (Janvier 2023)

Artwork Cover – Cyrielle Gava
Photos – Jérôme Prébois

Direction artistique par Régis Huby
Produit par Abalone

Chez Abalone/L’Autre Distribution
Chez Émouvance/Absilone
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