Colors

Vous dire que vous allez en entendre de toutes les couleurs avec ce nouveau projet de Pierre Bertrand intitulé Colors, serait vrai, mais un peu facile. Alors, élevons un peu le débat.

Newton, dans son ouvrage Opticks (1704) s’était efforcé d’établir une analogie entre les couleurs et les sept notes de la gamme diatonique (do, ré, mi, fa, sol, la, si). Le physicien fondait cette homologie sur les largeurs des bandes colorées que produit la décomposition de la lumière blanche du soleil par un prisme : il les mettait en correspondance avec la longueur des cordes vibrantes capables d’émettre les notes de la gamme.

Bon, j’ai peut-être un peu trop forcé là ! Alors, revenons au niveau des sensations que nous propose Pierre Bertrand. Colors c’est d’abord un très bel objet qui mêle peinture et musique. Les 8 compositions du CD sont autant d’illustrations sonores de 8 tableaux peints par Jean-Antoine Hierro (issus de sa série Hidden words), sortes de vortex multicolores intégrant des calligraphies qui titrent l’œuvre et qui évoquent à la fois le travail d’un graffeur, d’une enluminure arabe ou d’un knotwork irlandais. Cette apparente complexité n’est pas du tout le sentiment qu’inspire le propos musical.

Compositeur, arrangeur et bien plus, Pierre Bertrand est d’abord saxophoniste et flûtiste. Son CV qui fait pâlir, débute en 1998 lorsqu’il fonde et dirige le Paris Jazz Big Band avec Nicolas Folmer et pour lequel il met en lumière ses talents d’écriture et d’arrangeur « grand format ». Plus récemment, en créant le groupe Caja Negra en 2009 (et un premier album éponyme), puis avec les albums Joy en 2016 (Victoire de la musique) et Far East Suite en 2018, Pierre réduit le format et épure aussi son trait. C’est la première fois qu’il « limite » son inspiration au format quintette acoustique, en compagnie d’Anders Bergcrantz à la trompette, de Pierre-Alain Goualch au piano (et un peu de Fender Rhodes), de Christophe Wallemme à la contrebasse et de Laurent Robin à la batterie. Une sélection de musiciens d’exception qu’il est inutile de présenter et avec lesquels il n’avait pas encore saisi l’occasion de s’exprimer.

A l’instar de la Victoire 2017, qu’il obtient dans la catégorie « inclassable » pour l’album Joy, Colors propose à la fois un habillage jazz très conventionnel et des idées musicales hors de tout formalisme. Ce mélange n’est jamais criard ni excessif, mais ne laisse pas non plus indifférent. A l’image des 3 couleurs primaires qui se mélangent à l’infini pour offrir des bouquets d’émotions eux aussi infinis, Pierre Bertrand panachage les 7 sons de la gamme avec les 4 temps du tempo et nous enchante ou nous étonne note après note.

Mention spéciale pour la dernière plage « Looking for eternity » qui semble réussir l’alchimie du son devenant lumière. En résumé, j’ai aimé ces vibrations sensorielles multiples, ces ondes hertziennes colorées. Merci Monsieur Bertrand.

Vince

Cristal Records