A Night in November

VALID RECORDS VR-1015

par Alain Flèche

Le KIDD, c’est pas un bébé. 85 ans aux fraises ! Et il ne les sucre toujours pas ! En pleine forme le copain, et il le prouve ! Vieux pote de Fred Anderson (AACM), dont l’ombre semble planer sur cette séance. Il est de NOLA, ses multiples séances avec nombre musiciens chicagoans ou new-yorkais nous le ferais oublier. Ce qui ne l’empêche pas d’être très actif sur son territoire d’origine : concerts, enregistrements (une douzaine sous son nom), cours de jazz… Il s’est déjà frotté à cet exercice (sax/batterie), comme bien d’autres, avec Andrew Cyrille en « 98. Là c’est avec le grand Hamid Drake (ancien interlocuteur privilégié de Fred Anderson) qu’il re-explore la formule. Contexte : studio avec public, mais ce genre de musique est-il concevable sans public ?! (on connait le role important des spectateurs dans l’exécution de la musique, spécialement lorsqu’elle est totalement improvisée, et pour autant que les acteurs-compositeurs-interprètes ne se suffisent d’autosatisfaction !).
De l’ordre de ces grands questionnements, nous nous rappellons le thème de la réunion dernière des « Allumés du Jazz » : justifications de l’enregistrement et difficultés du commentaire. Concernant la musique Improvisée, la participation du public est essentielle à l’énergie qui va permettre aux sentiments et émotions de naitre, s’exprimer et de se partager en dépassant le cercle des auteurs du son. Mais comment rendre compte des qualités et intensités de celle-ci, jouée, à l’origine, pour être vécu dans l’instant de sa diffusion, moment évidemment éphémère conséquent à l’imatérielisation de la vibration sonore (hors support) ?! Alors, on peut toujours parler des musiciens, leur vie, leur œuvre, leur(s) technique(s)…, mais Quid de la rencontre, du moment ? En outre, il s’agit, dans ce genre d’expression, avant tout, d’échange spontané, entre 2 ou plusieurs individus, avec leurs caractères propres, leurs parcours particuliers, colorés de leur vécu immédiat avec joies ou problèmes de l’heure… Au point qu’il n’y à, par définition, pas de « répétition » préparant l’acte d’improviser ensemble, mais juste, et surtout, une rencontre, un échange entre êtres humains qui se connaissent peu, prou, ou pas du tout. Plutôt qu’un test musical pour s’aborder, ce sera un morceau de temps, de vie mis en commun : un bout de journée à discuter, échanger, manger-boire, rire ou pleurer, à Vivre ! Après, on le sait, il ne suffit de mettre quelques talents ensemble pour s’assurer du résultat. Ils peuvent s’ajouter, se démultiplier… ou se vampiriser, s’annuler. Rien n’est jamais joué avant la 1ère note, jusqu’à la dernière ! C’est toute une cuisine, une alchimie, une magie. Enfin, reste à écouter pour en juger (encore une drôle de prétention), et essayer de partager les impressions, le ressenti éprouvé lors de cette écoute. Un art, un challenge… une gajure.
A propos de cet enregistrement puisque nous avons la chance de profiter, en différé certes, de cet évènement heureux et hors du temps (le propre de cette technicité n’est-il justement de prolonger, en le gravant, un évènement passé, et le rendre éternel… ?),. Ca commence par des pépiments d’oiseaux qui s’envolent en prenant vie des sur-aigus du sax. Les mailloches frolent et caressent les tambours, ambiance clair-obscure de brousse, de bayou (?), quelques éclats de cymbales sont des rayons de soleil à travers les buissons et arbres qui se balancent au rythme des vents chargés de notes révélant le reste de la faune des sous-bois. Des notes plus graves creusent la terre, marquent la boue. Des perles d’eau libérées par le registre médium-aigu éclaboussent les optiques de nos focales, le paysage est moins net, laissant travailler l’imaginaire pour construire d’autres repères. Diverses percussions, ce sont des oiseaux, encore, qui apparaissent. Des frappes comme sur un tabla, les volatiles sont un nuage qui tourne au-dessus du décor… L’œil qui voit tout s’inscrit dans les nuées à travers un ténor gospélisant. les poly-rythmies reviennent, mystiques, lanscinantes, puis se mêlent au sax qui prend feu, l’air est torride, chargé d’éclairs incisifs. Beaucoup de belles images, de chaleur, de joie. Bonheur d’entendre ces 2 voix complices communiquant leur ferveur naturelle. Quel talent !