Paul Lay – L’Odyssée
Paul Lay : Piano
Matyas Szandai : Contrebasse
Donald Kontomanou : Batterie
Paul Lay, notre prodigieux pianiste béarnais, pour son huitième disque en leader, s’attaque à l’épopée d’ Ulysse, il apporte au chef-d’œuvre d’Homère mille fois remanié, augmenté, embelli, sa propre interprétation. Histoire, conte, légende, c’est aussi une quête, un voyage intérieur, une recherche d’identité, un questionnement sur la condition humaine. C’est ainsi que chacun peut l’aborder de façon aléatoire, hors chronologie, pour trouver des réponses existentielles sur des sujets tels que l’absence, la perte, le retour toujours différé, les émotions : doutes, peurs, désirs, courage d’affronter les épreuves…
Pour Paul, c’est l’histoire d’un héros qui se conquiert lui-même, qui se construit en trouvant et dépassant ses limites, abandonnant orgueil et vanité, absorbant les forces des éléments et de ses adversaires, toujours fidèle à ses origines, foyer et traditions.
Pendant plus d’un an, Paul a travaillé sur le texte et les partitions, les chants qu’il lui évoquait, creusant les questionnements de dépassement, de transformation, de place : le regard de l’autre, reflet trompeur… Comme à la lecture du roman antique, chaque auditeur trouvera un sens, une correspondance à soi-même, à l’écoute de cette proposition musicale.
Pour l’accompagner dans ce périple, deux ancien complices : l’inévitable batteur tellurique qui a sa place partout où ça bouge, et le flamboyant contrebassiste hongrois, parti trop tôt, dont c’est le dernier enregistrement.
Le pianiste, fort de sa construction classique romantique moderniste (Ravel, ligeti), augmenté d’une attirance assumée pour les décalages aléatoires et autres introspections (Monk, Taylor, Bley, Blake), évoque toutes les couleurs de la mer et ses transformations, de paisible à tempétueuse, de côtière à profonde, source de vie et dangereuse aussi (mais à quoi bon la vie sans prise de risques…)
La batterie témoigne du feu du centre de la terre dont il rapporte des braises et des flambées qui illumine le voyage, défie l’obscurité et ses dangers, réchauffe les moments de solitude et consolide l’ensemble de matériaux absorbés au passage de ses traversées chthoniennes.
Le contrebassiste à les pieds sur terre et parle aux étoiles. Colonne inébranlable, repère permanent, soutient et complète le piano, excite et prolonge la batterie. Tout en douceur, des envolées discrètes et pertinentes, et quelle présence !
Et puis l’air, qui transporte les sons, distingue les éléments et les réunie. L’air qui plane au-dessus des eaux, forme les vagues, les risées et les ouragans. L’air qui alimente le feu et lui permet de s’élever toujours plus haut, plus fort. L’air qui s’insinue au profond de la terre et la contient. De l’air pour respirer, pour chanter, crier, bouger… Un air qui chante, l’air de rien, l’air est partout, l’air est en tout.
L’album s’ouvre sur une description succincte du héros par un leitmotiv qui reviendra par trois fois, en forme de variation selon l’état et la transformation du bonhomme, toujours en évolution.
Et vogue le navire ! « Départ d’Hitaque ». Chaque nouvel état stigmatise l’abandon du précédent. Abandon du pays natal, des références, des amis, de l’épouse… momentané. Le départ contient l’idée de retour, alors il n’est pas l’heur d’y penser. En route pour les aventures !
Voici « Argos l’agile », fidèle compagnon à 4 pattes d’Ulysse. Un blues pur jus où les trois talents se mettent en place sans se ménager. Ça sautille, ça caracole, des déséquilibres vite résolus… heureux de prendre le large.
Rencontre avec « Éole ». Une balade aventureuse, incertaine, le ton monte, s’apaise…
Un peu de « Brume » d’où apparaît « Circé » qui transformera tout l’équipage en porcs, état pré-humain ? Thème decrescendo rapide, à peine le temps de réaliser le fait de la magicienne qui sera défait par Euryloque, compagnon d’Ulysse qui se méfiait des charmes de l’inconnue.
« Pyphème » le cyclope. Balade qui tourne autour du sujet, comme en observation prudente, ce qui ne va pas empêcher le drame : le monstre avale plusieurs marins avant que le héros ne lui crève l’œil et que tous les survivants ne s’échappent.
Retour du thème d’Ulysse, fasciné, envoûté par la mer et ses découvertes.
Encore de nouveaux dangers, de nouvelles prises de risques : éviter « Charybde et Scylla ». Prendre les courants de vitesse, navigation délicate. Faire les bons choix de changements de direction… et reprendre le large…
Jusqu’à la rencontre avec « Calypso » auprès de qui Ulysse restera une grande partie de son périple. Découverte de la femme, de l’autre. Il en faut du temps, de la patience et des remises en questions de soi et de ses rapports avec l’extérieur pour résoudre cette énigme, pour autant que la solution soit accessible, un jour…
La femme n’est-elle pas une « sirène » mystérieuse, polymorphe, séduisante et effrayante, amoureuse puis dédaigneuse, charmante sorcière, amie exigeante. Émotions, sensualité, amour, les sentiments se succèdent, s’empilent, se confondent, reste le dépit de ne saisir la résolution du questionnement.
Enfin, il est temps du « Retour à Ithaque ». Encore en mer, les côtes familières sont en vue. Encore des doutes et le navire accoste. Riche de ses expériences, d’épreuves et de rencontres, notre héros retrouve les siens, on s’embrasse, on se fête, on rit et on se raconte.
La vie continue. Ulysse retrouve son « Oikos », ses biens et ses problèmes, la famille et les siens.. Un joli blues moderne enrobant moult pensées et digressions, pensif et apaisé. Des changements d’accords qui vont comme la vie, toujours en mouvement, éternel recommencement et sans cesse renouvelée.
Re « thème d’Ulysse » qui n’est plus exactement le même. Est-ce bien lui qui est là, de retour, ou bien un autre personnage bien différent de celui qui partit il y a si longtemps.
Une œuvre qui apporte à l’épopée une nouvelle vision du voyage, qui nous apporte de nouvelles réflexions, de nouvelles pistes dans le questionnement existentiel humain.
Et une si belle musique !
Chez : Gazebo
Par : Alain Fleche
https://www.facebook.com/PaulLayOfficial