Fly’s Memory

Flavio Perrella : Contrebasse, Compositions
Matteo Pastorino : Clarinettes
Antoine Morineau : Zarb, Daf
Marino Dyonnet : Violon
Agnès Bensoussan : Alto
Lucienne Schneider : Violoncelle
invité : Magic Malik : Flûte, Voix.


Flavio, un italien de Paris, ne ménage pas ses forces pour apparaître sur tous les fronts ! Jazz, bien sûr, on le voit et l’entend sur les grands festivals, en vedette et en sideman chez quelques amis triés (F.Casagrande, A.Balson…). Ses qualités de compositeur, à la fois original, doué d’ une forte personnalité au service de recherches d’harmonies mélodiques plutôt que de déstructurations/restructuations entendues, sont souvent sollicités pour illustrer  films et théâtre. Enfin, il est membre de formations de musique classique , il enseigne (de moins en moins, sans doute faute de temps !?!) dans diverses écoles.
Pour ce second album sous son nom, il mêle ces diverses influences en toute liberté et avec grand bonheur. Écriture et arrangements très expressifs, soyeux ou nerveux, évident pour le quatuor à cordes, enrichit d’un choix judicieux d’ improvisateurs de haut niveau qui révèlent, réveillent, relèvent des partitions qui auraient pu se suffire, dans un cadre plus académique… Et puis, idée de génie, confier les percussions à des instruments moyen-orientaux (Iran) pour introduire une couleur exotique et mystérieuse plutôt que franchement ‘world’.  En fait, Flavio et Antoine se fréquentent depuis… un bon moment !
Notre Flavio de naviguer entre ces paramètres qu’il surveille et contrôle tout le long de l’exécution de son oeuvre, du coin de l’oeil, de l’oreille, de l’archet qu’il ajoute et mêle au trio de cordes qui en devient un quatuor ‘classique’, s’il n’était le grain de folie créative du  maître des lieux. Des doigts qui courent sur la grand’mère pour accompagner  zarb et daf et former une section rythmique d’une redoutable efficacité, tantôt chatoyante de mille feux arc-en-ciel, tantôt façon minimaliste plus abscon  et intériorisé, mais toujours dans un tourbillon fantasque dont il est difficile de résister et d’échapper aux appels d’attention et de rêveries, un vrai musicien de Hamelin ! Sa solide éducation classique lui permet d’exceller autant à l’archet qu’en pizzicato, avec un son clair et précis, très dynamique et attachant, sans jamais pour cela se mettre en avant, mais en réservant de larges espaces aux improvisateurs, que sont, outre l’expression libre et atypique des percus… 
… Deux souffleurs ! Heureux bonheur de retrouver Matteo dont nous avons déjà dit grand bien à propos de son projet sur « Modigliani » et sur le disque du groupe « Claxxx ». Voici à nouveau ce son très personnel, sans influence ni concession, chaleureux et mélodique, tout en nuances et couleurs, joyeux, solaire, il sait aussi participer au climat de mystère onirique induit par les compositions très attachantes, sinon chantantes. Et puis ce bon vieux Magic Malik que l’on ne présente plus, tant il est devenu inévitable sur bon nombre d’enregistrements qui ne cessent de nous enchanter. On remarquera qu’il se sort ici de ses rythmes aux temps multiples, hérités de Steve Coleman, pour se plier, et orner, à l’écriture de son vieil ami, qui lui est directement destinée.
Ce disque comporte deux suites, et deux autres morceaux où intervient le flûtiste. Il commence sur une inspiration détournée d’un titre de G.G.Marquez (Chronique d’une mort annoncée) où le mot ‘Confusion’ remplace le mot ‘Mort’. Association équilibrée des 3 styles (quatuor, percus d’orient et improvisateur jazz) , tantôt exprimés séparément et distinctement, tantôt en inter-action, les instruments se pourchassent et se mêlent, la confusion étant dûe à l’oreille qui a parfois du mal à distinguer les frappes des doigts sur les cordes de la contrebasse, de celles assénées sur les percus, ainsi que le velours des clarinettes se camouflant à l’ombre des cordes du quatuor, pour mieux se faire une place au  soleil qu’il crée patiemment, rayon par rayon, jusqu’à éclabousser de lumière cette oeuvre déjà éclairée de sons orientaux et de magnificence créative écrite. Puis une chanson en forme de ‘Solo’ pour la flûte qui reconquiert toute l’histoire du jazz pour nous en livrer le suc ‘du jour’, flamboyant et limpide sur un long chorus avant le plat de résistance : ‘Souvenir de Vol’. 4 mouvements pour raconter les pérégrinations d’un oiseau dans une chambre (fermée !?!). Regardez la photo sur la jaquette : les lignes géométriques sur le visage de Flavio, un cercle, des courbes, le regard dirigé vers une mouche qui a l’imprudence de s’approcher… Mais oui, c’est bien lui, l’oiseau qui volète dans la pièce, qui cherche la sortie, à s’enfuir, en battant des ailes de plus en plus furieusement, à se cogner contre la fenêtre, encore et encore… Scriabin s’invite dans la salle, donne un autre angle de vision, une autre approche auditive, mais le piaf continue à s’abîmer le bec et la tête (Alouette ?) … Faut croire qu’il s’en est sorti… puisqu’il le raconte ! Enfin une dernière composition en deux temps (Recto et Verso) illustrée à la flûte décidément en verve, tellement de choses à dire qu’il semble avoir été enregistré en re-recording,.. mais non ! Tout a été fixé sur piste en direct … pourtant,  des figures et des sons bien particuliers qui se superposent plutôt que de se mélanger. Des bribes de voix complètent et finalisent la conclusion de l’opus. Là encore, Malik n’usurpe pas son surnom , un vrai magicien ! 
Un disque plein de charme et de poésie que nous offrent Flavio Perrella et ses comparses. Une œuvre à rebondissements qui se tient de bout en bout de cohérence et d’intensité dramatique résolue dans le plaisir d’une écoute attentive et comblée. L’aridité de l’écriture pointue, ne dépasse jamais le degré supportable d’intellectualisme grâce à une inspiration charnelle, languissante, presque sensuelle. Un grand moment de douceur et de force, de laisser-aller et de précision, d’intensité et de libre court, de délicatesse et de rêveries… Comme la vue à travers un prisme de cristal, chaque écoute est unique, nouvelle, passionnante … et laisse méditatif, face à tant de bonheur si bien exprimé ! 

Chez : Soprane Records
Par : Alain Fleche