Conversation épistolaire (bilingue)

Patrick Chamoiseau

Écrivain-conteur créole des Antilles, il navigue, en vrai et en prose, entre les anciens et nouveaux mondes d’Europe, d’Afrique et d’Amérique, plonge dans les imaginaires décolonisés et ouverts sur d’autres voies que celles piétinées par les affairistes, parano/démago/égo voulant imposer un « Nouvel Ordre Mondial » qui n’intéresse qu’eux et leurs profits. Auteur reconnu et primé, il est, à l’époque (février 2022) de cette correspondance, sur les traces, d’un navire négrier qui a coulé en 1738 avec sa cargaison de « Bois d’Ébène », près de la Guyane. 

William Parker

Musicien, muse-physicien, dirige avec sa contrebasse des ensembles, assemblages, assemblées d’esprits libres et instrumentistes aguerris. C’est aussi un grand théoricien, mémorialiste et visionnaire de la musique libre, créateur de magie et poésies. Duc, comte et baron étant déjà employé (en jazz), il est surnommé le « maire de New-York », en fait : maire illuminé d’une ville mythique qui n’aurait besoin ni de chef, ni encadrement… ni de maire ! En février 2022, au festival ‘Sons d’Hivers’, il présente le projet ‘Trail of Tears’ pour évoquer la déportation des Cherokees, chassés de leur terre ancestrales.

Discussion littéraire entre Êtres lucides, qui se qualifient de ‘Frères’, cherchant à préciser leur place dans le monde et reconsidérant le monde en soi-même avec l’intelligence des traces et tracées qu’elle ne cesse de relever et d’inscrire dans leurs âmes. Débat métaphysique, artistique sur la Beauté et l’Amour qui ne seront jamais cernés (ouf), mais dont l’étude est bien initiatique. 

Échange d’idées, de souhaits, de rêves qui fusent, rebondissent, se répondent,, se rejoignent, s’entrechoquent, mais jamais ne se finalisent : chacun à son chemin à faire… Chaque page contient son lot à réfléchir, à méditer… Sans avoir la prétention de re-écrire le volume, voici quelques mots et phrases, qui appellent notre attention, comme des chansons imprimées dans la mémoire collective de l’humanité, comme des chorus ‘tohu-bohu’ qui s’ordonnent dans leur développement, comme un roman dont chaque mot contient l’œuvre en entier.

« Vivre en état poétique, avec la capacité, la sensibilité à s’émerveiller, à célébrer, et ne rien perdre de toutes choses, en les entendant et lisant comme autant de langages, toute grande musique (et écrits sincères) raconte d’abord cela. »

Suivant l’apostrophe de La Martine (« Je vous comprend monsieur, moi aussi j’ai souffert »), le légataire d’ancêtres colonisés affirme : « Les grandes douleurs enseignent. Ordonnent aussi »

William observe l’illusion de ses concitoyens, leur déni du réel, le « cauchemar américain », et transcende cet état : « Nous (devons) devenir des surhommes doués de compassion… Ressentir, pardonner, ne jamais oublier, se laver dans la vérité, boire et manger la musique, se réjouir d’être soi-même… »

Pour Patrick, « La créativité est essentielle pour tout êtres humains, sa disparition est l’adaptation mortifère à l’ordre dominant qui stérilise… », puis parle de musique, d’« esprit-jazz », d’improvisation : « réaction à l’autre,… se nourrissant au vol de l’expérience des autres… les Antilles et les Amériques sont nées du terreau de l’« esprit-jazz ». Il attrape des mots de la précédente lettre de W. et parle de « déshumanisation » en cherchant une « alternative globale » possible (?) Revenant sur le devoir du musicien : « quand il est puissant, il connaît déjà la langue des arbres, du vent, des paysages, des animaux, et même le soupir sans alphabet des pierres. ». Transcendant sa propre démarche, il confirme : « Les morts que nous avons à ramener à la vie ne sont pas ceux du passé… pas ceux du ‘Leusden’ qui git dans une embouchure guyanaise. Les morts qui appellent, c’est nous-même. Pour réanimer un corps, un esprit, un imaginaire ou une âme, toute la littérature, toute la musique, toutes les danses, tous les langages sont nécessaires. »

Et nous ne sommes qu’au début de ce livre dont chaque page exprime la nécessité de réunir tous les hommes de bonne volonté pour briser les chaînes de l’oppression grâce à la découverte de la beauté : « La Beauté n’est-elle pas un mystère ? N’est-elle pas éternelle ? »… On rencontre encore des mots qui interpellent, des phrases qui font sens et autres expressions de leur cru qui tendent à l’universalité comme : « Compassion… Disponibilité… détermination (en tant que base pour une révolution permanente)… L’avenir est du présent développé… toute guerre est une défaite pour l’humanité… »

Il nous devient évident d’écouter ce grand musicien d’une autre oreille, et de fouiller dans les œuvres de ce magistral écrivain qui ouvre les cœurs et les âmes.

À lire absolument pour les cherchants du Vrai, du Beau et du Juste! 

Indispensable

Chez MazetoSquare

Par  Alain Fleche