Parcourir l’âme du monde

De Jean Francheteau

Enfin un hommage sérieux pour ce très grand artiste sans lequel le « Free Jazz » ne serait peut-être pas … ce qu’il est ! Impossible d’oublier sa participation au manifeste qui a posé les bases et références de cette « New thing » à travers les premiers disques d’Ornette Coleman, ni l’impulsion qu’il a apporté à ce genre en entraînant John Coltrane, Sonny Rollins, Archie Shepp, Albert Ayler, Gato Barbieri et tant d’autres dans son sillage ! Comment un musicien aussi unique, révolutionnaire, charismatique, novateur, attachant, curieux de tout, défricheur de cultures les plus obscures, est-il tombé dans l’indifférence, voire l’oubli de reconnaissance dont ont pourtant été gratifiés bien d’autres (Trane, Davis, Mingus…) auxquels son art n’a rien à envier ? Charismatique, mais bien moins médiatique que certains… Alors, peut-être que son côté nomade, si riche, profondément intime (jusqu’à en faire une philosophie de vie) qui l’a amené à traverser la planète dans tous les sens pour trouver des sons et enregistrer avec des musiciens improbables, n’a-t-il pas toujours fait l’unanimité ? Sans doute a-t-on confondu synthétisme et syncrétisme, mélange de cultures à travers rencontres humaines et « fusion » ou « world Music« , (voire « jazz-rock« ), style qui périclita rapidement après pléthore de galettes faciles, commerciales, dont l’intention visait la quantité plutôt que la qualité. Dommage pourtant de faire l’impasse sur des chef-d’œuvres comme les « Codona« , et les séances avec Terry Riley, Trilok Gurtu, L.Shankar ou Johnny Dyani, entre autres. Dommage de laisser dans l’ombre celui qui a tant éclairé nos oreilles de trouvailles indispensables en cherchant l’âme du Monde, et tant ouvert nos esprit à des formes inattendues auxquelles maints musiciens doivent beaucoup. C’est réparé ! Jean Francheteau l’a fait ! Après avoir créé et animé quelques émissions radio, écrit sur Coltrane, c’est le tour de notre nomade multiculture insatiable. Jean connaît son sujet sur le bout des oreilles, qu’il a fort affuté, et semble ne rien ignorer du travail du Maître. On pourrait cependant regretter sa faiblesse épistolaire, un vocabulaire limité qui le mène à certaines redites, redondances dans les qualificatifs, les expressions. Et les coquilles récurrentes de typo n’aident pas non plus. Il est vrai que le parti pris d’écriture est particulier : raconter la vie musicale de Don Cherry à travers ses enregistrements ! Chroniques fouillées, disséquées pour chacun des quelque trois cent disques (pas tous parus d’ailleurs, il fallait les trouver !). On comprend, excuse, et compatit à la difficulté de ne pas se répéter dans ces conditions, surtout en employant autant de superlatifs, peut-être pas toujours justifiés (?), si nous en souhaitions une vision plus critique et relative afin de repérer les albums les plus indispensables (tous ? bon, d’accord, c’est un point de vue !). Enfin, ne boudons pas notre plaisir d’avoir accès à cette somme d’informations à la place du désert précédent la parution de ce volume tant attendu ! Peu de détails sont évoqués sur la vie de cette belle âme, entre les enregistrements, mais il y a quelques témoignages, et la passion est telle dans l’écriture, que les presque trois cent pages se dévorent d’un trait, avec la même joie que procure l’écoute de chaque note de Mr Don Cherry. Beau boulot, certes tout n’est pas dit, mais c’est une belle approche du sujet. Autre chose !? Peut-on en rajouter ?! Quelqu’un pour se coller à la suite ? Héhéhé !

Par Alain Fleche

Chez L’Harmattan, 269 pages, Univers musical