Ars Transmutatoria

ORANGE
Michel Lambert : Maïkotron contrebasse, batterie, gongs, tanggu drum, sulig, compositions
Alexandre Grogg : Orgue
Michel côté : Vielle à roue
Raoul Björkenheim : Guitare

BRONZE
Alexandre Grogg : Orgue

Michel Lambert – Ars Transmutatoria, le retour ! Nous avions parlé dans ces colonnes, il y a un peu plus d’un an (début 2021) du début de ce projet, sous forme de 2 cd’s : Bleu et Rouge. Voici l’aboutissement de ce travail avec 2 cd’s de plus et des extraits (pas une compile – merci) de chaqu’une des 4 couleurs gravées sur disque Vinyl, le tout dans un somptueux coffret, une boîte unique faite à la main, signée, gaufrée, numérotée. Avec des pages de jolis dessins qui font office de support d’improvisations. Si vous avez un cadeau à faire pour un amateur averti et exigeant d’art et/ou de musique nouvelle et de tout temps (intemporelle, de pluie et de beau temps), ne cherchez plus ! attention : édition limitée.
Gros et beau travail exécuté avec goût et soin, tant la musique que son support. Heureusement, Jeannette, même quand elle ne chante pas, n’est jamais très loin. Elle en profite aussi pour enregistrer, mixer, masteriser, et actualiser le site web plein d’infos, de musique et d’actus. Une histoire de famille, jusqu’aux enfants : Jérôme aide à la production, Théo au graphisme, des bons ! Et puis il y a les musiciens ! Des fois plein, des fois un. Selon, bien sûr, de ce qu’il se passe dans la tête du compositeur qui entend sa partition lui demander telle formation, telle vibration, lieu…

Après lecture, Michel rectifie : 

« En fait, la formation a peu d’importance pour moi. Le système de construction de la musique est très pratique puisqu’il permet des permutations. Les critères plutôt pratiques influencent tout cela, les lieux et la quantité de participants Moi, je n’entend rien à l’avance. Je construis la partition de manière visuelle. La musique se passe à l’instant où la cloche de départ sonne. Je suis pris comme tous dans un temps de création instantanné, à me débattre ou pas dans un monde nouveau. »

Pour ‘Rouge’, en France, Barre Phillips au centre et ceux qui l’entourent, une histoire d’amitié.

‘Bleu’, à Londres, ce sont ceux du London Improvisers Orchestra. ‘Bronze’, c’est Alexandre Grogg. ‘Orange’ : Michel Côté. Paris avec François Théberge et Glenn Ferris. Et Jeannette qui en voit de toutes les couleurs …! En fait: des amis proches, de longue date,et surtout,  de très bons musiciens.
Un même morceau peut être enregistré en plusieurs endroits différents, où se trouvent les musiciens nécessaires, les instruments (orgues…), l’ambiance (Live, studio, église…). Exercice fréquent avec des partitions conventionnelles, un peu plus délicat avec des dessins à interpréter (à jouer). Se pose alors la question :  » Une partition visuelle peut-elle nous permettre de voyager ensemble dans le même espace imaginaire ?  » . Certainement lorsque le support (dessin/partition) est bien défini et que les joueurs sont suffisamment proches pour ressentir les émotions correspondantes.Technique et problématique abordées dans les ’80 avec le « Journal des Épisodes, expérimentées et résolues dans l’aboutissement de ce projet (?!?).Même s’il ne peut y avoir de finalité à ce genre d’exercice, quelle expérience que d’entendre un orchestre symphonique jouer quelques minutes voir secondes, puis prendre une autre direction abruptement …
Partitions, dessins, couleurs… Chacun peut y chercher, et trouver, dans cette suite d’éléments, du symbolisme, de l’ésotérisme, mystère prodigieux de l’inexprimé, réalité voilée ou rêve éveillé … Le voile se soulève sur le site ‘Jazz from Rant’ (par J.Lambert) : « Alors que nous parcourions le monde ensemble, Michel s’arrêtait toujours pour observer de près la nature qui l’entourait et recueillait les petits détails qui attiraient son attention. De la même manière que je recueille les énergies des esprits du lieu à travers la chanson, il les capture dans ses partitions visuelles, un projet pluriannuel multimédia d’art et de création musicale « . Et l’intéressé de confirmer :  » Les couleurs ont été sélectionnées de façon naturelle. En regardant l’ensemble des partitions choisies pour chaque disque, une couleur semble avoir pris le dessus chaque fois assez clairement. Donc pas de relation entre elles nécessairement. ». Maintenant, pour qui veut ‘voir’… Quid d’une couleur choisie, triée, assemblée, mélangée, qui va prendre le ‘dessus’ ? l’oeil, la saison, le désir, un sentiment, émotion, pensée, intuition, ondes vibratoires …? Quoiqu’il en soit, ces illustrations, croquis, reflets de réalité, sont donc des supports d’ interprétation, d’improvisation musicales… ou bien juste des dessins !

Bronze

Alexandre Grogg, pianiste du silence, élève de Ran Blake, un littéraire à la recherche de son langage musical. « il se concentre principalement sur l’exploitation de timbres graves et élancés, reflets des grands espaces givrés qui peuplent les souvenirs de son enfance, comme un seul son incarnant la ligne absconse d’où point le brouillard équivoque des aspirations de l’humanité. ». ‘Grands espaces givrés’ comme une page blanche, univers du silence chargé de sons non manifestés qu’il voile, potentiel du ‘tout possible’, grandes nappes chamoirées de tons fondus, filaments lumineux, nuages ténébreux, marais boueux et cieux immaculés tachés d’ombre et d’éclairs sur les Grandes Orgues Casavant de l’église du Très-Saint- Nom- de- Jésus à Hochelaga, Montréal ou celles de l’église de Ste-Ursule de Maskinongé. On peut aussi y entendre la grandiloquence d’un Rick Wakeman, un bout de spiritualité de Messiaen, reclu sur une planète de J.Zorn, libéré enfin par une vision de Bach ou de Bosch… Ce sont les dessins de Michel qui prennent vie, s’animent, se concrétisent traduits en sons. Et les sons ramènent aux images : plutôt géométriques, presque symétriques, plus de lignes et de carrés que de courbes ou cercles. Expressions des touches rectangle en miroir pour un gros son de l’instrument grand comme un vieux chêne. Un son rond pourtant, malgré quelques traits acérés, qui puise dans les profondeurs de la terre nourricière pour s’envoler dans l’éternité de l’immensité cosmique chargé de lumières qui montrent le chemin de l’âme. Musique expectative qui sent l’hiver (peut-être) : la vie est en hibernation et en potentiel, prête à exploser en myriades de fleurs multicolores aux prochaines douceurs du temps. Promesse de découvertes et de joyeusetés, de rencontres et de fêtes. Juste après que les graines soient mortes pour libérer le germe qui se hissera à la surface de la terre, en quête de soleil . Musique solennelle avec un sourire en coin.

Orange

Retour de la grosse bête inventée (Maïkotron contrebasse), animal chtonien sombre et fumeux, dragon chargé de braises à l’affut de combattants. La vielle et les tambours emplissent la caverne et les souterrains de volutes et spirales exotiques. L’orgue barbare ébroue ses racines ancrées dans la roche. Guitare en éclats cristallins qui rebondissent sur les flancs de la pierre, manque un peu d’air pour pouvoir se prendre pour une harpe, alors chuinte plaintivement le long du lit d’un ru tarrit, colore l’orgue orgueilleuse de tons légers qui en devient bientôt aérienne. La montagne se fissure, l’air et la clarté envahissent l’espace. La lumière est au milieu des ténèbres, et les ténèbres vont devoir la reconnaître. L’orgue devient nonchalant, la guitare rêve d’une chanson de ‘Pink Floyd’. Les fûts tonnent encore mais une flûte appelle à la liberté des oiseaux. Orgue désormais protectrice, couvre de ses ailes angéliques les terreurs inconnues de la Création du Monde, renouvelée chaque matin, à la dispersion des dernières brumes déjà tièdies par l’astre céleste préparant sa majesté diurne.
Transmutation. Oeuvre alchimique qui s’invente les couleurs du temps, de la vie et de son renouveau permanent. Instruments, sons, voix qui viennent et disparaissent, s’unissent, s’épuisent et reviennent. Le temps linéaire trébuche, tourne en rond, devient cyclique pour rebrousser chemin, ressentir une ancienne impression, un sentiment oublié ou perdu. Le temps perdu ne l’est plus, on ne court plus après, on le laisse juste passer, sans bouger, sans rire ni parler. Respirer le temps à venir, celui passé, comme celui qui est, toujours le même toujours différent, celui qui offre un grand air de Liberté à celui qui l’a attrapé… pour le redistribuer comme des bouquets de fruits frais à qui a les bras tendu vers la Beauté.

Chez: Jazz from Rant
Par: Alain Fleche