Merci Philippe Méziat !
A l’heure où les nuits bleutées des clubs de jazz s’interrompent, Philippe Méziat a décidé de rejoindre la jam céleste où tant de figures amies et vénérées devaient l’attendre. Lucille sa fille a confié qu’à 2h du matin, dans la nuit du 30 au 31 octobre, il écoutait France Musique et s’en est allé apaisé et serein, sans souffrir. Très tristes de ce départ, nous le sommes toutes et tous, mais l’humour un peu british qui par moment éclairait son propos a probablement dû lui laisser penser qu’il n’est jamais trop tard pour partir trop tôt, ce qu’il nous aurait surement répondu d’un sourire entendu.
Philippe Méziat est tombé tout jeune dans la marmite du jazz, grâce aux disques de ses frères, à des livres et, bien plus tard, lors d’enrichissantes rencontres. En activités principales, il a notamment enseigné la philosophie et co-dirigé des établissements, mais le jazz a bien vite occupé une part importante de sa vie.
Il a été journaliste chroniqueur de disques, de concerts et d’évènements à Sud-Ouest, à Jazz Magazine et à Citizen Jazz. Sa plume riche et savante a toujours captivé les esprits, qu’elle soit enthousiaste, bienveillante ou même sévère parfois, ce qu’il assumait. Il a couvert nombre de festivals hexagonaux et même internationaux, à Berlin, en Afrique du sud.
Mais c’est surtout au plan régional que nous l’avons connu, croisé et apprécié, car il a dirigé des structures culturelles aux actions marquantes et des programmations courageuses et éclairantes, notamment avec le célèbre et inoubliable « Bordeaux Jazz Festival », de 2001 à 2008, avec à la suite les « Bordeaux Jazz Sessions », assurant parallèlement la direction artistique du « Festival Jazz à la Base » pendant quelques années. Il avait également conseillé quelques concerts au « Carré – Colonnes » de Blanquefort.
Plus tard, il avait aussi activement participé à la programmation des fameuses soirées « Mets ta nuit…dans la mienne » au Théâtre des Quatre Saisons à Gradignan, non loin de Bordeaux, une occasion de plus pour lui de nous faire découvrir des artistes, souvent très jeunes, dont l’esprit créatif « vif » et sans œillères lui tenaient particulièrement à cœur.
Mais Philippe Méziat n’était pas seulement un mélomane fou de jazz. Photographe passionné, ami de Guy Le Querrec, son appartement de la Rue Sainte-Catherine à Bordeaux contenait certes une impressionnante collection de disques, de livres et d’affiches, mais aussi des trésors de clichés et d’appareils photo, dont certains lui servirent d’ailleurs à orner les pochettes de certains disques de jazz reconnus.
Parmi les autres participations dans lesquelles Phillippe Méziat s’était grandement investi, nous nous souvenons des fameuses « Jazz Box » auxquelles il tenait tant, des inventions de la scénographe et plasticienne Cécile Lénan, mettant « en boîte » le jazz, avec des textes et des musiques proposées par Philippe Méziat, lesquelles furent présentées lors de diverses expositions. Il avait aussi collaboré avec Emmanuelle Debur, à un riche livre nommé « Histoire/histoires du Jazz dans le Sud-Ouest » – De la Nouvelle-Orléans à la Nouvelle-Aquitaine (1859 – 2019), paru sur les Éditions Confluences.
Grand dénicheur et défenseur des jazzs « vifs » comme il aimait à les qualifier, il a su les faire découvrir et aimer à un public de curieux, devenus passionnés de ces musiques comme lui. Pour raviver ces souvenirs, nous tenions enfin à reproduire ci-dessous l’interview que nous avait accordé Philippe Méziat en janvier 2017 pour la Gazette Bleue. Un moment intense et riche en enseignements, que nous n’oublierons pas !
Toutes nos pensées vont à ses enfants et petits-enfants.
Merci Philippe Méziat !
Par Dominique Poublan (alias Dom Imonk), photos Alain Pelletier.
Les obsèques de Philippe Méziat auront lieu le jeudi 07 novembre à 13h30 au crématorium de Mérignac.
Interview Philippe Méziat – Janvier 2017 – Gazette Bleue #21 – Mars 2017
Bordeaux, un samedi après-midi de janvier, il fait beau, un doux soleil caresse la pierre blonde et la rue fourmille de gens, contents comme au printemps. Nous avons rendez-vous avec Philippe Méziat, figure incontournable du jazz et ardent défenseur de cette musique. Accueil chaleureux dans son appartement, un vrai musée, actif et passionnant, qu’il nous fait visiter. L’occasion de découvrir vinyles, cd, livres, affiches (Sigma) et photos (dont celles de Guy Le Querrec) et quelques superbes pochettes de disques signées David Stone Martin, récemment exposées à Marmande. Professeur de philosophie, puis journaliste, chroniqueur et directeur de structures culturelles, tout a été bon pour lui quand il s’est agi de défendre la « note bleue ». On aime sa plume, qu’elle s’enthousiasme ou qu’elle pointe du doigt. On ne peut oublier le Bordeaux Jazz Festival et les Bordeaux Jazz Sessions, qui pendant près de dix ans ont mis tous les jazz à la portée de tous. Les esprits taquins le surnomment « le pape du jazz », ça le fait bien sourire, mais il n’est point ecclésiastique, lui qui a nommé avec beaucoup d’humour « Mets ta nuit…dans la mienne », le projet jazz dont le Théâtre des Quatre Saisons de Gradignan lui a confié la programmation, les 11, 12 et 13 avril prochains. Bref, sur tous ces brûlants sujets, Philippe Méziat a bien voulu se livrer, dans l’interview que voici.
Action Jazz: Bonjour Philippe et merci de nous accueillir. Comment ton histoire du jazz a-t-elle commencé ? Quel a par la suite été ton parcours ? Comment ont coexisté (ou se sont liées ?) tes activités professionnelles et musicales ?
Philippe Méziat : le seul vrai pape du jazz fut et reste Hugues Panassié. Car il avait des disciples qu’il régentait de main de maître, et donc une église, lui ! Moi je n’ai rien d’autre que mon désir. Cela dit, dans « pape » il y a « papa », je suis père de quatre enfants, et d’un festival qui a honoré la capitale bordelaise, comme vous le rappelez aimablement. Sinon le jazz s’est glissé dans ma vie sournoisement, et plus moyen de l’en faire sortir ! Des disques 78 tours que mes frères ainés avaient abandonnés derrière eux (ils étaient nés en 1930 et 1932, et moi je suis de 1942), puis l’habitude de lire des livres sur cette musique (Lucien Malson, André Francis, André Hodeir), les premiers achats de disques rue Bourgneuf à Bayonne (ma première disquaire d’occasion, elle avait quelques « cuts » qui arrivaient jusqu’à Bayonne). Ensuite j’ai travaillé, enseigné, le jazz était toujours là, parfois en sourdine, parfois en pleine lumière. Et puis fin 1989 (à 47 ans donc) j’ai été « « recruté » par le journal « Sud Ouest » pour faire des « piges » sur le jazz, et parfois la photographie. En même temps, « Jazz Magazine » m’a demandé des articles, des chroniques, et cela a duré jusqu’en 2000. Devenu retraité de la fonction publique, j’ai fondé (avec Philippe Brenot) le « Bordeaux Jazz Festival », qui a duré de 2001 à 2008. J’ai donc en gros exercé trois ou quatre métiers, enseignant, principal-adjoint de collège, journaliste spécialisé, et finalement directeur d’une structure culturelle.
AJ: Qu’est-ce-qui te plait dans le jazz ? Comment se nourrit cette musique et comment alimente-elle d’autres courants ?
PM : Très bonne question. Le jazz m’a plu car il était un message positif de joie, de joie de créer, en provenance d’un peuple opprimé, déporté, déplacé, martyrisé. C’est très important, et cela reste vrai du jazz le plus vif d’aujourd’hui, car nous vivons de plus en plus dans un monde où quelques maîtres dominent et exploitent des millions de personnes. Le jazz est une protestation lumineuse et joyeuse (même dans le blues, il y a la joie de dire, de parler, de témoigner) contre tous les pouvoirs, évidemment ceux de l’argent, mais plus généralement tous les pouvoirs. Cette lutte perdure, même après que le jazz a fait le tour du monde plusieurs fois, devenant langage universel, et une des fondations musicales du XX° siècle. Vous en connaissez beaucoup d’autres qui, après cent ans, ont cette force ? Musique de braconnage, de métissage, le jazz d’aujourd’hui reste dans cette ligne, avec tous les liens qui l’unissent (sans l’identifier) à la musique classique, au champ contemporain, au rock, à la « pop music », aux musiques traditionnelles, aux musiques ethniques, et j’en passe. Cet univers est pour moi chaque jour en même temps plus indispensable, et occasion de jouissances merveilleuses.
AJ: Quelles sont les rencontres importantes et déterminantes qui ont jalonné ta route ?
PM : Je ne parlerai pas des rencontres amoureuses qui m’ont amené, entre autres, à être père ! (…) Un homme aujourd’hui peu connu a marqué mes années 70, c’est Nelson Paillou, né à St Jean-de-Luz, handballeur au BEC, président de la Fédération Française de Hand Ball, président du Comité Olympique du Sport Français, vice-président du Comité International. Ce professeur des collèges avait les moyens d’engranger les honneurs et l’argent qui va avec bien souvent aujourd’hui, et il est resté sur les listes des enseignants du Lycée Gustave Eiffel à Bordeaux jusqu’à la fin de sa vie. Son dévouement à la cause du sport, de l’amitié franco-allemande et des méthodes d’éducation nouvelle était d’une rare pureté. Je crois savoir qu’en 1981 il a refusé de hautes fonctions qui lui étaient offertes, pour rester au service des causes de sa vie. Incorruptible. Nous sommes loin du jazz, c’est vrai, mais pas loin d’un « idéal du moi » dont je suis habité sans être bien certain de savoir si je puis m’en approcher parfois. Pour ce qui concerne mon itinéraire dans le jazz, et en dehors des lectures rappelées plus haut et qui se sont enrichies au fil des années, la personne importante fut Jean-Pierre Moussaron, qui début 1990 m’a fait relire les épreuves de son livre « Feu Le Free ? », une marque de confiance extrême. À partir de là et jusqu’à son décès, le lien entre nous a été constant et très fort. Côté journalisme, j’ai déjà raconté ça très souvent, c’est Patrick Espagnet, qui était jeune surveillant d’externat à Bayonne en 1972, qui m’a, un soir, confié son carnet et son stylo en m’enjoignant d’aller « couvrir » le concert d’Ahmad Jamal et de Johnny Griffin à Eysines pour le journal « Sud Ouest » (1988). Avec ce qui a suivi ! Je dois citer aussi le photographe Guy Le Querrec, qui m’a littéralement ouvert les yeux, comme il savait si bien le faire dans ses stages. J’ai beaucoup appris de lui, humainement aussi, car il a une expérience professionnelle très riche, et très diversifiée. Et puis du côté de l’action culturelle, j’ai beaucoup appris de Nicolle Raulin (Nîmes), Roger Fontanel (Nevers), Armand Meignan (Le Mans), Yann Causse (Perpignan), Jacques Panisset (Grenoble), directeurs de festival du réseau appelé aujourd’hui AJC : des hommes et des femmes qui avaient, et ont encore, l’amour du jazz chevillé au corps avant toute idée de « carrière » ou de « réussite » personnelle. Que des amateurs de jazz deviennent des professionnels du spectacle, voilà un schéma qui me plaît.
AJ: Comment choisis-tu de chroniquer tel ou tel disque ou concert ? Est-ce imposé, ou fonctionnes-tu au coup de cœur ? Cite-nous tes récentes révélations.
PM : Pour les disques, à « Jazz Magazine » c’est la rédaction en chef qui m’adresse les CD, et je ne les renvoie sans les chroniquer que très rarement. Pour les concerts et les festivals, c’est moi qui choisit, souvent invité (pas toujours) et j’ai toute liberté d’écriture. À « Citizen Jazz » c’est un peu différent, pas trop parce que j’aime bien recevoir des disques à chroniquer que je n’ai pas choisis. Et pour les festivals c’est en gros la même démarche. Quant aux révélations, elles sont liées beaucoup plus aux concerts qu’aux disques, même si je m’amuse bien à faire « découvrir » des musiques et des musiciens aux personnes de passage, sans expérience ou connaissance du jazz actuel, grâce au support du disque. Des révélations ? Pratiquement tous les projets du « Tricollectif », au sein duquel vous retrouverez Théo Ceccaldi, Roberto Negro, Valentin Ceccaldi, le quatuor Machaut, et puis les disques du label « Umlaut ». Pas mal de musiciens sont transversaux, c’est à dire pas inféodés à un groupe mais appelés en fonction de leur talent : le tromboniste Fidel Fourneyron en est un exemple. Et puis toutes ces musiciennes qui, pour des raisons sur lesquelles il faudra revenir, embellissent le « champ jazzistique » pour parler comme Alexandre Pierrepont : Fanny Lasfargues, Airelle Besson, Sylvaine Hélary, Éve Risser, Élise Caron, Jeanne Added (que, malgré son statut de « rock star » je continue à ranger de ce côté)… Pardon pour celles que je n’oublie pas mais dont le nom n’est pas venu maintenant.
AJ: Racontes-nous le Bordeaux Jazz Festival et les Bordeaux Jazz Sessions qui ont suivi. Quels souvenirs marquants en as-tu gardés ? Quelles furent tes autres responsabilités en tant que programmateur ou organisateur ?
PM : Avant la naissance du BJF, je n’avais pas organisé le moindre concert. Dans mes jeunes années d’enseignant, à Biarritz et Bayonne, j’étais plutôt attiré par le théâtre, même si, dans le petit groupe que nous formions avec quelques amis était aussi un groupe de musique improvisée que nous avions appelé « L’Art Ensemble de Marbella », Marbella étant le nom de la résidence ou nous avions élu domicile pour travailler. Je « jouais » de la contrebasse, du piano électrique, du saxophone, diverses percussions. À cette même époque, le titulaire de l’orgue de Sainte Eugénie à Biarritz me confiait parfois les clés de l’orgue (un Cavaillé-Coll sur lequel j’ai entendu jouer et improviser Marcel Dupré peu avant sa mort), et je passais deux ou trois heures à m’essayer à tirer les tirettes, écouter les sons, les registrations, esquisser des mélodies. J’écoutais beaucoup Louis Vierne, à cette époque, et j’ai encore beaucoup d’intérêt pour la musique d’orgue du début du XX° siècle.
Quand j’ai été retraité de la fonction publique, en 2000, j’ai attendu un an, puis croisé par hasard un amateur de livres et psychiatre, Philippe Brenot, à qui j’avais rendu deux ou trois services, et qui m’a proposé de « m’ouvrir les portes » de la mairie de Bordeaux pour que nous y proposions un festival de jazz. A dire vrai, je n’attendais pas ça, mais plutôt des propositions, qui ne venaient pas, de la part d’associations locales vouées (entre autres) à la diffusion du jazz. Là aussi, et malgré des liens qui s’étaient tissés pendant ma période de journaliste, aucune proposition de collaboration ne m’était adressée, alors que je n’attendais que ça. J’aurais du comprendre plus vite que ceux qui ont le pouvoir peuvent bien chercher à vous instrumentaliser pour en obtenir davantage (et l’argent qui va avec), mais que jamais ils ne partageront. Or – nous sommes en 2000 – le jazz traverse une période difficile, les « stars » du passé disparaissent les unes après les autres, et c’est beaucoup de travail volontaire qu’il faudrait pour faire vivre cette musique en région. Personne ne s’y colle. J’ai donc été contraint, et je tiens à le souligner, d’inventer l’idée d’un festival, seul moyen de faire revenir la création dans ce champ musical en région bordelaise. Car je rappelle aussi qu’à cette époque Bernard Lubat fuyait Bordeaux ou demandait pour jouer des sommes astronomiques. Il fallait donc se glisser dans cette vacuité. Nous l’avons fait, au départ sans grands moyens, mais avec l’accord enthousiaste du responsable de l’Action Culturelle à la mairie de Bordeaux, un certain Michel Pierre, qui était là pour peu de temps un peu par hasard en provenance de Florence et à destination d’Alger (Centres Culturels). Il avait une photo de John Coltrane dans son agenda, et m’a dit : « des projets de festivals de jazz j’en ai déjà mis à la poubelle pas mal, mais le votre je le prends car il comporte un projet et un programme qui me convient ». Mais il n’avait aucun argent à nous donner… Comme c’était l’époque de la construction d’un Casino (machines à sous) à Bordeaux et que ce Casino devait respecter un cahier des charges précis, ils ont donc été « contraints » eux aussi, de nous aider. Ce marché, qui aurait pu être de dupes, s’est révélé tout à fait efficace et durable, car la personne au Casino qui le suivait a vite compris que nous agissions dans l’intérêt des musiciens régionaux, des artistes en émergences, et des instrumentistes qui avaient quelque chose à dire et pas seulement des soirées dansantes à animer. Une chance encore.
La première édition, réalisée avec très peu d’argent et très vite, a laissé les caisses plus que vides, mais l’association support, celle de Philippe Brenot, a assumé le déficit avec la plus grande loyauté. Dès la deuxième édition (2002) j’ai demandé à tout contrôler, j’ai engagé une administratrice qui avait foi dans ce type de projets un peu fou et qui acceptait les risques (financiers, pour elle-même). Jusqu’en 2004 nous avons survécu avec peu de moyens. Mais nous étions soutenus par la mairie de Bordeaux dans le cadre plus vaste d’un festival fourre-tout nommé Novart, et surtout nous avons été aidés très vite par la profession, qui voyait en notre initiative une ouverture (enfin !) sur le jazz vif dans la région bordelaise, jusque là bien mal engagée. La SACEM nous a aidés tout de suite, puis la SPEDIDAM, l’ADAMI, l’ONDA, et dès 2004 nous avons réussi à « équilibrer » notre budget. Je n’arrivais pas encore à dégager de l’argent pour professionnaliser la structure, mais nous vivions. La réputation du festival n’a fait que croître, et jusqu’à ce que je décide de son arrêt en 2008 le public est venu de plus en plus en nombre. Les gens ont pris l’habitude de ce moment de jazz vif, qui était très abordable (5 euros le concert, quels que soient les artistes, sauf le concert du dimanche soir à 10 euros et les concerts au Casino, bien sûr, environ 20 euros). Nous avons inventé (je dis « nous », car ces initiatives sont venues souvent de la petite équipe de bénévoles) le stand des tartines (deux tartines, un verre de vin, deux euros je crois, un vif succès !), les loges dans des caravanes près de la halle des Chartrons, et petit à petit nous avons eu la présence de France-Musique (Xavier Prévost et Anne Montaron), les concerts de 12.30 au Molière (gratuits) n’ont pas désempli. Il régnait dans ce festival, dans l’équipe, mais chez les musiciens accueillis également, une ambiance de fête et de plaisir, au sens où la vraie fête de la musique consiste à élever le niveau d’écoute des gens, au sens où ils étaient surpris d’avoir pris tant de plaisir à écouter des musiciens inconnus, enfin au sens où ce « jazz », comme ils nous disaient, ils n’imaginaient même pas que ça puisse exister. Et c’est encore ce qui se passe aujourd’hui dans les festivals de l’association AJC, Coutances, Le Mans, Nevers, Strasbourg, Brest, Perpignan, on ne peut les nommer tous. Nous amenions le public vers nos choix (éclairés, et oui !!!), nous ne suivions pas le taux de remplissage des salles, enfin nous travaillions dans le sens inverse de ce qu’on voit faire la plupart du temps. Et puis en effet, mes préoccupations étaient avant tout la qualité de la MUSIQUE proposée et des musiciens. Et c’est finalement pas évident ce type de « politique culturelle » aujourd’hui ! Il faudrait beaucoup de place pour – sinon tout dire – du moins se souvenir de l’essentiel. Les grands « chocs » musicaux, pour moi, furent à des titres divers le duo de Marilyn Crispell et Gary Peacock, le concert « Armistice 1918 » de Bill Carrothers, le trio de Marc Ducret, le récital de You Sun Nah, le trio RST, David Krakauer, les concerts de Sylvie Courvoisier, la découverte de Peter Evans en 2008. Je suis en train de faire la liste des musiciens qui sont passés au BJF, c’est impressionnant. Ne retenir que les noms de ceux qui n’étaient pas connus du tout et qui le sont devenus depuis c’est déjà assez démonstratif.
AJ: Peux-tu nous parler du projet « Mets ta nuit…dans la mienne » ? Quelle en est la genèse ? D’où vient ce titre ? Comment se sont réparties les tâches entre le Théâtre des Quatre Saisons et toi ?
PM : Nous avions déjà travaillé ensemble sur un fil rouge « piano », il y a quelques années. Et nous en avions conservé l’habitude de nous parler et d’évoquer nos « coups de cœur » en matière de jazz ! Quand le Théâtre est devenu « Scène Conventionnée Musique » il a semblé naturel à Marie-Michèle Delprat que nous reprenions ce dialogue, et bâtissions un programme ensemble, autour d’un pôle de trois jours en avril 2017. Le titre est venu d’un concert auquel j’ai assisté l’an dernier à Strasbourg, dans le cadre des « soirées Tricot », que le Tricollectif organise ici ou là (Paris, Orléans, Strasbourg) de temps en temps à la demande de structures de diffusion. Ce concert, un duo piano/saxophone soprano, s’appelait « Métanuit » et consistait en une adaptation pour cette formation du premier Quatuor à cordes de Ligeti, appelé par son compositeur « Métamorphoses Nocturnes ». Il mettait en jeu, et en scène, Roberto Negro (p, comp) et Émile Parisien (ss). J’ai d’abord proposé de programmer ce concert à Gradignan, puis de jouer un peu sur les mots en appelant « Mets Ta Nuit…dans la Mienne » l’ensemble du projet sur trois jours. Adopté, avec le sourire ! En gros, nous avons établi la programmation Marie-Michèle et moi-même, à partir de mes propositions et aussi de ce que je sais de ses envies et de l’axe artistique qu’elle souhaite donner au lieu. Tout le monde sait que le champ jazzistique est varié, divers, et qu’on peut l’infléchir dans bien des directions. Là, nous avons eu à cœur de proposer un jazz assez acoustique, contemporain, qui saurait profiter de l’acoustique assez extraordinaire du lieu. Et de mettre en valeur des musiciens peu connus du public, à part peut-être un ou deux. Mes voyages constants me permettent de me tenir au courant de ce qui émerge en temps quasi réel. Et j’ai toujours aimé ce « challenge » de découvrir de jeunes musiciens avant que tout le monde les programme ! Au BJF c’était le cas. Et c’est assez facile dans notre région, car personne n’a ce genre de démarche, au grand regret d’un public qui n’attend que ça.
AJ: Parlons maintenant des trois soirées du projet « Mets ta nuit…dans la mienne ». On voit cités les noms de Györgi Ligeti, de Carla Bley et de Jimi Hendrix, on y parle de bal. Comment as-tu choisi ces artistes ? Y-a-t-il un cheminement logique entre ces soirées ? Un scénario ou un crescendo ? Les voici présentées en trois questions :
Mardi 11 avril 2017 : Duo Metanuit/Quatuor Ixi
PM : Pour le duo « Métanuit », j’ai répondu plus haut. Le quatuor IXI était une demande expresse de la directrice du T4S, et il se trouve que je venais de l’entendre au Mans quand nous en avons parlé. J’avais été stupéfait par la qualité de cette « composition instantanée » à quatre, dans la forme du quatuor à cordes classique, deux violons, un alto, un violoncelle. Donc une première soirée très classique, très acoustique, avec une création toute fraîche et la prestation d’un quatuor fondé par le violoniste Régis Huby il y a quelques années, et qui compte en son sein un altiste fameux (Guillaume Roy) et un jeune violoniste dont on n’a pas fini de reparler : Théo Ceccaldi.
Mercredi 12 avril 2017 : Donkey Monkey/Loving Suite for Birdy So
PM : Donkey Monkey c’est un duo piano préparé/batterie/voix que j’ai découvert à plusieurs endroits en France, dans la série des festivals réunis sous l’appellation AJC. Leur dernière prestation fameuse restait pour moi un concert à Brème, en 2015. Ils (en fait « Elles », car ce sont deux femmes) avaient littéralement subjugué l’assistance, composée de tout ce que le jazz européen comporte de patrons de festivals, agents d’artistes, sociétés civiles, labels de jazz, etc. Cette année là, dans ce salon européen du jazz qu’on appelle « Jazzahead », c’était l’année de la France, et ce fut vraiment le cas de le dire ! La « Loving Suite For Birdy So » est une œuvre de Roberto Negro, elle remonte à quelques années déjà, j’ai eu l’occasion de la découvrir en Arles et à Berlin, et là aussi j’avais très envie que les amateurs aquitains puissent l’entendre, d’autant que dans le personnel réuni par Roberto figurent les frères Ceccaldi, Élise Caron la chanteuse, comédienne, auteure de textes à la fois bien connue, mais jamais assez, et de toutes façons pas du tout assez dans notre région ! Encore un choix facile.
Jeudi 13 avril 2017 : Trio « Journal Intime » & Le Bal des Faux Frères
PM : Le T4S ayant à respecter un fil rouge « bal », nous devions trouver un groupe qui s’adapte à l’ensemble de la programmation tout en offrant cette dimension de bal, de danse. Il m’a paru que le « Trio Journal Intime », que j’ai suivi depuis quelques années dans ses concerts, était le mieux à même d’assurer ce type de prestation, surtout depuis qu’avec trois autres instrumentistes, ils forment « Le Bal des Faux Frères », dont un CD sorti récemment dans la série AJMI live est un témoignage vibrant de leurs qualités. La musique de Jimi Hendrix (et autres) jouée par trois soufflants (saxophone basse, trompette et trombone), deux percussionnistes et un saxophoniste ténor, ça envoie bien , et ne vous laisse pas longtemps le long de la tapisserie ! À noter que le concert aura lieu dans une salle prévue à cet effet, et pas dans la salle de concert.
AJ: Quelles sont les perspectives futures concernant cette collaboration avec le Théâtre des Quatre Saisons ?
PM : Nous devons renouveler ces trois jours de jazz en avril 2018.
AJ: Y-a-t-il d’autres projets qui te tiennent à cœur, dans lesquels tu n’es pas forcément impliqué, mais dont tu souhaiterais parler ?
PM : Il y en a beaucoup ! Mais je signalerai par exemple le travail mené par Karfa Sira Diallo, dans le cadre de son association « Mémoire et Partage ». Il a prévu de mettre en lumière l’arrivée du jazz en France dans les années 1917-1918, par l’intermédiaire des instrumentistes noirs recrutés dans les armées US. Défendre à Bordeaux cette « mémoire de l’esclavage », dans l’esprit des Lumières et loin de toute idée de culpabilité actuelle (ou pire) est une entreprise noble et délicate, car les forces qui tiennent à ce que les choses obscures de notre histoire le restent sont encore très actives. Dans le secteur de la musique, je suis les autres actions, mais de trop loin hélas, par manque de temps et un état de santé fragile. Alors en risquant d’en oublier, je citerai « Musiques de Nuit » bien sûr et son Rocher de Palmer, mais aussi l’association « AT » et son Caillou du Jardin Botanique, et puis vous même à Action Jazz, l’association « Einstein On The Beach » qui se voue aux musiques improvisées, et tant d’autres car la vie associative sur Bordeaux est riche. Je vous fais un clin d’œil et vous dis : « Allez les Filles ! ».
AJ: Enfin, quel message souhaiterais-tu faire passer à la nouvelle génération de musiciens jazz ?
PM : « Aime, et fais ce que tu veux » (St Augustin)
AJ: Et voici le traditionnel mini questionnaire pour conclure :
Si tu étais :
Un disque ? Creole Love Call (Duke Ellington, version longue de 1932)
Une ballade ? La Ballade des Pendus
Un concert ? Sonny Rollins à Marciac en 1989, et Miles Davis à Andernos en juillet 1991
Une ville ? Berlin
Un livre ? Fondements de la Métaphysique des Moeurs
Une photo ? Une photo de Guy Le Querrec et une photo de Bruce Milpied
Merci Philippe!
Merci à vous deux, à vous tous !!!
Propos recueillis par Dom Imonk, photos Alain Pelletier