Tony Paeleman ©Philippe Blachier

Vendredi 14 octobre

Tony Paeleman

Sur une ligne de basse au son bien épais porté par un beat nerveux, le concert du trio Paeleman débute pied au plancher. Pas de round d’observation, le ton est donné, électrique, frénétique, énergique. Tony Paeleman calé côté jardin sur un Rhodes, casquette noire vissée sur la tête, était dimanche dernier (9 octobre) aux côtés de Youn Sun Nah à l’auditorium de Bordeaux dans un registre bien différent.
Sisyphus, composition de Julien Herné poursuit l’incipit dans la même veine.
Après avoir pris la parole et remercié le festival pour son chaleureux accueil, le trio démarre After blue, un titre qui démarre plus discrètement, comme une balade au crépuscule. Crescendo, il s’installe dans un beat assez rock, pour finir par solo de batterie en coda, qui embrase le public. Discret mais toujours aussi efficace, le gaucher Huchard a sorti le matos ; grosse caisse diamètre rock, 2 toms médiums, 2 toms basse, 2 caisses claires et une série de cymbales dont une de type Byzance au son trashy très sec, du meilleur effet sur les beats électro.
L’intro basse de Julien Herné, auteur du titre Call me Fonzi qu’il entonne, est une sorte d’hommage facétieux au personnage de la série Friends ; sur ce morceau aux multiples surprises rythmiques et sonores, les breaks et le son gras et vintage du clavier Moog, font naître une ambiance néo rétro très plaisante.
The Fuse, titre éponyme de l’album clôture le set, un peu court à notre goût… on en aurait bien pris un peu plus.
Malgré de petits soucis techniques survenus au cours du morceau, pas de panique, le tempo est bien en place. Julien Herné et Stéphane Huchard dialogue en rythme pendant que Tony rebranche les pédales d’effets qui ont eu le mauvais goût de glisser à force d’être, il est vrai, un peu secouées elles aussi.
On aurait pu croire que les fusibles aient sautés, comble pour le projet « the fuse » !
Ravi de partager la scène avec Erik Truffaz, le niçois Tony Paeleman invite le public à le retrouver en dédicace à la fin du concert.
C’est l’occasion pour le rencontrer et en savoir plus… Sideman de luxe auprès de nombreuses formations comme celle de Vincent Peirani (Living Being Quintet) ou encore d’Anne Paceo, Toni joue avec Julien Herné depuis plusieurs années ; il lui présente Stéphane Huchard pour mener un projet plus électrique après ses 2 premiers albums plutôt acoustiques (en 2013 « Slow Motion », puis en 2016 « Camera Obscura »).
La rencontre avec le batteur est une évidence et la gestation du projet démarre en 2019 avec des compos spécialement destinées au projet que Tony mixera pendant le confinement.
La complicité du trio est une évidence sur scène et le projet The fuse (CD chroniqué en avril 2021) vit très bien sa maturation au fil des mois et des concerts.

Vous pourrez retrouver le trio à Eymet (en Dordogne http://www.maquizart.com/tony-paeleman.html) le samedi 22 avril 2023 avant de découvrir le prochain projet de Tony Paeleman, toujours accompagné de Julien Herné et Stéphane Huchard… mais pas avant 2024 vraisemblablement.

Erik Truffaz ©Philippe Blachier

Erik Truffaz

En seconde partie, Erik Truffaz vient présenter « Lune Rouge », projet sorti en 2019 et toujours sur la route.
Vu et entendu le 13 juillet 2021 au Rocher de Palmer (première partie assurée par Atrisma), cette fois c’est le bassiste Marcello Giuliani, « vieux » complice du trompettiste qui tient la rythmique aux cotés de Tao Ehrlich à la batterie et de Benoit Corboz aux claviers. Ce dernier est aussi un acolyte de longue date qui a enregistré et mixé presque tous les projets de Truffaz.
Changement de plateau, mais pas vraiment de style. On ne présente plus Erik Truffaz grand trompettiste (à tous les sens du terme) qui navigue avec grâce aux frontières de la pop instrumentale, du jazz et de la musique électronique. 19ème album de l’artisite, Lune Rouge poursuit son exploration vers de nouveaux territoires sonores où se croisent mélodies et groove, bien aidé en cela par l’inventivité et le talent de Benoit Corboz et Tao Ehrlich qui, sur scène, donnent au son un relief comme on pourrait à peine l’imaginer en studio. Plus abouti et plus mûr encore qu’en 2021, les titres interprétés mêlent allègrement drum and bass, hip-hop, ambiant et jazz… un cocktail musical parfaitement maîtrisé qui laisse aussi la place aux envolées jubilatoires à l’occasion de chaque chorus. Ce projet fait la part belle aux sons analogiques du Rhodes passablement maquillés d’effets, aux arpèges du launch pad et aux nappes profondes sur lesquelles s’entrelacent les phrases soufflées par Erik Truffaz qui utilise un peu moins d’effets qu’autrefois. Cycle by cycle, Istambul tango, les gens du voyage, Algol, Lune rouge… s’enchaînent avant 3 rappels généreux.
Le travail de Tao Ehrlich à la batterie est impressionnant de précision et de modernité ; le jeu précis de Marcello Guilliani, placide, qui gratte sa basse l’aide d’un médiator contraste avec le déhanchement fiévreux de Benoit Corbozsur ses touches. A deux reprises, l’ambiance électrique cèdera la place à un duo acoustique piano trompette, occasion d’apprécier aussi la singularité du son Truffaz à l’état brut.
A peine sorti de scène, l’artiste est présent pour signer ses disques, échanger, faire des selfies avec un public conquis, avec lequel il prend le temps de parler. Il semble se sentir aussi bien qu’un poisson dans l’eau…, à la Sirène.

Samedi 15 octobre.

C’est déjà la clôture de l’édition 2022 du « La Rochelle Jazz Festival », désormais associé à la belle salle de la Sirène.
Ludovic Denis, qui dirige le festival depuis plusieurs années nous confiait que ce millésime avait tenu ses promesses.
GoGo Penguin, sans surprise, aura rempli la salle de la Sirène dès le mardi 11 au soir, précédé du duo Obradović-Tixier.
Mercredi, c’est au tour de Géraldine Laurent « Cooking » de cuisiner les oreilles des festivaliers et à Christian Escoudé Unit 5 « Ancrage » de s’amarrer à La Rochelle, après l’apéro concert du Thomas Mayeras Trio.
Jeudi, c’est piano. Désolé pour la rime. MarcO Poingt puis Yaron Herman en solo ont fait découvrir leurs projets e leurs personnalités artitiques.
Vendredi soir, Tony Paeleman suivi d’Erik Truffaz ont comblé la salle au sens propre et au figuré après que le guitariste Alex Grenier ait chauffé l’ambiance dès 19h00 de son latin-jazz, blues et funky.

Alfio & Celia 4tet ©Philippe Blachier

Célia Kameni et Alfio Origlio

Le premier set propose de découvrir ou redécouvrir Celia Kameni, et celui qui l’a repérée, Alfio Origlio. (ce groupe avait été programmé au Festival Jazz et Garonne à Marmande, le samedi 9 octobre 2021).
Alfio Origlio se passionne très tôt pour la musique et devient pianiste professionnel dès l’âge de 17 ans. Ce pianiste méconnu collabore avec les plus grands artistes et musiciens de jazz internationale : Salif Keïta, Manu Katché, André Ceccarelli, Stacey Kent, Gregory Porter, Didier Lockwood, Bobby McFerrin, Michel Legrand, Natalie Dessay, Keziah Jones, Me’shell Ndegeocello, Chris Potter, Erik Truffaz, Daniel Humair…
Les scènes de la (bonne) chanson française et de la variété internationale lui sont aussi familières ; il accompagne pendant plusieurs années Michel Jonasz, Henri Salvador, Jean-Louis Trintignant, Stéphane Eicher, Natalie Dessay, Keziah Jones et même Sting …
Alfio Origlio est à l’origine de plusieurs projets et depuis 2018, il propose un quartet inédit avec la chanteuse Célia Kameni, Michel Molines (contrebasse) et Zaza Desiderio (batterie) pour lequel il arrange des chansons issues du répertoire pop, soul et chanson française aux couleurs jazz.
Il produit et arrange l’album « Secret Places » en 2019 et se retrouve invité pour la carte blanche de Manu Katché au festival Jazz à Vienne en juillet 2021, pour accompagner notamment Sting, Sophie Hunger, Raoul Midon, Michel Jonasz et Jazzy Bazz. Pas mal, non ?

La jeune artiste Celia Kameni est une chanteuse française d’origine camerounaise, qui dès l’enfance a été plongée dans un univers musical éclectique mêlant la musique classique et le jazz, qu’elle étudia au Conservatoire de Lyon. Elle a pu au cours de sa jeune carrière, partager la scène avec de musiciens de renoms tels que Deedee Bridgewater, Sandra Nkake, Bireli Lagrène, Liz Mc Comb, Cécile Mc Lorin Salvant ou encore Angèle et Ben l’Oncle Soul.Le concert démarre par une douce ballade où Celia pousse des notes assez tendues sur une rythmique et des arrangements très discrets. Mise en avant par le trio, elle donne un caractère très affirmé à sa place parmi le quartet, puis enchainer par « Norwegian wood » des Beatles et le célébrissimen « Caravan » revisité.Ce soir, le quartet propose des chansons jazz, pop et soul puisées dans le répertoire de Gregory Porter, de Stevie Wonder ou encore de Jeanne Moreau, repensées par les doigts d’Alfio et revisités par la voix de Célia.Elle nous attire dans son univers. Tantôt douceur, tantôt puissance, le registre vocal de Célia s’exprime aussi bien sur un blues qu’une mélodie jazzy, sur laquelle son scat rappelle la grande Diane Reeves. Depuis les premiers concerts, elle ose davantage comme sur ce « Purple Haze » de Jimmy Hendricks ou encore au rappel où elle se lâche sur « Jammin » de Stevie Wonder. On apprécie au passage le solo de contrebasse époustouflant de Michel Molines, la rythmique très subtile de Zaza Désiderio et Alfio qui donne toute la palette de son talent d’arrangeur dans un phrasé limpide et très musical. Sans l’ombre d’une critique, le trio pourrait se suffire à lui-même, même sans le chant ; on en aurait surtout volontiers écouté un peu plus… frustrantes ces premières parties de 45 minutes, non ?

Matthis Pascaud et Hugh Coltman ©Philippe Blachier

Matthis Pascaud et Hugh Coltman

Certes, mais il faut laisser la place à Matthis PascaudHugh Coltman et leurs compères. Il y a 2 ans, ces deux-là décident d’explorer la période sixties de Dr. John, avec l’album « Night Trippin’ », un sulfureux mélange réunissant la tradition de la Nouvelle-Orléans, l’ambiance roots électrique du blues et la voix singulière de Hugh. Dans la Nouvelle-Orléans originelle, sombre et mystique, un peu éloignée des circuits pour touristes, Dr. John était « le Grand Zombie », venu d’un autre temps.
Matthis Pascaud et Hugh Coltman tombent un jour (ou une nuit ?) sur les albums « Babylon » et « Gris-Gris », actes fondateurs de la légende Dr. John.
Trois ans après la disparition du Docteur, Malcolm John Rebennack de son vrai nom, Matthis et Hugh proposent plus qu’un hommage, presque une célébration, une procession.
Dans une ambiance noire et feu, poudrée par la fumée, leur groove avance lentement, tel un alligator dans la mangrove. Envouté par un sorcier Voodoo, le dandy Coltman se déchaîne. Le Mississipi coule dans ses veines et son flot habituellement suave, déchire le velours installé dans la salle de la Sirène par Célia Kameni. Le son volontairement pourri du micro est rock, bestial et dépouillé. Les solos de guitare de Matthis Pascaud, la voix et le corps en trance de Hugh Coltman mais aussi le jeu brut de leur troupe embarquent le public rochelais mystifié et totalement séduit. Le son direct et ténébreux du sax de Christophe Panzani soutient les phrases d’un Coltman transfiguré.
Britannique mais parisien d’adoption, Hugh Coltman est un chanteur de jazz, mais le son rock blues lui colle très très bien au costume. Est-ce une façon d’égratigner son image trop lisse de crooner laissée par les albums « Shadows : Songs of Nat King Cole » (2015) et « Who’s Happy » (2018). De son côté Matthis Pascaud est un compositeur qui réunit ses influences rock et jazz. Entendu aux côtés de nombreux artistes dont Anne Paceo (projet Rewind), de la saxophoniste Sophie Alour, de la chanteuse Ayo et de Marion Rampal.
Très sincèrement, ce n’est pas notre « came », mais l’énergie est là. La puissance, le jeu, le son, l’énergie… tout rappelle ou évoque le mystique et poisseux univers du Docteur, sans l’imiter, sans le caricaturer et ça le fait grave dans la salle de la Sirène ! Souhaitons à « Night Trippin » et à ses géniteurs le même succès qu’à D. John qui a remporté pas moins de six Grammy Awards et a été introduit au Rock and Roll Hall of Fame en 2011.

Merci !

La 25ème édition tire ainsi le rideau : merci et bravo pour leur foi et leur belle énergie à Laurent Pironti, Ludovic Denis, Patrick Beyne, Léa Trambouze et toute l’équipe de la Sirène qui proposent tous les automnes, un rendez-vous jazz toujours ouvert, éclectique, exigeant et accessible à la fois, dans la très belle La Rochelle.

Par NN & Vince, photos Philippe Blachier