© Jean-Baptiste Millot

Pour ce premier épisode, Jean-Michel Leygonie. Né en 1964, ce natif de Marseille bascule dans la musique dès l’adolescence en découvrant la musique le jour, chez les disquaires de Salon De Provence et le soir, à l’écoute de Radio Alger Chaîne 3 où il y développe une passion pour le jazz et la pop anglaise. Au lycée de l’Empéri, il découvre l’organisation de concerts et débute un parcours qu’il poursuivra en s’installant dans le Limousin. Dès 1983, il prend la tête du foyer rural de La Roche-Canillac en Corrèze et programme des concerts mêlant jazz et musique classique en y invitant Guy Lafitte, Claude Tissandier et Ray Brown pour en citer quelques-uns. Devenu chargé de mission pour les Musiques Actuelles dès 1989 au sein de l’ASSECARM LIMOUSIN, il dirigera le Festival Jazz en Limousin de 1989 à 1995. Toujours installé dans le Limousin aujourd’hui, il est depuis 2006 le fondateur et directeur artistique du label Laborie Jazz.

Comment a commencé votre parcours avec le label ?

Au départ, l’Association pour la promotion de la musique baroque en Limousin soutenait un orchestre classique qui s’appelait l’Ensemble Baroque de Limoges. Selon le schéma directeur du Ministère de la Culture, chaque région soutenait un orchestre classique et une salle, ce qui n’était pas le cas pour cet orchestre. Devant ce manque, Christophe Coin qui dirigeait l’orchestre souhaitait un lieu pour travailler. En 1996, le conseil d’administration de l’association a procédé à l’acquisition du Château De La Borie, et a intégré au fur et à mesure des années des installations dont un studio d’enregistrement et une salle qui a accueilli ses premiers concerts en 2001. En 2002, l’association a constaté qu’il fallait des activités artistiques autres que la musique baroque et m’a appelé pour créer la partie Jazz. J’ai pris en charge la partie « Jazz et musiques du monde », et nous avons organisé des concerts et des résidences d’artistes pendant quatre ans. En 2006, le Ministère de la Culture a demandé à Christophe Coin de relancer sa production phonographique. On a décidé du coup de créer le label Laborie, avec un département classique qui produisait les disques de l’ensemble baroque de Limoges et un département Jazz que je dirige toujours.

Au total, le label regroupe un catalogue de 57 albums dont 3 produits depuis le début de l’année avec « Waterworks » du trio Gael Rouilhac, « Deep Rivers » de Paul Lay, et « Samâ » de Anne Paceo. Avez-vous une démarche artistique particulière pour signer vos artistes ?

Sauf exception dans l’album « All Is Well » de Lisa Simone où il y’a des reprises, le label ne propose pas de disques de standards, ou en hommage à tel ou tel musicien. Je fonctionne essentiellement au coup de cœur, et privilégie les jeunes compositeurs français et internationaux. C’est une donnée commune pour tous les enregistrements. Tous les musiciens signés m’ont apporté beaucoup d’émotions, et à chaque fois que je suis allé à leur rencontre, j’ai fait la connaissance de grandes personnes dans leur intelligence, leur engagement dans la musique, le regard qu’ils avaient sur leur travail. C’est le critère de signature que j’ai avec ces artistes, beaucoup d’entre eux ont signé au moins deux albums avec le label, ce qui correspond à une collaboration d’à peu près quatre ans. Dans le cas de Anne Paceo, Paul Lay ou Perrine Mansuy, on est sur des collaborations de six à dix ans, Anne et Paul ont publié tous leurs projets en leader chez nous.

Le slogan de votre label est « L’émotion de la découverte ». Comment définissez-vous le jazz que vous voulez faire découvrir ?

Ce qui est important dans les disques que l’on produit, c’est d’avoir une richesse mélodique, avec un univers très défini. Vous prenez le disque « On Air » du Benjamin Moussay Trio sorti en 2010, Leila Martial, ou Cassius Lambert qui est un génial bassiste suédois, qui propose de longs morceaux avec des mélodies qui montent en puissance. Nous avons une ligne éditoriale concentrée sur les jeunes compositeurs français ou internationaux, mais esthétiquement nous n’avons pas de barrière. Ce qui me plaît toujours, c’est de rencontrer des gens pour leur dire « prenez le temps d’écouter ça, prenez 50 minutes dans votre journée ou votre semaine pour mettre ce disque sur une platine, que ce soit du jazz ou pas et écoutez ça. » Et chaque fois que j’ai pu le faire moi-même avec des gens qui n’étaient pas dans ces univers là, dans 90% des cas, les retours étaient « Mais c’est vachement bien, quelle mélodie, quelle musique, quel musicien ! ».

En 2014, vous déclariez à Libération que vous vous étiez fixé une production de « 5 à 7 productions annuelles ». Aujourd’hui, vous avez un nouvel objectif où vous comptez rester sur cette allure ?

Il y’a un nombre nécessaire d’albums à produire pour faire vivre un label indépendant comme le nôtre. Dans notre cas, on est obligé de sortir 4 à 8 productions par an. Aujourd’hui, un label qui n’arrive pas à sortir au moins 5 productions annuelles est voué à une économie et un développement hyper réduit. Même avec des artistes confirmés comme Anne Paceo, Paul Lay ou Émile Parisien Quartet, il faut réussir à produire. Mon idéal de fonctionnement, ça serait un maximum de 8 à 9 albums par an, mais c’est un objectif qui est difficile à réaliser pour notre petite équipe. On l’a fait en 2018 mais nous n’avons pas pu travailler tous les albums de la même façon.

En termes de distribution, vous distribuez en physique et numérique le travail de vos artistes en Europe mais aussi à l’international. Vous êtes notamment le premier label français indépendant à avoir exporter son catalogue en Chine. C’est une fierté pour vous ?

Ça n’est pas une fierté, c’est plus une envie de développement économique. Nous avons en effet été le premier label français indépendant (tous répertoires confondus) à signer un accord de distribution physique et numérique avec une entreprise chinoise qui s’appelle Starsing Music. J’imagine que d’autres ont réalisé une collaboration similaire depuis, mais je sais que nous avons été les premiers. Je ne tire pas de gloire de ça, mais ça a été un de mes principaux objectifs dès que j’ai pu racheter et développer le label. Je voulais travailler depuis longtemps avec la Chine, car c’est un pays qui s’intéresse à tous les domaines avec curiosité. Lorsqu’une discipline artistique est sur le marché, ils regardent si ça peut être développé chez eux. Lorsque on parle de musique, on a toute une vérification qui décide si votre artiste pourra ou ne pourra pas être diffusé. Si vous avez des textes trop politiques ou trop engagés, vous ne pourrez pas vous produire là-bas. Mais si vous prenez conscience que votre musique est belle, et que vous avez des choses à proposer à des oreilles neuves, il faut tenter le truc, et on l’a fait. Trois ans après la signature du contrat, on ne gagne pas d’argent, on n’en perd pas non plus mais on a fait pas mal d’actions en Chine qui nous permettent d’être identifiés et respectés. Ce sont des gens artistiquement très curieux, et quand ils sont partis dans une ouverture artistique, ils s’y intéressent beaucoup. À ce titre, une convention d’objectifs a été signée en décembre 2019 à Bordeaux entre plusieurs acteurs des Musiques actuelles de la Région Nouvelle Aquitaine (dont Action Jazz) et plusieurs représentants chinois de l’industrie musicale.

Est-ce que le confinement a opéré des changements dans le label et l’organisation de vos événements ?

Vous êtes en plein dans l’actualité puisque on va bientôt décider de maintenir ou non Ermi’Jazz, (festival produit par le Label au Studio de l’Ermitage à Paris). Ce dernier est prévu du 23 au 25 septembre, mais je crains que les salles parisiennes se mettent en ordre de marche début octobre. En termes de travail ça n’a pas marqué de temps d’arrêt. Le confinement nous a permis de remettre le label à jour dans tous les domaines. Nous avons pu trier, archiver, reclasser les dossiers et ranger tous nos historiques depuis 10 ans. Le catalogue et le site ont également été actualisés. C’est forcément au niveau des concerts et les enregistrements qu’il y’a eu quelques changements. Les deux sorties de Anne Paceo et Gaël Rouilhac ont été décalées juste à temps. Le disque d’Anne sortira le 11 septembre, et celui de Gaël le 25. Après purement économiquement et commercialement, il faut que l’activité reprenne fin mai pour notre entreprise, parce que la période d’été n’est jamais une bonne période pour la vente de disques, et nous donner rendez-vous en septembre/octobre aurait été un challenge difficile pour nous au regard de notre économie.

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