Troisième épisode, Eric Debègue à l’honneur. Né en 1967 dans les Deux-Sèvres, cet originaire de Niort découvre la musique par sa propre initiative, et passe rapidement d’une sonorité à une autre. Du Boris Vian et du Charles Aznavour entendus chez ses parents, il achète et écoute ses premiers disques (Earth Wind & Fire ou Donna Summer en tête), avant de découvrir Véronique Sanson dont il est encore aujourd’hui « un éternel inconditionnel ». Forgeant sa jeunesse sur des airs de funk et compagnie, il découvre le jazz grâce à Pascal Ducourtioux lors d’une rencontre à La Rochelle à la fin des années 80. Comédien et danseur à cette époque, Eric Debègue fonde une association et décide petit à petit de se lancer dans la production musicale. Nous sommes en 1996 : le label Cristal Records voit le jour.

Comment vous en êtes venu à créer Cristal Records ?

J’ai fondé une association en 1992 sous l’impulsion de mes amis Pascal Ducourtioux et Gérald Dierrick. À cette époque, Pascal jouait dans un groupe de jazz, Gérald avait une formation de blues tandis que je m’occupais de ma compagnie Tap Dance, et nous souhaitions fonder une association qui gérerait nos projets communs. Pascal a commencé peu après à travailler sur un premier album avec son groupe Café Noir, et souhaitait que l’association finance son disque, chose dont j’étais en désaccord car j’estimais que ça n’était pas le rôle de l’association. J’ai fini par me rabattre en fondant un département musique, et tout est parti de là ! J’ai créé la société Reflet (ancien nom de Cristal Groupe) pour mes projets personnels et j’ai produit le projet. Beaucoup d’artistes sont ensuite allés à ma rencontre pour me présenter leur travail, et je me suis fixé un ultimatum à ce moment. J’ai orienté ces artistes vers une personne que j’avais embauché fin 1996, en me disant « On essaie un an et on fait le bilan. Si j’ai perdu trop d’argent, on arrête, sinon on continue. »

Avez-vous fait face à des difficultés particulières au lancement de Cristal Groupe ?

Lancer un label indépendant en province a été un vrai défi pour moi car c’est quelque chose qui se faisait très peu. Lors des prémices du label en 1994-1995, je suis monté à Paris pour proposer une reprise d’un groupe de mon catalogue à Claude François Junior et Stéphane Cosnefroy, qui s’occupait des compilations de reprises de Béatrice Ardisson. Nous avons fait connaissance en abordant mon projet, et ils m’ont ri au nez en me souhaitant bon courage, car c’était quelque chose de totalement nouveau à l’époque. A partir de ce moment-là, ça a été une volonté de prouver qu’il était possible de fonder un label et faire des projets sans forcément être à Paris.

La label Cristal se déclare comme « le label de tous les jazz ». Musicalement, vous présentez un catalogue aux nombreuses esthétiques, regroupant du be-bop, du swing ou du latin jazz entre autres : André Ceccarelli, Bruno Tocanne David Reinhardt en solo et trio, Jeff Ballard, Kazumi Watanabe, Riccardo Del Fra, ou Yvan Le Bolloc’h.  Vous avez des critères pour choisir les artistes avec qui vous allez travailler, ou vous vous accordez une liberté pour offrir le catalogue le plus riche possible ?

C’est une très bonne question ! (rires) En vérité, j’ai créé le label sans m’imaginer être producteur de disques ou éditeur musical à un moment de ma vie. Je l’ai fait pour aider des amis convaincus par leurs projets, et c’est de cette manière que le label s’est développé. Ce qui compte pour moi, c’est de rencontrer un artiste qui nous touche et qui croit sincèrement en son projet, qu’importe qu’il vienne de Chine ou de la Rochelle. La localisation des artistes n’a jamais été un critère pour moi. Le label laisse une totale liberté aux artistes et ne fixe aucune ligne artistique particulière, ce qui nous a longtemps été reproché en nous décrivant comme un label « fourre-tout » sans comprendre nos convictions.

Au bout de six ou sept années, le label avait un gros catalogue avec beaucoup de disques qui n’avaient rien à voir les uns avec les autres et qui nous ont incité à créer des marques. Yvan Le Bolloc’h ne peut décemment pas côtoyer Riccardo Del Fra car ça n’a strictement rien à voir, donc on est rentré dans certaines conventions tout en conservant cette ligne militante qui nous a été longtemps reprochée. Notre volonté n’est pas de créer un label de pop ou hard-bop, mais un label de musiciens.

Votre label propose un accompagnement complet dans tous les secteurs de promotion et distribution des projets artistiques puisque vous vous occupez de la communication, du graphisme et du développement à l’international entre autres. C’est important pour vous d’accompagner autant les artistes ?

C’est une volonté ! Je me reconnais dans les artistes avec qui je travaille, car j’ai aussi connu les difficultés du milieu artistique. J’ai beaucoup souffert dans ma carrière d’être seul en termes d’accompagnement. Lorsque j’ai commencé ma carrière en 1992, les groupes de musique qui jouaient dans les bars était dans un système compliqué où personne ne déclarait ni ne payait personne. Quand vous êtes musicien ou artiste, vous pouvez avoir envie d’être épaulé par quelqu’un qui s’occupe de vous, et c’est un point d’ordre que je me suis fixé dès que j’en ai eu l’occasion. Accompagner les personnes avec qui je collabore de A à Z dans un esprit coopératif et relier des gens compétents au service des projets, c’est mon cheval de bataille.

Vous déclariez lors d’un entretien à l’Express en 2004 vouloir faire de Cristal Records « le premier label totalement indépendant de France ». 16 ans après, objectif réussi ?

Alors ça je ne peux pas vous le dire ! (rires) Il faudrait savoir sur quels critères on peut être premier label jazz indépendant. Si les critères prennent en compte le volume de contrats signés et d’albums publiés, c’est possible : Le label existe depuis 24 ans, a sorti entre 450 et 500 albums depuis, continue à produire et sortir des disques depuis la province. Après est-ce qu’être premier label, c’est signer Melody Gardot et faire disque d’or ? Je n’en ai aucune idée.

Est-ce que la récente période de confinement a impacté le fonctionnement de Cristal Records ?

Bien sûr le confinement a été très impactant. Très peu de projets sont sortis en début d’année, beaucoup de disques sont arrivés pendant la période de confinement, et c’est quelque chose qui fait mal au cœur quand on voit le travail et les sacrifices que font les artistes. D’autant plus que les albums publiés pendant la fermeture des magasins sont des albums « mort-nés », car les médias n’ont pas pu en parler, un grand nombre d’autres projets sortis plus récemment ont été présentés à la réouverture. En termes de sorties sur l’année, nous sommes passés de 25 à trois albums, ce qui nous a orienté vers une catastrophe économique qui a été évitée grâce à notre diversité artistique.

En dehors de Cristal Records, on peut également citer le label 10h10 consacré aux musiques du monde, BOriginal dédié aux musiques de films et aux bandes originales, le label Telquel consacré aux artistes francophones, Cristal Production pour le spectacle vivant, Cristal Publishing, pour la musique à l’image, le logiciel d’écoute Cristal Zik, les Studios Alhambra, entre autres. Il y’a-t-il une branche à laquelle vous consacrez le plus de temps ?

Je m’occupe moins de Cristal Records depuis longtemps déjà. Je le dirige, détermine les grands axes stratégiques. Le nombre de fois ou mes experts comptables m’ont dit que j’étais complètement fou en signant certains projets qui même en faisant des plans de financement me feront perdre de l’argent. Je réfléchis avant tout en humain plutôt qu’en bon chef d’entreprise, ce qui n’est pas toujours compatible avec la gestion d’un label. J’ai une équipe dédiée qui se charge de sa gestion. Maintenant, je suis davantage impliqué sur la musique à l’image et production de musiques de films, du tournage jusqu’à l’enregistrement studio.

C’est la question habituelle de fin d’entretien : Que conseillez-vous aux lecteurs de La Gazette Bleue dans le catalogue Cristal Records ?

Je pense aux albums « Skin In The Game » et « Azadi » de David Linx, à Riccardo Del Fra, Ozma et beaucoup d’autres, je dirais qu’il y’en a pour tous les goûts. J’espère simplement rendre les gens curieux, et leur faire rendre compte sur il y’a quelque chose d’unique à trouver sur chaque album.

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