Jazz (s) à Trois-Palis 2023 # 3

17 septembre – Église de Trois-Palis

11h – Daniel Erdmann, sax

1-

Il suffit d’un souffle qui pense, qui ressent, qui transpire pour entrer en méditation. Peu à peu, sauts d’octaves et petites variations enluminent le thème. Duke Ellington en est la trame, tissu fin en fond d’ouvrage. Même si l’église est éclairée, c’est une belle pénombre qui laisse percer le jour de la création. Daniel Erdmann s’enroule autour des thèmes, les frôle tout d’abord puis les séduit en les enveloppant, en leur exprimant une tendresse.  Le sax comme vecteur d’affection, de respect, d’hommage. Daniel prend les détours avec une infinie douceur pour que le son se propage dans sa plénitude, on en entendrait le silence… Soudain, il cueille le swing à l’orée d’un ralenti.

Comme des échos révélateurs, Daniel fait entendre la poésie du Duke, il rend au son et aux harmoniques leur géométrie, leur courbe, leurs déliés, sax et Daniel faisant corps – le musicien danse aussi-, on entend un sublime entêtement à inventer les tonalités, prismes ludique ou amoureux. Les ralentis somptueux traquent la surface du son – d’un papillon vers un autre papillon – sa passionnante rugosité, le lieu de son écorce, de ses aspérités. Un esprit rôde, le musicien équilibriste touche le fil ellingtonien glissant sur lui précautionneusement. Laissant s’évaporer un morceau, il change de thème.

Parfois juste le pointillé, slappé, relieur habile d’un thème, quelques points posés dans l’espace ravivant la mémoire. Le sax tourne ensuite les pages pour passer à un nouveau récit. Le répertoire défile ainsi dont les transitions sont des appels à l’inspiration naissante sous nos yeux ; quand il s’acharne, quel joli verbe le concernant, c’est pour en retirer la substantifique moelle.

Poèmes d’amour pour lui, immersion totale dans la création pour nous.

Un génie de la métamorphose.

17h30 – foyer communal à Trois-Palis

Vincent Courtois, violoncelle

Daniel Erdmann, sax

Robin Fincker, sax tenor, clarinette

« Nothing else »

Tous trois tiennent la même note -un trio de 13 ans d’âge…- construisent à premier abord l’inquiétude du son, notes longuement tenues pour une marche vers la gravité. Les sax tenor s’accordent pour maintenir l’obscurité, Vincent Courtois s’en empare pour en accentuer l’étrange, l’impulsion frénétique ; le tourment, moteur de l’insatisfaction et partant de la frugalité, réponse désespérée ou au contraire espoir d’une inscription dans un monde instable.

 Passage à une fébrilité par la répétition de notes amorcées, abandonnées, reprises, et qui finissent par faire corps grouillant, esquisses devenant tableau finalisé, aux mille éclats, Pollock en somme…

 Vincent a lâché son archet, ses doigts absorbent les cordes pour s’approcher de la sensualité des deux saxs ; un vieux blues désintégré, déjanté tente sa plainte, pourtant le tempo s’accélère, la course folle du monde contemporain a besoin de dire. Les trois partent dans l’accélération, accrochant par endroits quelque regret. Se retourner un peu mais en avançant !

 Après, ils re-fragmentent, découpent le son, des obliques, des éclairs, des ruptures, cubique en quelque sorte… Violence du monde segmentée, Vincent reprend son archet pour gratter à proprement parler les cordes de son violoncelle. Grincement, bruit, quand commence la musique ? quand elle exprime et tous trois se rencontrent là. Robin Fincker a troqué son sax pour sa clarinette, le tempo bat comme une pulsation exigeante, sensation d’un folklore antique dans les mains de Vincent courtois, accompagné de même par Robin, Daniel Erdmann maintient une mélodie linéaire de sons continus. A son tour, Robin raconte, illumine l’espace alors que Vincent et Daniel sillonnent dans un parfait duo la mesure. On assiste soudain à l’éveil de la nature au printemps quand tout s’éclaire, s’anime, et c’est en même temps un paysage mental, aux états d’âme variables, l’archet de Vincent travaille l’impatience, fourmillement d’images, comme en recherche, attendant un autre lieu qui accueillera encore l’improvisation. Un accord maintenu peut en effet transporter ailleurs, son élastique, poreux, porteur de méditation, un chant s’en dégage, somptueux.

Tous trois y laissent les derniers éclats nous aveugler.

2-

 Un démarrage tout en frivolité, clarinette, sax et violoncelle, trois voix qui semblent flirter avec légèreté, une conversation susurrante.

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A tous les musiciens, à ce festival Trois Palis et à son équipe conduite par Bruno Tocanne, vous ne savez pas à quel point vous transformez, vous transportez, vous déplacez nos vies. Pour cela, merci. A bien vite !

Par Anne Maurellet, photos Frédéric Boudou

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