Jazz (s) à Trois-Palis 2023 # 2

16 septembre – Église de Trois-Palis

11h – Joachim Florent, contrebasse

Le silence de Joachim Florent qui précède explique peut-être cette première note rejouée pour qu’on entende sa profondeur. Esprit, tu es là ! Le jeu sobre livre des résonances, les faibles nuances d’un monde juste sous la peau de la terre ; prêtons l’oreille, grouillement subtil, bourdonnement délicat, frôlement du son, fragilité de l’être et son obstination, parfois il restitue l’ombre de Bach, ou sa lumière, une esquisse, et puis, il agace son archet pour une musique plus salvatrice, dense en pointillés, une discrète élégie, des graves fouillés que l’écho de l’église respecte, musique profane a-t-il dit ?… Esthétique du son, soucieuse de restituer son nectar. Rien que ça ! Pour nous, entendre le sens de la musique ainsi dépouillée juste en écoutant.

C’est ainsi qu’on atteint la paix intérieure parce que le musicien traduit, traverse, assimile, renverse nos perceptions ?

 Joachim Florent poursuit l’épure, par le rebond simple de l’archet, puis les notes attrapées, pincées comme une harpe créent un espace minimaliste blanc où le tempo retourne à sa naissance, cherchant dans la répétition, le balancement, une autre voie/voix, que l’imperceptible frémisse encore, superpositions de voiles suspendus dans le vent, attentifs au moindre mouvement de la brise.

Une autre voix sort des ténèbres, peu à peu colorée, encouragée ? par celle de Joachim, deux êtres vivants en somme.

Joachim désaccorde sa contrebasse, la dissonance aggravant le grondement, une nouvelle danse au désir archaïque appuyé par la voix du musicien surgit, sorte de chant tribal et mystique, ça se peut…

 Reste progressivement l’essentiel, un tracé dans les nimbes, un bruissement, ce qu’il restera de nous.


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12h30 –

Morgane Carnet, saxs

Morgane Carnet explore tous les possibles de son saxophone baryton, sa douceur, son amplitude, sa puissance. Des tressaillements à l’épuisement de l’instrument comme si elle le façonnait. Elle en cultive les soubresauts, les volte-face, les colères. Caressant puis irritant l’instrument, Morgane le bouscule, le traque. Répéter toujours, bloquer l’air, faire frissonner le baryton, et luire aussi.

Son sax est un appel aux aurores fraîches, à l’éveil de la nature, la prolifération croissante des sons, ses chaos sporadiques. Elle rend aussi au son son « gras » et c’est ce qui peut faire les bons plats…

Les moments de délicatesse, savamment remplis par le silence, alternent avec les cris aigus et irrités du sax. On dirait parfois que l’instrument cherche l’apaisement rapidement rattrapé par son inquiétude prolifique.

Elle reprend son baryton, façon sirène de paquebot, lui, somptueux, massif, au son métallique et cuivré. Morgane carnet en dégage une sensualité inattendue, puissante ET attendrissante. Le son monte dans l’église s’épanouissant au fur et à mesure qu’il s’élève.

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20h30 – foyer communal à Trois-Palis

Anne Alvaro, voix

François Corneloup, sax baryton

Interpréter des auteurs comme traduire des émotions à travers le saxophone baryton, ainsi commence un récit insolite. Anne Alvaro dit le texte d’Italo Calvino et on entend justement sa musique. Finalement, il est question de souffle, et le silence intermittent laisse l’imaginaire prendre forme.

Chorégraphie des mots et partition improvisée, et Anne fait même chanter les mots. La fascination pour la vague, c’est l’espoir pour Monsieur Palomar d’une construction mentale rassurante, juste cela, mais la vague est un instant, pas l’éternité, malgré le vent qui la soulève dans le baryton de François Corneloup.

Alors le texte fini, François joue le désarroi puis les élucubrations habiles, l’étrangeté des mots d’un monsieur Palomar soi-disant démuni.

 Que raconte le récit ? C’est quoi une description ? Dire l’écrit, c’est tenter de nouvelles images, au lecteur/public de poursuivre le travail. Les mots de Samuel Beckett ponctués par le balancier musical et répétitif de François Corneloup conciliabulent un l’instant pour retourner dans les cases du temps. Dire, c’est énoncer les minutes de nos interminables ou fantastiques vie -à choisir-

La musique perçoit, libère, pousse les mots dans leur retranchement ou dans leur poésie… Pour finir encore, quelques mots ralentis par Anne, ponctués par François, alors nous reconstituons. Reste la respiration du baryton, celle des mots fatigués comme l’histoire de cet homme qui retient pourtant encore la vie ainsi. 

Sommes-nous spectateur de notre vie, même quand nous créons.

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21h30 –

Laurent Dehors, clarinette, saxs, cornemuse

Céline Bonacina, sax, voix

Laurent Dehors assure la quadrature du cercle pour commencer, et laisse Céline Bonacina enlacer des bras et des mains avec sophistication son sax baryton. A son tour, il tournoie, contorsionne son sax.

Après avoir donné le rythme en tapant dans leurs mains, ils tracent des myriades de sillons, dessins dans l’espace à la Picasso filmé par Clouzot en pleine création, légèreté, dentelle fine et travaillée, découpage délicat, entrelacs complexes et chatoyants !

Après les deux premières compositions de Céline Bonacina, celles de Laurent Dehors suivent et ainsi de suite, avec Attention à tes béquilles, Laurent traduit une fin de vie un peu bancale, mais cahoter ainsi, on veut bien ! Petit intermède charmant donc.

Lui conjugue les vents par jeu mais aussi pour envoyer toutes les couleurs, les textures aux compositions. Le dialogue entre les deux musiciens est une intrication de sons, Céline et Laurent redonnent aux instruments leur dimension ludique, leur tendresse.

Hommage à Olivier Messiaen et Louise Bessette pour Les oiseaux, virevolter, piailler, pépier, le plaisir du son vif, joyeux, léger, dextérité au service du détail dans le son, de son approche, de sa réalisation, de sa mise en scène. On s’amuse avec eux, perchés sur les crêtes de la musique. Haute voltige !

L’humour de lui, je passe, mais ça mériterait le détour. Moment circassien, les instruments cherchent leur mariage, approche douce pour y parvenir : ils se frôlent, se séduisent, s’harmonisent, un instant de bonheur fugitif ? 

Céline mâche son baryton, fabrique des états du souffle propice au détournement ; les virages sur deux roues crissantes ne tardent pas à défiler sur la ligne d’arrivée. Open the door.

Les petits escaliers ou petites marches se montent avec précaution avant que l’on chemine cahin-caha, comme une petite traversée tranquille et délicieuse, les instruments n’en finissant pas de tourbillonner lentement pour qu’on s’en délecte, on veut se laisser faire… Ils empruntent tous deux le chemin d’une joie gracile, amusée du monde, heureuse que leurs notes apportent cela.

Céline chante, demandant à son sax baryton un juste tempo, comme un battement nerveux continu – Earth’ s Breath – elle engage la clarinette-contrebasse à la solliciter, ce que Laurent ne tarde pas à proposer.

Un duo parallèle s’ensuit, deux instruments, une seule voix, mais alternent des revendications, des désirs d’indépendance, d’une harmonie vite avortée. So British ! ….

La dernière Valse est une valse bancale, quelques coquineries avant l’extinction des feux de la vie. Ça fait envie !

Si Disco veut dire fantaisie, ils trublionnent avec leurs instruments, dédoublement, swing, comment restituer ce feu d’artifice des sons, cette fête !

Il y a bien longtemps qu’ils nous ont embarqués, mais cet air écossais à la cornemuse débauchée nous réjouit aussi, de toute façon, on ferait bien le tour de la terre, main dans la main totalement charmés -au sens fort du terme- par leur inventivité. Fantaisie brillante et multiplicité d’approches de leurs instruments, dentelles incessamment découpées, mosaïques chamarrées, un voyage sans le moindre caillou dans le sac à dos !

Par Anne Maurellet, photos Frédéric Boudou

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