Jean-Marc Montaut Quartet

Dimanche 9 juillet – Les Tilleuls 15h00

Le 23 juin dernier, le cinéma Utopia de Bordeaux projetait une version restaurée en 4 K inédite d’ « Autour de Minuit », l’un des célèbres films de Bertrand Tavernier, grand passionné de jazz. Un acte d’amour pour une musique vitale, dans son universelle plénitude. En guise d’introduction, le groupe « Drive-In » mené par le pianiste Jean-Marc Montaut, réuni à cette occasion en duo avec la contrebassiste Nolwenn Leizour, nous joua quelques morceaux choisis, dont le joyeux scintillement, assorti des explications précises et savoureuses du pianiste, mirent bien en relief les liens qui unissent depuis toujours jazz et cinéma. Une présentation, puis un débat après le film, auxquels nous étions aimablement invités à participer, permirent de constater le vif intérêt du public pour cette musique, et ce film que beaucoup semblaient découvrir. A Monségur l’écran blanc a fait place à un mur végétal en fond de scène, des feuilles de tous verts naturellement éclairées entourant la célèbre plaque « Place des Tilleuls ». C’est en quartet que s’y est produit Drive-In, Marie-Hélène Gastinel – Maya (batterie) et Yann Pénichou (guitare) ayant rejoint le duo de l’Utopia, une parfaite parité qui servira au mieux le répertoire choisi, en des interplays, à la fois subtils et chaleureux. Le concert est lancé en douceur avec une jolie reprise du « But not for me » de Gerschwin, l’occasion de percevoir d’entrée la qualité de jeu perchée de ce quartet « cinématographique », personne n’en doutait !

Sous un soleil de plomb, ce véritable film en direct se poursuit sans que ses bobines n’en fondent et encore moins les nôtres, avec une très belle version du « 12 + 12 » de Vladimir Cosma, tirée de la bande originale de « Le Jumeau » d’Yves Robert. Jean-Marc Montaut nous précisera que l’honorable compositeur d’à peine 83 printemps était en concert à Paris il y a 15 jours, comme quoi, le cinéma et le jazz, ça conserve ! Nous le retrouverons un peu plus loin pour une devinette musicale, dont la réponse est « Le bal des casses pieds », un morceau au rythme enjoué qui fait réapparaître les images de ce film à sketches d’Yves Robert, c’est la magie des années 70 qui ressurgit ! Nous nous régalons de ces musiques et des commentaires savants du leader. Cela réactive tant de bons souvenirs, bien souvent amicaux et familiaux, et souligne encore aujourd’hui le lien resté intact entre l’art des images et celui des sons, l’un catalysant l’autre et vice versa ! Entre-temps, quelques pépites ont défilé, parmi lesquelles « The Sheik of Araby » de Benny Green, des chorus de grande élégance ont fusé de toutes parts, piano, guitare, batterie et un remarquable passage à l’archet de Nolwenn Leizour. D’autres pièces ont particulièrement ému le public, comme celle de François de Roubaix pour le film « Le vieux fusil » de Robert Enrico, bouleversant ! Enfin un bel hommage a été rendu à Michel Legrand sous la forme d’un saisissant medley, à la hauteur de l’estime portée à ce grand homme ! Au final c’est un concert « malin » que nous ont offert les Drive-In, nous donnant ainsi l’envie rafraichissante de réécouter ces bandes originales et de revoir ces films ! Impeccablement interprétés en direct, si vous voulez garder trace « studio » de ces thèmes, sachez que la plupart d’entre eux figurent sur l’album du même nom : « Jean-Marc Montaut Quartet – DRIVE-IN » (Frémeaux & Associés). Vous voyez, c’est facile à retenir ! Soyez assurés qu’il vous faut ce disque, parole de cinéphile jazz addict !


Jérôme Etcheberry – Popset

Dimanche 9 juillet – Les Tilleuls 17h00

Jérôme Etcheberry (trompette lead, arrangements)
Malo Mazurié (trompette)
César Poirier (saxophone ténor et clarinette)
Mathieu Najean (saxophone baryton et alto)
Ludovic Allainmat (piano, orgue)
Félix Hunot (guitare, banjo)
Raphaël Dever (contrebasse)
David Grébil (batterie)

Véritable légende du jazz, Louis Armstrong a marqué plusieurs générations et continue aujourd’hui à susciter un vif intérêt, que ce soit dans les écoles de musique, les conservatoires ou au sein des formations les plus pointues. Créant une intimité avec lui, toujours respectueuse, ses surnoms « Pops » et « Satchmo » ont fait le tour de la Terre, ou même bien plus loin au cœur de l’univers étoilé, sans nul doute lors de la fameuse jam cosmique qu’il anime encore surement aujourd’hui, avec ses camarades fondateurs ! Le « Popset » du trompettiste Jérôme Etcheberry lui rend un vibrant hommage grâce au projet Satchmocracy qui annonce presque tout de l’amour qu’il lui témoigne, et du message engagé du maestro, maintes fois relayé au cours du set, car l’œuvre de « Satchmo » et son histoire prouvent, s’il en était encore besoin, qu’il fut bien plus qu’un simple entertainer ! A la tête de son octet, formé d’excellents musiciens, tous aussi passionnés que leur leader, Jérôme Etcheberry nous invite à une célébration des musiques de Louis Armstrong, des années 20 à 40, au travers de morceaux aux signatures diverses, souvent accompagnés d’une savoureuse anecdote. Ainsi avec « West End Blues », de King Oliver et Clarence Williams, nous sommes téléportés à Nola (New – Orleans), quartier Pontchartrain, un morceau de 1928, Satchmo a 27 ans ! Suivront « Ain’t Misbehavin’ » de Fats Waller, un « Cornet Chop Suey », référence à un plat asiatique dont Louis Armstrong était friand ! Les années 40 arrivent à grands pas avec « Chicago breakdown » de Jelly Roll Morton et surtout « King of the Zulus », dédicace engagée de Louis Armstrong aux peuples qui se soulevèrent en Afrique du Sud. Satchmo était devenu ce « King » et Jérôme Etcheberry nous indique que ce morceau « …c’est une sorte de « Petite révolte », à la manière d’un défilé, Satchmo se trouva même en tête de celui du Mardi Gras à New-Orleans en 49, Quartier Champ de Bataille… ». Le public, de tous âges, est captivé par cette musique et par ces explications qui éclairent chaque thème repris, indiquant que parfois, leur message est malheureusement toujours d’actualité ! Un peu plus tard un autre morceau fut repris de la riche collaboration entre le pianiste Earl Hines et le Hot Five de Louis Armstrong, vers la fin des années 20. Titre mystère ! Enfin l’on ne manquera pas d’évoquer l’histoire de « Potatoe head blues », titre signé Armstrong en 1928 dont voici le bref récit conté sourire aux lèvres par notre leader : « … à l’époque, il se disait qu’il n’y avait pas assez de beaux gosses dans les parades. Ceux qui acceptaient malgré tout de s’y joindre ne savaient pas jouer. Alors on leur mettait des patates dans leurs instruments pour ne pas trop les entendre ! ». Musicien et arrangeur émérite, mais aussi historien du jazz, Jérôme Etcheberry a su s’entourer du groupe idéal afin de faire revivre à ses côtés la musique de Louis Armstrong, que l’on perçoit très actuelle et vivante, et dont les messages souvent souriants, ou graves parfois, ont permis une prise de conscience. Concert très apprécié par un public venu en nombre, jamais découragé par les lourds rayons de soleil, auxquels le Popset a lui aussi courageusement résisté ! Conquis par cette « Satchmocracy », nous avons tous voté pour !  


Emmet Cohen trio

Dimanche 9 juillet – Les Tilleuls 19h00

Qui aime la « nouvelle vague » des pianistes jazz new-yorkais a au moins une fois visionné les fameux « Live from Emmet’s place », des vidéos live du pianiste Emmet Cohen, proposées en streaming sur les réseaux sociaux, tournées dans son appartement de la Grosse Pomme, en compagnie de prestigieux invités de la place. Quand on nous dit qu’au fil de son parcours, il a déjà frotté ses jeunes ailes à celles des Ron Carter, George Coleman, Jimmy Cobb et quelques autres maîtres du jazz, on le croit aisément au regard des sessions évoquées plus haut, où il a pu convier chez lui d’autres artistes de toutes générations comme Sheila Jordan, Samara Joy, Cyrille Aimée, Joe Lovano, Joel Ross ou encore Christian McBride ! Excusez du peu ! La liste est encore longue mais on voit déjà le grand angle de sa vision du jazz !  Natif de Miami, Emmet Cohen est désormais basé à New-York dont il a adopté le souffle créatif, mais il aime aussi l’Europe et en particulier notre chaleureuse terre girondine, comme en témoigne le bouillant concert donné en trio début mars 2022, dans le cadre de « Jazz en Balade », à la salle Simone Veil de Sauveterre de Guyenne ! Le public fut subjugué et c’est sans doute pour cela qu’il est venu en force le soutenir à Monségur ce dimanche ! Voici donc de retour cet endiablé combo, avec toutefois un petit changement car à l’excellent contrebassiste Yasushi Nakamura, qui enchanta l’assistance à Sauveterre, succède Philip Norris, originaire de Caroline du Nord, au jeu tout aussi captivant de précision, et possédant comme beaucoup son rond de serviette au Smalls Jazz Club de New-York, ce qui facilite les rencontres ! Pour couronner le tout, c’est toujours l’ébouriffant Kyle Poole à la batterie, qui, originaire de Los Angeles, apporte cette couleur très particulière du jazz groove assez hype et new vibrations qui se joue là-bas. Ce dernier est quant à lui plutôt un habitué du Smoke Jazz Club de la Big Apple, dans lequel le trio s’était produit au printemps ! Mais comme le monde est petit ! Un départ sur les chapeaux de roues pour ce concert où les morceaux se succèdent en des humeurs mêlées, de l’assurance savante d’un jazz un soupçon mainstream, au stride le plus frénétique, en passant par un bebop voltigeur, les cartes sont abattues et seront maintes fois rebattues, un vrai tourbillon émotionnel !  A peine le temps d’un petit break de présentation après quelques thèmes que ça redémarre illico ! Nous avons tout juste eu de temps de noter « Braggin in brass » de Duke Ellington, « Honeysuckle Rose » de Fats Waller, d’autres défilent en une trépidante sarabande comme « Rosita », auteur mystère ! Époustouflants musiciens, Emmet Cohen et ses hommes sont des passeurs, voire des influenceurs, qui nous plongent dans l’universalité d’un jazz qu’ils ne rendent jamais « old school » mais plutôt toujours « up to date », grâce à leur Art du [turbo] Trio, grisant, moderne, agile, virevoltant et avant tout, souriant ! Un grand bonheur de les avoir vus poser leur ovni jazz à Monségur, en clôture de cette très belle édition 2023 !! Cerise sur le gâteau, Emmet Cohen a invité le trompettiste Jérôme Etcheberry, sur deux mémorables morceaux en forme de jam imprévue, et en a profité pour délivrer un magnifique message de paix, émouvante et superbe conclusion ! Mille mercis aux musicien.n.e.s, au festival et ses équipes, et au public !!


Jam au Dolce

Dimanche 9 juillet – Les Tilleuls 23h00

Lieu très prisé sous les arcades de Monségur, Le Dolce propose une succulente restauration italienne, mais aussi des concerts le soir en cours d’année, qui connaissent un franc succès. Ainsi, il n’y a pas si longtemps que le vénérable chicagoan Ernest Dawkins s’y est arrêté, lors d’une tournée régionale, livrant une magnifique prestation dont beaucoup se souviendront ! Ce dimanche soir, c’est une jam d’anthologie qui s’y est donnée, histoire de faire retomber la pression, après tant d’émotions vécues durant ces trois jours de festival ! Une idée de thème est convenue au départ, puis la musique démarre et s’écoule en de généreux développements, souvent musclés de groove, avec des chorus qui éclosent çà et là, suite à des sourires entendus. On se cherche, on se trouve, bref, ça baigne comme on dit ! Beaucoup de figures inconnues, souvent très jeunes, ont pris part à cette fête qui a éclairé la nuit, et ça a commencé à jouer grave ! Le public, attentif, joyeux et réactif a adoré et ça a boosté l’affaire ! Des noms nous reviennent en mémoire et c’est plaisir de pouvoir les citer ! Il y avait du beau monde, avec notamment Loïc Guenneguez et Pierre Lavergne (trompettes), Eddie Dhaini, Martin Arnoux et Yann Pénichou (guitares), Louis Laville alias Ven Deen (contrebasse), Thomas Galvan, Philippe Gaubert et Loïc Guenneguez (batterie), Célia Marissal (chant), Valentin Foulon – Balsamo (saxophone) et un honorable ressortissant du Belgistan du nom de Mathieu Calzan (claviers). Mais ce ne fut pas tout car un peu plus tard dans la nuit, grande surprise ! Ce sont carrément Emmet Cohen et Philip Norris qui, par le son du jazz alléchés, sont venus se joindre à cette incroyable jam qui fera date, pour quelques morceaux groovy à souhait, dont « Stompin’ at the Savoy » (Cf lien à la vidéo ci-dessous). Un vrai « kiff de ouf » pour ce mini festival dans le festival, du genre quand il n’y en a plus, il y en a encore ! Bravo et merci à cette radieuse bande, ainsi qu’au Dolce et à son avenante équipe !

« Stompin’ at the Savoy » Jam au Dolce :

Jam au Dolce à Monségur avec entre autres Emmet Cohen et Philip Norris – Vidéo par Dom Imonk

The Jazz Proletarians sous les Arcades

Samedi 8 juillet – La Salle à Manger et dimanche 9 juillet – La Barrique et la Fillette

Les habitués du festival savent qu’aux 24 Heures du Swing de Monségur, c’est la fête du jazz un peu partout dans la bastide ! Impossible de tout voir, certains concerts se chevauchent, cela dit en matière de notes bleues, abondance ne nuit pas, et les esprits flâneurs s’en régalent ! Concerts aux » Tilleuls » bien sûr, mais aussi au « Village » où nous avons pu découvrir lors de leur premier set The Jazz Proletarians sous les arcades, un tout nouveau groupe programmé sur deux jours, l’un à La Salle à Manger et l’autre à La Barrique et la Fillette. Le trio est formé par Jérôme Masco (saxophone ténor), Martin Arnoux (guitare) et Timo Metzemakers (contrebasse), des musiciens bourrés de talent, très actifs dans la région car engagés au sein de plusieurs autres projets, mais aussi dans le domaine social, notamment pour le respect des droits des artistes. Ils ont chaque jour joué deux sets à un public qui, comme eux, devait faire face à une chaleur étouffante, donc il fallait leur offrir de la fraîcheur, de la légèreté ! Ce trio « drumless » est donc tombé à point en offrant un cocktail de balades aériennes et de morceaux au nerf légèrement plus soutenu. Comme un arbre de vie, la contrebasse proposait de belles lignes, où de furtifs walkings cheminaient naturellement, parfois à peine interrompus, ceci pour figurer peut-être les frottements et impacts imaginaires d’une batterie fantôme. Par ses mouvements, elle formait un socle solide à un subtil balancier, dont les bras élégants étaient figurés, d’un côté par l’ardeur généreuse du souffle du saxophone ténor, que l’on retrouvait pur et sans effet, et de l’autre par les accords et chorus raffinés de la guitare, une superbe Gibson ES-339 me confiera son possesseur ! Comme de petits motifs colorés sur une toile de Miró, les thèmes prenaient le temps de s’épanouir pour intriguer puis charmer le public, et il le fut, et se succédaient en une douce harmonie, dans la célébration sereine d’un jazz sans fard, de laquelle s’échappait parfois un délicieux soupçon parfumé d’americana, ce qui projetait au-delà des pierres blondes des arcades, des images de grands espaces ensoleillés à l’horizon infini. Instants inattendus de pure magie ! Alors qu’au même moment, les Nojazz étaient en train d’enflammer Les Tilleuls de leur époustouflant groove, à quelques pas de là, le trio The Jazz Proletarians nous invitait à vivre des instants propices à la méditation, au plus profond de l’âme du « Yesjazz ». Merci à ces superbes musiciens, prolétaires peut-être, comme nous tous, mais dont la noblesse ne souffrira jamais le moindre échafaud ! Un trio à suivre, assurément !


Textes Dom Imonk, photos Alain Pelletier / tamkka et Christine Sardaigne pour Jérôme Etcheberry – Popset


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