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James Brandon Lewis Quintet au Château Descas – Bordeaux le 18/11/2024

« For Mahalia, with Love »

James Brandon Lewis, tenor sax
Kirk Knuffke, trompette
Tomeka Reid, violoncelle
Silvia Bolognesi, contrebasse
Lily Finnegan, batterie

Le son plein de chaque instrument du quintet semble vouloir magnifier davantage encore la majesté de la musique. Une seule note pour les cordes, une batterie discrète, que s’élèvent sax et trompette sobres appelant la musique comme une cérémonie. L’écorce musicale s’épaissit, s’innerve par la puissance du sax de James Brandon Lewis, la trompette de Kirk Knuffke plus en douceur dessine de fines variations. Une entrée solennelle.

Swing sonore de James Brendon Lewis pour appeler ses comparses à la libération des instruments, trois jeunes musiciennes faisant pétiller violoncelle, batterie et contrebasse pour que la trompette livre sa fantaisie, vrombissement, pépiements : tout virevolte, chavire, swing pour maintenir tout du long. Le violoncelle de Tomeka Reid s’envole, frétille, c’est selon, et une suite de borborygmes, une extraordinaire exploitation de l’instrument. Au tour de la contrebasse de Silvia Bolognesi de babiller, d’éructer parfois, de se désosser, habilement torturée par la musicienne. Le sax reprend la main attirant à son avantage les éclats sonores du quintet, la batterie de Lily Finnegan en rougit de plaisir ! Ils poursuivent tous dans l’éclatement de tous les sens… La redescente est un faux apaisement, un balancement charnu du swing. Ils finissent en douceur comme un baume sur les blessures ouvertes.

L’originalité, c’est la maîtrise et la liberté conjuguées. Le sax de James Brandon Lewis est un phare avertisseur. Tempo féroce, au son éraillé pour structurer davantage les notes sonores de l’aigu au grave, le sax comme un jeu et une colère mêlés, l’instrument de toutes les révoltes possibles, leçon de jazz pur c’est-à-dire entachée de toute son histoire. Le jazz lance ses flammes mesurées et chaotiques, les unes chahutant les autres. Le sax ici grave appelle la trompette de Kirk Knuffke qui roucoule, tressaute, encouragée par la batterie de Lily Finnegan et la contrebasse de Silvia Bolognesi aussi. Nous sommes très loin, très haut, très remplis : sorte d’African morceau, à la rythmique fascinante, le sax incruste son langage savant, sculpteur, la batterie bondit, soucieuse de calibrer le tempo.

Trois jeunes musiciennes somptueuses, agaçant leurs instruments pour en retirer une inventivité tout inédite. Le violoncelle malmené, la contrebasse triturée de façon bouleversante, réinventant les instruments ; s’y incluent sax et trompette parallèles, ressassant le chorus pour enfoncer le morceau dans les strates de la liberté à conquérir sans cesse. Jusqu’au cri du sax, son exigeant pour que la frustration du mieux rejoigne le plus. La trompette bouchée tient à proposer d’autres pistes d’expression, une musique de profondeurs et d’horizons toujours surmontés ou en désir puissant d’y parvenir sachant que l’infini en aura raison…

Le violoncelle de Tomeka Reid a pris une allure de tube rempli de balles qui ricochent, de frôlement d’ailes, de frisottements, monde microscopique ; la batterie de Lily Finnegan l’accompagne, des électrons s’échappent, et puis ça y est, du futur jaillit le jazz ici de terres arabes, chevauchées, aux mesures souples et sûres, avancée de la trompette et du sax, chaloupée. Surveillée par une contrebasse merveilleuse, précise, la trompette danse, dessine des sillons, des irisations dans l’air, au tempo soutenu par la batterie. Le sax trace sa route du ciel à la terre et vice-versa tracassant toutes les aspérités de son instrument pour le dompter un instant et le pousser plus loin. La contrebasse de Silvia Bolognesi est, comment dire, physique, phénoménale, acharnée. La batterie de Lily Finnegan saisit bien sûr toutes les occasions pour faire ressortir le tempo. Une sorte de chant nomade continue son chemin. Reste le balancement de la musique et juste un filet pour sa décomposition.

Début de morceau en forme de ballade « classique », toujours la majesté des instruments, des sons, simplicité de la mélodie. Le calme avant la tempête ?

La trompette s’en empare, structurée par la contrebasse au tempo appuyé, lui permettant de décupler l’hommage au grand maître Armstrong pour son Go Down Moses. Le violoncelle prend le relais avec des notes presque sourdes, façon banjo, toujours à la découverte de nouveauté et c’est plus que réussi. Pas menus pour la batterie pour que le sax swingue à mort, tentative d’accélération, le sax, électron libre rend la tâche bien difficile aux autres musiciens, une prise de risque bien utile à une musique en constant mouvement. Pour nous, le plaisir d’entendre le chorus du maître juste comme ça !…

Anne Maurellet