Photo Jérémy Bruyère

Même s’il est désormais établi à Paris, Simon Chivallon, pianiste et compositeur, revient dès qu’il le peut à Bordeaux, sa ville d’origine, pour participer à des concerts et des jams, et c’est toujours un vrai bonheur que de l’y retrouver, aux côtés de ses amis. Si vous ne le connaissez pas encore, sachez qu’il a en plus pour passion, celle des tours de cartes, qu’il présente à qui veut, non sans une certaine jubilation, que dénonce un vif regard ! Mais les meilleures, il les abat quand il joue son jazz, multiple et d’une hardiesse très actuelle. Après de solides études à Bordeaux, puis à Paris, il a beaucoup joué, tourné, et tout cela a fait de lui l’excellent musicien qu’il est devenu, aussi à l’aise en claviers électriques qu’en acoustique, son péché mignon. En concerts et sur disque, on le retrouve notamment au sein de formations très pointues telles qu’Edmond Bilal Band, Le JarDin, Éa Project, les groupes de Pierre Marcus, d’Alexis Valet, de Simon Moullier et quelques autres. Comme ce fut souvent le cas pour beaucoup depuis le début du confinement, Simon Chivallon a aussi participé à quelques concerts en visio, l’occasion de raviver la flamme du jazz, jusqu’à des jours plus permissifs. Et puis enfin, parlons disque ! Après « Flying Wolf », son tout premier album, en quartet plus guests, très bien accueilli par la critique, le voici de retour avec « Light Blue », son nouveau disque en trio, qui devrait très probablement connaître le même accueil, c’est ce qu’on lui souhaite ! En ce milieu du mois de mars 2021, une année s’est écoulée depuis le début du premier confinement, et ce nouvel album fait figure de clin d’œil ensoleillé, car il est l’une des preuves que, même empêchée, Dame Culture ne s’arrête pas de créer, et de vivre ! Espérons-lui un beau succès, appuyé par une très prochaine reprise des concerts et festivals ! A l’occasion de cette sortie, et pour faire mieux connaître Simon Chivallon, voici son interview, où seront abordés tous ces sujets. Un grand merci à lui pour sa participation!

Propos recueillis par Dom Imonk

ACTION JAZZ : Bonjour Simon ! Comment se sont passées tes premières approches musicales sur Bordeaux ? Naissance d’une passion, jazz vs classique, études au Conservatoire, rencontres avec les professeurs, les camarades d’études… ?

Simon Chivallon : J’ai d’abord étudié au conservatoire parallèlement à un bac L spé musique classique principalement mais aussi un peu de jazz à côté, notamment avec des amis que je rencontrais pendant mes années lycée. Il y avait Gustave Reichert, Gabriel Pierre, Gaëtan Diaz et quelques autres… J’étais déjà attiré par le jazz depuis quelques années mais je m’imposais une certaine rigueur avec le classique pour palier à mes lacunes techniques et théoriques qui me semblaient alors un frein. Cependant je suivais déjà les cours du cursus jazz de Julien Dubois. C’est seulement une fois le lycée terminé que j’ai plongé et me suis consacré exclusivement au jazz et à l’improvisation.

AJ : Quelles furent tes premières expériences en concert sur Bordeaux? Outre le début de tes études et tes diverses découvertes, quelle fut la part du « live » dans le déclic pour continuer ? Y-a-t-il eu autre chose?

SC : Mes premières expériences live c’était surtout dans les jams. À l’époque il y avait encore celles du Blueberry. Je crois que c’est là-bas que j’ai fait mon premier concert de jazz, pour animer la session. Ensuite je faisais celles du Pépère toutes les semaines avec Manu Milhou. C’était une super manière d’apprendre sur le tas et de mettre en pratique ce que je travaillais de mon côté. Puis il y avait le Café des Moines avec Doc. Gabriel Pierre avait monté un quartet avec lui et on répétait beaucoup. Doc il m’a beaucoup appris. C’est lui qui m’a dit pour la première fois « il faut choisir un musicien et le relever pendant un an ». C’est aussi lui qui m’a fait prendre conscience du rôle d’accompagnateur qui incombe au pianiste, et de l’importance du vocabulaire, du répertoire… C’était la meilleure école. On écoutait le deuxième quintet de Miles Davis et les albums de Branford Marsalis. Il y avait beaucoup d’émulation dans la bande de potes qu’on avait et tout le monde était obsédé par la musique. La question du déclic ne se posait pas, on pensait au jazz tout le temps.

AJ : Qu’est ce qui avait motivé ton choix de Paris pour poursuivre tes études, après celles suivies à Bordeaux ? Comment se passa ton arrivée là-bas ? Quel y fut ton cursus ?

SC : Paris ça s’est fait naturellement. On était plusieurs potes à vouloir y aller et on savait qu’il y avait plein de bons musiciens là-bas, et surtout des tonnes d’endroits où jouer. J’ai atterri à l’école de Didier Lockwood, en banlieue. Mais on sortait plusieurs fois par semaine pour aller aux concerts, aux jams… C’est là où j’ai commencé à rencontrer des musiciens et à avoir un peu de travail. 

AJ : Peux-tu nous dire quelques mots sur chacun des groupes cités en introduction, auxquels tu as participé (ou participe encore) ? Outre ceux-ci et ton propre trio, y-a-t-il d’autres formations avec lesquelles tu joues actuellement, ou avec lesquelles tu as des projets à venir ? 

SC : Ils ne sont plus tous d’actualité, haha. Ce que je peux dire c’est que chacun de ces groupes sont une partie de ce qui construit mon rapport à la musique aujourd’hui. Chaque expérience apporte son lot d’enseignements et de remise en question, et on apprend dans chaque contexte. Aujourd’hui les projets sont tous plus ou moins en pause, mais je viens d’enregistrer le dernier disque de Julien Alour, qui devrait sortir dans quelques mois, et j’enregistre un nouvel album en solo dans une semaine. On a aussi un peu joué avec les groupes de Pierre Marcus, de Simon Moullier, avec le Paris Jazz Collectif…Sinon Paris reste vivant et il y a beaucoup de sessions ou des projets qui naissent malgré les restrictions.

AJ : Comme son prédécesseur, « Light Blue » indique l’amour que tu portes au piano, tu as d’ailleurs souvent insisté sur le fait que tu es avant tout un pianiste. Confirmes-tu cette préférence « acoustique » ? Quelle place reste aux claviers électr(on)iques dans tes goûts et tes envies créatives ? Selon toi, qu’est-ce qu’un piano possède, que ne possèdent pas ces claviers, et inversement ?

SC : Je me considère avant tout comme pianiste, même si j’adore les Rhodes ou autres claviers. Tout simplement car c’est l’instrument sur lequel je me sens le plus libre pour m’exprimer, et sur lequel j’ai passé le plus de temps à étudier. Mais la barrière entre piano et claviers est fine, et malgré leurs différences ils restent tous au service de la musique. Ce que je veux dire par là c’est que malgré leurs caractéristiques de son, de toucher ou de timbre, quand le moment est venu de jouer, ils redeviennent un simple moyen d’expression. D’ailleurs au niveau de l’étymologie, instrument signifie « la chose qui arrange, qui construit ». Le plus important, c’est ce que l’interprète raconte.

AJ : A l’instar d’un Herbie Hancock (album « The new standards ») ou d’un Brad Mehldau (reprise de Radiohead, entre autres), on sent chez toi une inspiration qui pousse ta plume vers la création d’un jazz « universel », qui, outre tes propres compositions, très actuelles, accueille sous son aile toutes tendances, revisitées, classique, chanson française, rock etc… Y-a-t-il un peu de cela dans l’idée de départ  de « Light Blue », et dans sa construction ? Comment se sont réparties les taches entre vous trois ? Quelle fut la part et l’écoute de ton nouveau label dans ce projet ?

SC : Oui tu as su trouver les bons mots. L’idée de départ de ce disque c’est tout à fait ça. Le concept du jazz non pas comme une esthétique mais comme une approche. Transposer la liberté qu’on trouve dans un standard, et l’appliquer à un adagio de Mozart, ou à une comptine… On peut improviser sur tout. C’est d’ailleurs ce que le musicien de jazz a toujours fait. Pour Light Blue ça s’est fait tout naturellement. On faisait des sessions où on jouait du répertoire, on essayait plein de morceaux, et l’album s’est fait dans cette énergie, d’une manière très simple. Pour ce qui est du label ça a été une aide et une écoute très précieuse. Vincent Bessières (Jazz&People) a tout de suite cerné la direction musicale du trio, et a su la mettre au mieux en avant grâce à son expérience et son investissement. Il y est pour beaucoup dans la sortie du disque et je ne saurais assez le remercier pour la confiance qu’il m’accorde. Je vous encourage d’ailleurs à aller jeter un coup d’œil au catalogue de Jazz&People. Il y a de la très belle musique.

AJ : Ce qui frappe aussi dans tes albums, ce sont tes choix de pochettes. Pour « Flying Wolf », c’était Wassily Kandinsky (!), et voilà que pour « Light Blue » tu choisis Paul Klee, avec une remarquable peinture dont le titre est « Cette étoile nous apprend à nous incliner ». Peux-tu nous dire quelques mots sur cette phrase magnifique, et sur ce style de peinture, ainsi que sur le lien qui se noue ainsi avec ta musique?

SC : Cette phrase et ce tableau me parlent de plein de manières différentes. J’aime apporter une dimension visuelle à la musique, notamment dans sa construction d’ensemble pour apporter un esprit de cohérence, d’unité… La musique est l’art immatériel par excellence, et j’aime l’idée de rendre compte des émotions qu’elle fait naître, imaginer la forme qu’elles pourraient prendre… Non pas pour essayer de la matérialiser, mais pour mettre en évidence l’impossibilité de sa représentation, et lui conférer un aspect humain, poétique. Comme un hommage.

AJ : Un petit mot peut-être sur les concerts filmés, qu’en penses-tu ? Comment as-tu vécu ceux auxquels tu as déjà participé, et as-tu prévu de renouveler l’expérience ?

SC : Les concerts filmés sont toujours une occasion de faire de la musique, mais j’espère que ce ne sera pas une solution dans le temps. J’avoue être au plus proche de la vibration du son, de l’acoustique, des énergies. Autant de choses qui n’existent pas sur des écrans. Mais si ça peut nourrir un peu la musique en attendant, alors oui bien sûr.

AJ : Au sortir de cette période, qui ne sera pas éternelle, as-tu déjà des prévisions de concerts, de festivals pour 2021?

SC : Oui quelques concerts et festivals cet été et en septembre. Encore rien de sûr mais on croise les doigts !!

AJ : Enfin, question posée à tous les interviewés : Que pense-tu de la terrible crise que nous vivons ? Selon toi, qu’est-ce qu’il en ressortira après coup pour notre société ? Et quel sera l’impact sur l’avenir de la profession de musicien/compositeur après l’épidémie ? Que penses-tu de l’idée de vous regrouper, plus formellement, de manière à collectiviser vos moyens, et donc à vous donner plus de force ?

SC : Une question compliqué à laquelle il est dur de répondre en quelques lignes. Il y a une citation que j’ai entendu plusieurs grands maîtres du jazz évoquer en parlant des difficultés du métier de musicien. « Take care of the music and the music will take care of you ». J’aime bien cette image et elle m’aide à me rappeler certaines priorités quand j’en ai besoin. 🙂

AJ : Et voici le traditionnel petit questionnaire détente ! :

Si tu étais :

Un peintre ? Kandinsky

Une destination ?  Hong Kong

Un jeu ?  Le speed

Une carte ? Dame de trèfle

Un héros ? Spider Man

Une devise ? Le loup alla à Rome et y laissa de son poil, mais rien de sa foi.

Merci Simon !

Propos recueillis par Dom Imonk

Photo collection privée de Simon Chivallon

Page Facebook de Simon Chivallon et le Bandcamp de l’album « Light Blue »:

https://www.facebook.com/profile.php?id=100010263817888

https://jazzandpeople.bandcamp.com/album/light-blue

Simon Chivallon – Light Blue – Label Jazz&People