Par Philippe Vigier, photo Alain Pelletier
Le jazz français du moment lui doit beaucoup. Il est l’un des rares artistes de jazz à savoir démocratiser son art, peut-être parce que sa musique est multiple.
Philippe Vigier : Ibrahim Maalouf, vous avez entamé une tournée mondiale, vous êtes aujourd’hui reconnu justement à travers le monde et pas seulement par les amateurs de jazz. Comment vous vivez cette reconnaissance du grand public ?
Ibrahim Maalouf : C’est beaucoup de bonheur par ce que ça veut dire qu’on danse, qu’on chante, qu’on fait la fête et que ça se passe plutôt bien et en même temps j’ai toujours les pieds sur terre. Je sais que ce genre de succès parfois ne dure qu’un temps puis ensuite se calme. Je vis ça avec beaucoup de philosophie, je profite de chaque moment de bonheur avec le public.
PV : Vous enchainez les collaborations avec des artistes aussi différents que Sting, Salif Keita, Amadou & Mariam, Tryo ou Matthieu Chédid, des rencontres qui ont aidé à asseoir votre notoriété. Que retenez-vous de ces aventures ?
IM : Chaque rencontre est une expérience nouvelle. Tous les artistes que vous venez de citer et d’autres ont chacun des langages musicaux qui sont différents, qui sont parfois très différents, radicalement différents et ce qui me passionne dans la musique c’est de pouvoir me sentir finalement bien dans un peu tous ces environnements musicaux et avoir la sensation que cette musique, c’est en effet bien un langage universel comme on nous le dit si souvent !
PV : Vous avez invité sur la scène de l’Arkéa Arena 41 élèves de CM2 d’une école de St jean de Luz qui vont vous accompagné sur l’un des morceaux de votre dernier album, « Happy face ». Racontez-nous ?
IM : C’est une collaboration que je fais avec l’association « Orchestre à l’école ». le projet est vraiment passionnant. Ca fait des années que l’association propose ces rencontres. Elle travaille main dans la main avec l’état pour financer des instruments de musique qui sont prêtés aux enfants des écoles, ici l’école « Urdazuri » de St Jean de Luz, pour leur donner envie d’apprendre la musique, surtout que la plupart du temps ceux sont des enfants qui n’ont pas forcément les moyens d’aller dans les conservatoires ou d’acheter des instruments. Je trouve ces initiatives absolument géniales et j’ai toujours travaillé avec les jeunes, avec les ados, avec les enfants en général. Moi je viens d’une famille de professeurs de conservatoire et d’école de musique. C’est ma manière de continuer ce travaille parce que ne n’ai pas forcement le temps d’aller dans ces structures d’enseignement pour enseigner, mais ma façon d’apporter ma pierre à l’édifice, c’est du coup d’amener ces enfants à jouer sur scène avec nous. L’orchestre à l’école a souhaité participer à cette tournée et j’ai évidemment accepté de les recevoir avec très grand plaisir.
PV : Parlez-nous de cet album ! un enregistrement aux couleurs latines où vous avez invité quelques musiciens qui comptent comme Roberto Fonseca, Alfredo Rodriguez mais aussi la violoniste Yilian Cañizares..
IM : Et puis Harold Lopez Nussa, un pianiste cubain génial, et Irving Acao qui un saxophoniste incroyable. Il y a beaucoup d’invités cubains dans cet album, mais globalement l’esprit de l’album est très sud- américain, c’était l’objectif. J’avais envie d’aller puiser dans ces inspirations qui font partie aussi de ma vie de musicien même si j’en parle rarement . On me voit beaucoup comme trompettiste de jazz d’origine orientale, d’origine arabe, mais mes liens avec l’Amérique du sud sont moins connus. C’est mon 11ème album studio, et pour cet album je sentais que c’était le moment d’aller sur ce terrain. J’étais un peu timide jusque là pour y aller, j’avais l’impression que je n’étais pas légitime mais maintenant j’ai envie de me faire plaisir, j’ai envie de m’amuser !
PV : Un trompettiste, la musique latine, un grosse production … je ne peux pas m’empêcher de penser à Quincy Jones..
IM : Exactement ! Quincy c’est un peu mon mentor. Depuis quelques temps il m’a pris un peu sous son aile et j’ai fait pas mal de chose avec lui. Il m’a invité à jouer avec lui dans son concert à Bercy et au festival de Montreux. J’ai vraiment beaucoup de chance finalement qu’il soit un peu dans les parages pour moi parce que ça m’apporte une sorte d’ouverture assez incroyable dans mon travail et je sens bien que j’ai ça à partager avec lui. Je suis ravi !
PV : Sur Una Rossa Blanca on peut entendre la voix de Barack Obama lors de son discours du 22 mars 2016 à la Havane.
IM : Oui ! Il y a son discours dans le morceau Una Rossa Bianca puis il y a un autre titre qui s’appelle «Radio Magallanes », Radio Magellan sur lequel on entend la voix du chilien Salvadore Allende. C’est vrai que ces deux discours, l’un, celui de Barack Obama pour ouvrir l’album et l’autre, celui d’Allende pour clore le disque étaient très important pour moi parce qu’ils sont porteurs d’un vrai message de résilience et c’est un peu ce que j’essaye de dire dans cette album « Sens ». Cet album se veut une sorte d’ode à la notion de résilience.
PV : Le reste de l’album plus traditionnel … dans la veine de votre musique … résolument métissé…
IM : Oui métissé avec du coup de l’Amérique du Sud un peu partout, parfois en filigrane, parfois très présente, parfois très latino comme « Gebrayel » finalement très cubain et puis d’autres titres qui reprennent ce qu’on appelle la « clave » qui est une sorte de rythmique extrêmement présente dans les musiques sud-américaines.
Ça reste mon album, ma musique, mes compositions mais avec une très forte influence latino.
PV : Merci Ibrahim Maalouf de nous avoir accordé un peu de votre temps.