GØ : Ævir – Amen

Guitare, synthétiseurs, voix et compositions : Ólavur Eyõunsson Gaard
Piano, Rhodes : Kristian Pauli Ellefsen
Basse : Árni Jóhannesson
Batterie et percussions : Hjøtur Pætursson Háberg et Per Ingvald Højgaard Petersen (percussions additionnelles)
Saxophones : Sjúrõur Zachariasson, Kristina Thede Johansen
Trompette, bugle : Ernst Remmel
Trombone : Maria Wang Reinert
Basson : Malan Martinsdóttir Joensen

Album publié le 08 Novembre 2024.

Une fois n’est pas coutume, Action Jazz a reçu un vinyle posté depuis les îles Féroé. Enveloppé dans une belle pochette créée par Kirstin Helgadóttir, l’enregistrement se révèle de grande qualité.
En préalable à cette chronique qui a vocation à être lue dans l’hexagone, il est nécessaire de planter le décor pour comprendre la démarche artistique initiée par le groupe GØ : Situées entre la Norvège et l’Islande, les îles Féroé, fortes d’environ 54 000 habitants, sont un archipel autonome composé de 18 îles volcaniques qui font partie du Royaume du Danemark.
Quant à GØ, c’est un quartet formé en 2015 par de jeunes musiciens originaires de ces îles à la beauté préservée, aux paysages spectaculaires, âpres et sauvages. Grâce à un premier album d’inspiration free jazz publié en 2020, GØ est devenu un acteur incontournable de la scène musicale féroïenne.
Avec ÆVIR, amen, il affirme l’originalité de son esthétisme tout en inscrivant son discours dans une réflexion ancrée sur les enjeux des problématiques liées aux îles. L’autonomie est depuis longtemps au cœur des préoccupations des féroïens qui remettent en cause l’emprise politique et culturelle du Danemark.
Le quartet s’affranchit des frontières artistiques et propose avec cet opus, qui jamais ne se répète, un jazz moderne et captivant qui puise ses racines dans le free jazz et le rock des années 70. A plusieurs reprises, les compositions s’enrichissent d’une section cuivres (Saxophone ténor et alto, trompette, trombone et bugle) qui insuffle de la profondeur à la trame musicale.
Les 9 titres de l’album explorent des thématiques éminemment contemporaines liées à l’identité culturelle, au pouvoir, à la liberté. C’est à chaque fois une expérience auditive singulière, un alliage saisissant d’électronique et de groove qui nous transporte dans un univers cinématographique. Quelques notes choisies, pesées et nécessaires suffisent pour s’immerger dans un monde peuplé d’images et de références. Sur la rythmique millimétrée de Javnaraflokkurin, le synthétiseur et les cuivres montent en puissance en façonnant des motifs entêtants, pour terminer en apothéose avec des riffs de guitare sur vitaminés. Quelle belle énergie déployée pour passer du calme à la tempête ! Loysing i dós évoque la lutte pour l’indépendance en reprenant le discours de l’ancien leader de la « jeunesse de la république » Rúni Nielsen qui pose sa voix samplée sur le thème musical. C’est un manifeste puissant transcendé par le lyrisme délié de la guitare qui offre un riche écrin au chorus vibrant du saxophone ténor. Ce morceau convoque curieusement des réminiscences de « western spaghetti » qui n’auraient pas déplu à Ennio Morricone.
Les arrangements sont très travaillés, parfois flamboyants. L’usage de l’électronique apporte beaucoup de densité aux compositions et à la subtilité des mélodies. On retiendra plus particulièrement la capacité des musiciens à créer une sensation d’inquiétude savamment distillée avec les cinégéniques Dalslandsgade ou Svøvnloysi qui pourraient être les bandes originales d’un thriller : sur le premier, le synthétiseur imprime un tempo métronomique ourlé de motifs psychédéliques qui incarnent la noirceur et l’inquiétude qui perce. Sur le second, les instruments se mettent en ordre de marche sur un rythme lent, ménageant le suspense, créant le malaise avant d’exploser dans un feu d’artifice incandescent : le changement est-il hors de contrôle ?
Nichée au cœur de l’album, très seventies, la mélodie lumineuse et primesautière de Ivi á Tinganesi nous cueille comme le printemps après l’hiver, les coulées de notes claires délivrées par la guitare et le piano invitent à la rêverie, dégagent une énergie positive : l’avenir peut aussi être prometteur.
L’opus se clôt avec Ævir, amen : Ce morceau confirme la cohérence spirituelle du projet. En écho au prélude du premier titre dont la mélancolie pouvait faire penser à une marche funèbre, l’omniprésence de l’orgue installe un langage musical plus austère nous rappelant que la religion d’état des îles Féroé est le luthéranisme.

Gø invente une musique audacieuse et inclassable, magnifiée par ses interprètes. Nous entendons le mariage réussi de la tradition et de la modernité, oscillant sur le fil ténu de l’optimisme et de la désillusion. Le quartet démontre ici une grande maturité artistique : la sophistication des compositions n’étouffe pas la sincérité du propos.

Par Christine Moreau

Label Tutl

Liste des titres :

1- Javnaraflokkurin
2- Loysing í dós
3- VinstraHøgra
4- Dalslandsgade
5- Ivi á Tinganesi
6- Republikkin bløõir
7- Á Skarv
8- Svøvnloysi
9- Ævir, amen

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