Gilberto Gil : Une légende de la musique brésilienne au Rocher de Palmer.

Le 26 octobre, la file d’attente s’allongeait sous une pluie fine et pénétrante devant l’entrée du Rocher de Palmer.

Un public de tous âges patientait pour pénétrer dans la grande salle de concert qui affichait complet pour accueillir Gilberto Gil en escale à Cenon. Quelques mots pour présenter l’une des plus grandes figures culturelles de notre époque et apporter un éclairage sur le concert. A 80 ans passés, il a eu une vie d’une grande richesse marquée par 60 ans de création musicale et d’engagement politique. Descendant d’esclaves, il est né à Salvador de Bahia dans le Nordeste du Brésil et a été très tôt fasciné par la musique et les racines africaines de son pays. Après s’être essayé à l’accordéon et aux percussions, il s’est définitivement consacré à la guitare pour construire une œuvre lumineuse de plus de 60 albums. Gilberto Gil a commencé sa carrière comme musicien de bossa nova mais a rapidement composé des chansons centrées sur la politique et l’activisme social. Avec son ami Caetano Veloso, il est l’un des pères fondateurs du tropicalisme, mouvement culturel apparu au Brésil en 1967, suite au coup d’état de 1964 à l’origine de la dictature militaire. Phénomène de la contre-culture, le tropicalisme défie l’ordre moral, promeut la diversité culturelle et conteste le nationalisme et la musique populaire de l’époque en mélangeant sans préjugés les musiques du monde entier. A la fin des années 60, il incarne ainsi le visage le plus novateur de la musique brésilienne mais est considéré trop engagé politiquement. Cela lui vaut d’être emprisonné 3 mois à Rio de Janeiro avec son ami Caetano Veloso avant de devoir partir en 1969 en exil à Londres pendant 3 ans. Pour lui, l’art et la politique sont deux formes d’expression de la citoyenneté. Il devient ainsi le 2ème noir descendant d’esclaves à rentrer dans un gouvernement en étant nommé ministre de la culture du président Lula en 2003. Il a quitté ses fonctions en 2008 pour se consacrer uniquement à la musique.

Pour sa tournée d’adieux, ce musicien talentueux et généreux s’est entouré de ses enfants et petits-enfants : Bem Gil au chant, à la guitare et à la basse, José au chant et à la batterie, João au chant, guitare et basse et Flor au chant et au clavier. Ce sont d’excellents instrumentistes qui, lors du concert, pourront tous exprimer leur talent, valorisés par l’expérience et le charisme de Gilberto Gil. Ce soir, sous les ovations du public, il est entré en scène. Sous un simple éclairage bleuté, nous est apparu un grand monsieur souriant, à la barbe blanche, chaussé de fines lunettes, une guitare en bandoulière. Il a salué chaleureusement l’auditoire en s’exprimant en français avec aisance. Le concert a duré presque 2 heures en déroulant un répertoire issu principalement des années 60,70. La plupart des titres ont été repris en chœur par la salle, la moitié connaissant parfaitement les chansons interprétées essentiellement en portugais ! Chaque morceau a été expliqué, replacé dans son contexte. Promoteur inlassable du métissage culturel, il mélange à la bossa nova des rythmes empruntés aux courants traditionnels brésiliens, au rock, au reggae et à la pop occidentale.

Il a commencé le concert avec 2 de ses compositions Espresso 2222 et Viramundo. Composé en 1967 et éminemment politique, ce dernier exprime le pouvoir de la musique et peut se traduire par « changer le monde ». L’harmonie est caractéristique du Nordeste et la guitare remplace l’accordéon, instrument emblématique de la région. La version très dépouillée met ici en valeur la puissance de sa voix et du texte. Ensuite, le quintet a joué 6 sambas aux tonalités annoncées comme très variées. Bon pédagogue, Gilberto Gil, nous les a toutes présentées comme des incarnations de la diversité de la musique brésilienne. Les percussions donnent le rythme avec le pandeiro, la cuica et l’atabaque. Chiclete com banana de Jackson do Pandeiro a une tonalité plus rock que Upa Neguinho de la grande artiste brésilienne Elis Régina. Dans ce morceau, on entend un mélange de samba carioca et de baião, originaire du Nordeste. Il a chanté une samba saudade composée pendant son exil à Londres : Ladeira da preguiça. De l’aveu même de Gilberto Gil, ce départ forcé s’est révélé très fructueux artistiquement. Il y a entre autres, croisé les groupes Yes et Pink Floyd, ce qui lui a permis d’enrichir le métissage de ses créations de tonalités plus rock et lui a valu d’être surnommé le Lennon brésilien. Il y a côtoyé des immigrés jamaïcains qui lui ont fait découvrir le reggae ; ce soir, il a livré une version émouvante de The girl from Ipanema de Carlos Jobim, à deux voix avec sa petite fille Flor, en nous la présentant comme une samba pas orthodoxe, mêlant la bossa nova au reggae. Son intérêt pour ce rythme I’a également amené à traduire en portugais No woman no cry de Bob Marley : Não chore mais. Il a commencé à chanter seul, bientôt rejoint par les musiciens et le public.

Séquence émotion avec une superbe interprétation de Moon river par Flor de sa voix cristalline, juste accompagnée par son grand-père à la guitare. Des titres ont suivi, qui font référence à la dictature au Brésil : Cérebro Eletrônico composé en 1969 évoque la force de la pensée face aux machines, une métaphore du régime autoritaire. Back in Bahia, blues enlevé, est un hommage à sa ville de naissance ; y transparait son mal du pays lors de l’exil à Londres. De son beau timbre voilé, seul à la guitare, il a chanté Tempo rei écrit en 1984 alors que le Brésil redécouvre les joies de la démocratie. Ce fut un moment magique d’échange avec le public qui l’a accompagné du début à la fin. Il n’a pas oublié qu’il se produisait en France où nous menons des combats contre le racisme en jouant un morceau composé pour le concert de la Concorde avec Sos Racisme en 1985 : Touche pas à mon pote. Après avoir esquissé quelques pas de danse sur Aquele Abraço, classique de la musique tropicaliste, Gilberto Gil a conclu le rappel en interprétant Toda menina Baiana, écrit en 1979 : Un hymne à la liberté, avec le refrain « ah, ah, ah, ah que Deus deu et oh, uoh, que Deus dà » repris avec vigueur par la salle. C’était la meilleure façon de terminer cette soirée de communion exceptionnelle.

Gilberto Gil, grand humaniste, épris de créativité et de liberté continue à contribuer au rayonnement de la musique brésilienne par ses chansons engagées et intemporelles qui font maintenant partie du patrimoine culturel.

Par Christine Moreau, photos Christine Sardaine


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