vendredi 23-09-2022

Duo Han Bennink, Terrie Ex

Batterie, guitare électrique

Ça ne se passe pas ici, enfin si, mais on est ailleurs. La guitare, des électrons humains, y’a une sorte de tendresse pour tirer l’instrument dans son électrisation, Terrie Ex se déplace pour attraper ces éclats de sons lumineux, grattements, soubresauts, c’est une chorégraphie folle, une aptitude à saisir les grincements frénétiques. Pendant ce temps-là, Han fragmente le tempo, rappel épuré des électrodes terrie-nnes. C’est l’épiderme de la musique, poils hérissés du son…

Le tempo de la batterie rencontre le swing aérien de la guitare, l’inverse est vrai aussi… Terrie Ex s’amuse lui-même de ses inventions, il y trouve le plaisir de la tentative (réussie s’entend…). Quelques accords, à l’étouffée, cadencés par Han Bennink, un caillou pour aiguiser le son, l’érailler, l’étaler, l’élargir, Han envoie des volées de bois vert.

Gratter les baguettes entre elles au-dessus de la batterie, faire glisser le manche de la guitare sur le sol, en faire naître des respirations souffreteuses, s’étonner l’un l’autre pour maintenir le jeu. Ils composent ainsi un no sense, l’invention folle, liberté de composer, sans cesse en faisant de l’instant la possibilité d’un improbable.

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Quartet Liz Allbee, John Butcher, Ignaz Schick, Marta Zapparoli

Trompette, saxophones ténor et soprano, platines – sampler, électronique, cassettes, magnétophone à bobine, antennes

Comment saxo et trompette peuvent-ils concurrencer l’électronique. Par les perturbations du son. On ne sait pas qui gagne et on s’en f… Les perspectives de chacun sont infinies, le silence, les chuintements sont possibles de part et d’autre : même si l’électro joue du gravier dégoulinant, le sax exhorte les oiseaux à s’égosiller, la trompette souffle, siffle, vinyles d’un côté, cassettes vintage de l’autre, il est question de fréquences, de sonars. Du bitume à l’asphalte fondu, on passe aux profondeurs de mers étranges, où l’orientation ne vient que des signaux sonores pourtant perturbants. Une vague s’étale peu à peu, bruissante, perturbée par des courants, trains,  signaux, Morse, Esperanto. Les instruments ronronnent plus ronds que l’électro aigu, mécaniques, ils passent en étrangeté, tout de même instables.

Alors sur la grève,  échouent l’écume et les reliefs des secousses, vent lassé, petits animaux exténués, quelques bouillonnements résistants, Freaks animalier, règne des insectes métalliques, de leurs régurgitations, expirations… Pas d’inquiétude, les sables mouvants les absorbent par aspirations successives, un cœur battant sourdement au milieu de cet espace s’éteint après quelques ressauts.

Reste le bruit de l’eau inaltérable.


Paulette new 4

Emilie Borgo, Léo Dumont, Emmanuelle Pellegrini, Xavier Saïki
Danse, batterie, poésie sonore, guitare

Balbutiements de mots : danseuse, récitante, guitare et batterie martèlent, hésitent, rebondissent comme le ressort posé sur la guitare. La stabilité est impossible, seul le rebond des mots, des cordes, du corps et les frottements de tambours métalliques renvoient à l’absurdité du monde, sa répétition frénétique, pourrait-on dire stupide, la dénonçant . Le pire, c’est la répétition, l’obsession du même jusqu’à son dérapage.

L’effet larsen saturant l’espace, le micro agresseur, pendant que la batterie trépide, forcenée. Corps et instruments sont submergés de secousses, la Princesse peut aller se rhabiller, même « si elle n’a pas de culotte ! »…

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samedi 24-09-2022

Côte Côte : Mathias Forge, Céline Kerrec

Action performance – danse

Ils poulettent, tous deux dehors, le regard volailler, peu à peu, ily a de l’humain qui s’en dégage, allez trouver la frontière, et puis, qui regarde qui ? Public animal ? Et puis, silence…Cachés derrière un rideau noir, leurs pieds nous observent.

Ils déplacent une petite plume au sol en soufflant dessus, l’aléatoire fait partie du terrain de jeu, comme les deux toupies jetées au hasard, les extensions, glissements puis arrêts sur image fabriquent leur chorégraphie. C’est l’allégorie du doute, de la tentative fébrile. Un magnéto bat la cadence. Ils simulent, tentent, ébauchent. Toute esquisse devient charmante et dérisoire, d’un cours de gymnastique, il en reste l’acrobatie et la danse dans ses arabesques au sol et en l’air. L’interaction est elle aussi dessinée, subtile, douce, drôle.

Alors changer de sweat en équilibre au sommet de barreaux d’escalade, ça demande d’imiter la gestuelle en déséquilibre… La descente majestueuse de l’une et la difficulté de l’autre qui préfère soudain la parole traduisant l’hésitation.

Ils plantent un décor pour cette métaphysique du sport, enfin de l’espace dans lequel on voudrait remplir sa vie. Ils construisent des châteaux de sable avec des modules, instables forcément malgré l’application.

Après une musique lancinante sur un slow dont le ralenti langoureux rapproche les deux corps, superbe esthétique des chevauchements sensuels, à la recherche d’un équilibre, lui, parfois point d’interrogation, elle, point d’exclamation, et eux deux, point de …

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Solo Marc Baron

Electro-acoustique

Des fils et des prises jack, il y en a partout, et des bandes magnétiques déroutées par des trépieds, la rouille d’un vieux portail gémit, l’amplification d’une bande frottée amène des cachalots, quelques oiseaux se sont égarés là-haut, bien au-dessus des flots… si on lève la tête, le ballet sous-marin peut commencer – de l’électroacoustique vers la nature.

Il est le chef d’orchestre des entrées et sorties électroniques, du fond des mers : vous pouvez vous retrouver encerclés de mines qui explosent lourdement la terre, de balles de mitraillettes aux éclatements alourdis. Les cris métalliques sont des épilepsies dont la crise  apparaît, monte et s’étend en secousses aux orages luminescents, quelques oiseaux encore plus menaçants, une voix de hall d’aéroport survole le terrain où des avions aux moteurs impatients rôdent, vibrent, puis s’éloignent.

Des jets de sable au pistolet sur une toile noire ou des silos où glissent furieusement les grains de blé – mais vous êtes à l’intérieur – essayez toujours de respirer, de toute façon, ça vous traverse aussi le cerveau, et ça se vide, ça se remplit, que sais-je ? C’est lui qui décide du débit.

Des voix nasillardes sous fond de tocsin sont absorbées par leur propre déformation, comme des gongs graves assourdis. On ne sait plus où on en est, mais on y est.

Superbement flippant !

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Krci + Lé Quan Ninh

Loris Binot, Lê Quan Ninh, Emilie Skrijelj
Piano préparé, accordéon, percussions

Ça commencerait par des lucioles sonores, multiples, à la minuscule lumière interrompue et les frisottements de brindilles. La nature dans un bois au tout petit matin étrange, myriade de sons infimes juste dessinés pour être reconnus. Le piano et la grosse caisse sont sillonnés par des baguettes grattantes, innervantes. L’accordéon donne ses bruissements avant même d’être déployé. Chacune de leurs mains maintenant fouette frénétiquement leur instrument puis le scie méticuleusement  : c’est un travail d’orfèvre, les sons gémissent à peine avoir frémi. Délicatement les trois nous amènent vers un pays asiatique où chaque son est un état, une sensation. Le trio fait osciller les instruments, juste le souffle frétillant des sons. L’oeuvre contemporaine peint une toile, et la moindre touche finit par son épaississement, relief intense, trait après trait, progressivement : l’élaboration d’une création.

Le jour se lève…


eriKm & Vrrrbitch

eriKm, Petr Vrba
Electronique – trompette, électronique

Ils décibèlent d’entrée en électronique punk, fumée sur la scène comprise, c’est de « l’extrême » : escalade à pics vertigineux, dégringolade brutale, une vraie trompette a tôt fait de disparaître dans des déformations électriques, l’un rabote, découpe, module aussi les sons. Le sol tremble, au premier degré. C’est futuriste, urbain, bitumes aux éclairages blafards, aux hologrammes insidieux. Des flashs perturbent le son, décharge lumineuse trafiquant l’électrique, le cafouillis des fils correspond au monde à venir ? Spectral.

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Noorg + Wajdi

Eric Brochard, Loïc Guénin, Wajdi Gagui
Electronique, danse

Des feuilles d’automne froissées, quelques cailloux frottant leur bruit amplifié, ce sera le décor conçu par les deux musiciens. Le danseur marocain Wajdi Gagui s’y promène, le tatami est sa terre aujourd’hui, mi-oiseau, mi-dieu Héraclès, il arpente les diagonales le regard vers l’horizon de la danse ? Le vasistas comme fenêtre vers la spiritualité. Il doit marcher puis subir la pesanteur et s’en dégager dès que possible. La machinerie aérienne de l’ordinateur d’Eric Brochard s’approche, empêchée par les sons organiques de Loïc Guénin.

Travail, flagellation, poids du monde, tournoiement du corps qui cherche libération. Un appeau délicat, un oiseau furtif suscite-t-il l’éveil.

Tentation soufie pour le danseur, mais le corps est là, capable de se désarticuler, mais aussi de vouloir dans quelle direction. Du désir et de la fièvre. Les musiciens submergent la scène pendant que le danseur s’affublant de la jupe des derviches tourneurs obtient sa spiritualité. Petit frappement de cymbale pour danse circulaire puisque le corps n’est plus qu’un don. L’homme s’envole, le temps est infini. Le danseur connaît désormais l’horizon.

Il peut lever la tête vers les cieux, la spiritualité lui est sans doute acquise.

Un dernier piaillement d’oiseau discret l’accompagne. Nature et lui ne font qu’un.

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Trio Axel Dörner, Sachiko M, Otomo Yoshihide

Trompette, électronique, guitare, tourne-disque

Un cœur battant saisi au stéthoscope, le flux sanguin en gros plan par la trompette ferraillante, les cartes bleues rayent les vinyles, le souffle de la voix sur le micro, des bourrasques font tordre le métal par l’archet. Un faux silence laisse s’épanouir la fréquence peu à peu envahissante, puissance ininterrompue du son. Renforcée par la trompette, une platine maintient un vacarme assourdi.

Ça se dérègle, ça déraille, au bout d’une carte, un bovin vagit, des humanoïdes ont débarqué ou alors c’est l’observation du monde, ses bruits insolites, insolents, apeurés, qui sont reconstitués, dans leur étrangeté, leur variété, leur expressivité. La trompette est devenue soupapes. Le bras de la platine granuleuse aiguise des fréquences anarchiques. Du sourd , on passe au « neutre » puis à l’aigu, différentes textures, les souffles s’oppressent jusqu’à la nuit.

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Trio Christine Abdelnour, Felicity Mangan, Jean-Philippe Gross

Saxophone, électronique

Christine Abdelnour dévore son saxo, sans bec, liquide au début puis matière, quelques décharges, goulots, flûte, bouchon, une bouteille dans le pavillon, elle sifflote et répond ainsi aux incitations des deux électro, grillons électriques, coassements multiples, faune exotique. Au milieu coule un saxophone qui étouffe son soufflement ou en aggrave la sortie.

Des flèches à jets de sarbacane envahissent la scène, le saxo aussi appartient à la forêt, oiseaux, animaux, insectes, et puis parfois autant électronique que l’électronique de Felicity Mangan et Jean-Philippe Gross.

Les sabots d’un cheval frappent le sol qui résonne pendant que le bois s’anime à nouveau. Le saxo souffle son dernier long soupir circulaire avant de rendre l’âme.

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4×4 Arnaud Rivière

Electronique

Prendre un maréchal ferrant DJ, ça poinçonne extrêmement, sculpteur, tortionnaire magnifique du son, effraction continue, fin marteau piqueur, usine à métallurgie, saturation, le trop, la pulsion, l’enfoncement, la rafale, la répétition, le geste ouvrier musical, c’est dur, acharné, sourd, des plaques de bitume démolies sursautent.

Arythmie cardiaque, déchirures, froissements, une toupie défonce l’asphalte, tremble. Interruption, repos ? Par arrachements, fibrillations. Arrêt. C’est le silence qui devient insoutenable…

Fréquences alternées, agacées, assourdies. Troupeaux pesants d’animaux caoutchouteux. Il bat une mayonnaise électrique, les grondements souterrains s’intensifient. Code morse, en voie d’extinction, affaibli, étalant sa fréquence. Rebond du métal, mètre à mesurer balancé pour l’aléatoire, son continu, continu, continu… Silence.

Anne Maurellet, photos ©Steph Ane