Gazette Bleue Week-End # 8
Bonjour ! Pour poursuivre notre série, voici le huitième numéro, qui vous propose cinq belles chroniques de disques, pour passer un agréable week-end en musique, en vous adressant nos meilleurs vœux pour 2024 ! Bonnes lectures !
La rédaction.
Atlantis Jazz Ensemble – Celestial Suite
5 étoiles
Marlow Records sortie le 27 octobre 2023
Chronique de Martine Omiécinski le 16 Novembre 2023
Ed LISTER : Trompette
Zakari FRANTZ : Saxophone alto
Pierre CHRETIEN : Piano électrique
Chris POND : Contrebasse
Mike ESSOUDRY : Batterie
L’Atlantis Jazz Ensemble est un groupe canadien dont le pianiste Pierre CHRETIEN et le saxophoniste Zakari FRANTZ sont issus du Soul-Jazz Orchestra.
« Celestial Suite » est le 2ème album de la formation après « Ocean Suite » sorti en 2016.
Toutes les compositions sont de Pierre CHRETIEN, les influences assumées sont la Soul-Jazz des années 70, l’afro-beat et le funk. Les mélodies et le rythme sont portés par des musiciens d’expérience brillants dans les chorus comme dans le collectif.
Mes morceaux préférés :
« Breaking Dawn » : Pour cette « Aube naissante » au groove itératif qui balance doucement, la trompette d’Ed LISTER surfant sur le Rhodes de Pierre CHRETIEN et la basse de Chris POND.
« Trancendence » : Pour le tempo afro-caraïbéen très dansant grâce à la solide rythmique Chris POND/Mike ESSOUDRY, pour les enluminures des cuivres ainsi que le solo de batterie.
« Oneness » : Pour la rythmique en boucle aux accents de Pharoah SANDERS, le bel apport de l’alto de Zakari FRANTZ et le solo de Fender Rhodes de Pierre.
« Blessings » : Pour l’entame à la contrebasse aux graves sonorités de Chris, pour les riches contributions de tous et particulièrement les beaux chorus des soufflants.
« Joyful Noise » : Pour la rythmique funky, les accords et le solo au Rhodes de Pierre
« Meditation » : Pour le côté « Céleste » comme l’annonce le titre de l’album, le Rhodes ruisselle doucement, la contrebasse se fait lyrique, c’est magnifique !
Bref, un album attachant à la fois plein de références et résolument ancré dans la modernité.
https://www.facebook.com/atlantisjazzensemble
ER Jazz Trio – Hope
Par Philippe Desmond
Label Résolut Diffusion
Du jazz breton ? Non rassurez-vous (je plaisante) du jazz d’un Breton, le pianiste Eric Richard, en formation trio des plus classiques avec Patrick Jouannic à la batterie et Marion Pacaud à la contrebasse. Et ne vous inquiétez pas, les trois sont plus mûrs que les enfants qui ont posé sur la pochette, leur tour viendra. Deux invités par ci par là, Gaël Horellou au sax alto et Jérémie Mignotte à la flûte.
C’est le premier album du trio avec 11 compositions originales d’Eric Richard, dédié à Barry Harris, grand pianiste et professeur de jazz américain disparu en 2021.
Eric Richard prend ainsi la lumière après avoir été accompagnateur notamment de Graeme Allwright, Patricia Barber, Michelle Hendricks, Sanseverino… Il nous propose un jazz post-bop d’un accès immédiat, mélodieux à la rythmique fine et alerte. Gaël Horellou en invité est assez présent et vient soutenir le trio sur six titres ajoutant à la diversité des styles, du be-bop, du blues, du swing, réflétant un certain classissisme très élégant. Cette élégance on la retrouve dans le jeu d’Eric Richard, un toucher sensible très musical, un sens du tempo marqué, un jeu rythmique toujours juste. Voilà un premier album très réussi.
Du jazz à mettre entre toutes les oreilles !
https://www.helloasso.com/associations/resolut-diffusion/boutiques/albums
Gentiane MG – Walls Made of Glass
Chez : Effendi
Par : Alain Fleche
GENTIANE MG (Michaud-Gagnon) : Piano, Compositions
LEVI DOVER : Contrebasse
LOUIS-VINCENT HAMEL : Batterie
Voici une jeune dame vêtue de solides études classiques, puis de sérieux et appliqués suivis aux cours de jazz moderne (composition, rythmique…). Autant dire qu’elle est armée pour exprimer toutes les belles pensées qu’elle désire partager. C’est le troisième opus de ce trio formé en 2014 avec 2 piliers reconnus de la scène québécoise, aux-même leaders de différentes formations. Les 2 disques précédents (en 2017 et 2019) ont fortement touchés le monde musical canadien, primés sur plusieurs années. Gageons que celui-ci ne passera pas inaperçu non plus ! Gentiane a déjà présenté son talent sur de nombreuses parties du monde et on peut l’entendre aussi aux côtés de Andre White, Jim Doxas, Chet Doxas, Yannick Rieu, Jeremy Pelt, Jean-Michel Pilc et Ira Coleman.
Pianiste virtuose et exigeante, elle pense à la musique de Bach ou Chopin, œuvres datées, écrite par des êtres humains, mais si parfaite qu’elle semble avoir toujours existé, rien à rajouter ou à retrancher. Une obsession qui l’oblige à durement et longuement travailler son discours avant de le livrer aux oreilles curieuses et attentives des auditeurs impatients de découvrir les nouvelles perles de cette incontournable pianiste.
Elle est aussi peintre, et, comme des coups de pinceau impressionniste, elle dépose des notes, des phrases, avec élans ou en réflexion, sur les touches de son piano jusqu’à parfaire une image déjà construite en intention. Elle fait appel au lyrisme romantique et rêveur de Debussy, aux diatribes enivrantes de Ravel, à la force évocatrice de Rachmaninov… on entend aussi les vagues introspectives de Bill Evans, la concentration fertile de Keith Jarret… Tout ça dans un esprit et un jeu très personnel qui échappe, de fait, à toute référence précise.
Sa musique, ici, tire sa principale influence de l’observation du monde animal et végétal et de tout ce qui l’entoure. Mondes à part, qui possèdent leur propre univers, si loin, si proche…, préhensibles ou démesurés, distincts ou englobalisant…Visions de moments passés que la musique réactualise dans le présent éternel de l’enregistrement. Abolition du temps en ne gardant que les plus beaux instants…
Trio parfaitement rodé, parfaitement enregistré (on en attend pas moins de cette formidable et très active maison de très beaux disques, bravo et merci Mr Bédard-Effendi), les trois musiciens en totale harmonie, écoute, réactivité, placement… La rythmique est au diapason de la délicatesse et aux élans incisifs de la pianiste qui mêle des souvenirs de musique classique à l’affirmation d’expressions contemporaines, modelées d’assemblages inventifs et surprenants sur une base harmonique qui n’exclut jamais le swing, dans une forme néanmoins contemplative, presque en retenue, ou prennent place toutes les nuances exposées par chacun des musiciens comme pour la création d’un tableau aux pastels ou d’ aquarelle, teinté de vitalité et d’énergie exprimée ou contenue dans une respiration sereine.
Musique sans paroles qui raconte de belles histoires avec des mots qui chantent dans la tête sans les avoir entendues… ou bien ce sont les notes qui chantent, enchantent…
Les morceaux s’enchaînent, avec leur propre sens, naturellement. Suite kaléidoscopique (jeu de miroirs, murs de verre qui ne cessent de changer de place…) d’éléments qui se complètent, se chevauchent, brillent d’éclats parfois sombres, puis lumineux, mélancoliques, exaltés, obscure ou s’approchant du sacré… L’esprit reste en éveil dans une vacuité riche de sentiments et d’émotions sans nom.
Un disque addictif, bientôt indispensable, qui devrait, souhaitons le encore une fois, élargir l’audience de la musique québécoise en générale, et celle de cette magistrale pianiste en particulier.
Vous cherchiez une idée de disque original et agréable, nouveau mais hors temps, pour public varié ou averti ? À (s’) offrir ? Voilà !
NATURAL ELEMENT QUARTET – « PREMIER ELEMENT »
4 étoiles sup
Juste Une Trace sortie le 17 Novembre 2023
Chronique de Martine Omiécinski le 28 Décembre 2023
Franck MORIN : Piano, composition
Renaud VEDIE : Guitare, composition
Clément THIRION : Contrebasse, composition
Patrick CHENAIS : Batterie, production
« Premier Elément » est le premier album de ce quartet qui partage cependant la scène depuis 2017 c’est dire s’ils sont rodés et si le plaisir de jouer ensemble et de se compléter transparait à l’écoute. Trois composent, le quatrième produit et les quatre jouent en belle harmonie des mélodies très agréables où se côtoient sérénité et rythme !
Chacun apporte donc sa pierre à l’édifice, le résultat est cohérent et homogène et se laisse écouter avec plaisir.
Parmi les morceaux composés par le pianiste Franck MORIN retenons « My Dad » pour la clarté de la mélodie mettant en valeur les solistes et « Suite to Death » pour l’ostinato au piano à l’entame et le solo de guitare de Renaud VEDIE (Védie) qui évoque sans doute un certain Pat METHENY ! (Comme sur la plupart des autres plages de l’album).
Des compositions du contrebassiste Clément THIRION retenons le très rythmé « Saturne Indécision » dont les tempos de samba font chalouper contrebasse et guitare et s’envoler en impro le piano (vers Saturne ?), « Crépuscule Bleu » pour l’étendue de la palette de couleurs, et « Accroché aux branches » pour la mélodie douce, la rythmique groovy toute en retenue.
Quant à Renaud VEDIE, sa création « Trois pour rien » emporte par son rythme jazzy et « Second Signe » met en valeur les impros de chacun mais aussi la joie du jeu collectif !
Bref un album harmonieux où guitare et piano dialoguent et soliloquent avec fluidité sur une rythmique pleine de finesse !
https://naturalelementquartet.bandcamp.com/album/premier-element
MEINILD / ANDERSKOV / TOM – SPECTRAL ENTANGLEMENTS
Chez : Barefoot Records
Par : Alain Fleche
Sven Dam Meinild : Sax Alto, Clarinette, flûte
Jacob Anderskov : Piano, Piano Préparé
Kasper Tom : Batterie
Rencontre de 3 musiciens danois, 3 leaders reconnus, primés, de qualité. Juste envie de jouer ensemble, sans projet bien défini, et sans l’attache terrienne d’une contrebasse. Dès leur 1er expérience commune, leur trait d’union est sans équivoque : la musique sera ‘libre’, libre de son cours, et nous la suivrons où elle voudra nous embarquer ! Voici donc 5 titres de musique improvisée, abstraite mais dotées de fils conducteurs qui imprime à chacun leur ambiance particulière et leur cohérence spécifique.
Le sax, très polyvalent croise dans des ‘moods’ différents, même opposés : doux et rêveur, plus charnu et présent, jusqu’à hurler en se cognant aux limites des cadres admis par le trio, et celles, spécifiques, de la tessiture de ses instruments.
Le pianiste aborde simultanément le piano et le piano préparé, les sons se croisent, multiplient les harmoniques, sans heurt ni cassure, des lignes évoquent des débuts de composition qui se superposent, s’embrouillent pour inventer l’inconnu qu’il n’a de cesse d’explorer.
Le batteur, enfin, parcours les trames, lie les bouts de phrases proposées, ajoute sa couleur, et ses silences, en souplesse et perspicacité qui l’unis au son du trio, très aérien, qui voyage au grée de la musique découverte, pudiquement, à chaque instant.
Musique du grand nord. Évocations de la vie quotidienne septentrionale. Le soleil se lève sur les 1ères notes, reflets bleutés sur les étendues givrées, immobiles, qui vont se réveiller à la lumière des activités locales, mouvements des animaux apparaissant dans l’ombre des arbres majestueux, des fumées s’échappent des cheminées des maisons d’où vont s’en aller d’autres ombres cernées de buée, vers leur activité du jour qui est déjà là. La vie s’agite, l’air se réchauffe, brouhaha de cris, de machines, de rires et de moteurs, parmis des nappes de brouillard qui s’effilochent puis s’installent bientôt, masquant, trop tôt, le soleil déjà épuisé de sa courte traversée. Le soir appelle au silence des bruits poutant étouffés par le tapis blanc. Des lumières témoignent de la vie dans les maisonnées, méditations, feu de bois, paroles de conteur de son propre vécu passé, annonçant la suite pour le jour prochain, quand les ombres des êtres de la nuit blanchiront et que le soleil reviendra de son périple mystérieux.
Un bien joli morceau de poésie, comme une fumée qui nous enveloppe et nous élève par delà le pays des neiges.
