Gazette Bleue Week-End # 15
Bonjour ! Voici le numéro 15 de notre série, avec cinq nouvelles chroniques :
Jim Funnel’s Word Out « New Dream » – Baptiste Castets Quintet « Patience » – Valeria Maurer « Here is The Silence » – Joe Sanders « Parallels » – Naamloze Trio « Naked ».
La dernière sélection de 2024 à découvrir en famille. De bonnes idées de cadeaux, les fêtes de fin d’année approchent ! Nous vous souhaitons un excellent week-end musical. Bonnes lectures !
La rédaction.
Jim Funnell’s Word Out – New Dream
4 étoiles sup
Jim Funnell est un pianiste quarantenaire de jazz anglo-français diplômé en piano classique et en jazz. Dans ce dernier domaine, il a étudié au Berklee College of Music notamment avec Danilo Perez et a partagé la scène avec entre autres Marcus Miller. Il a également parcouru l’Amérique latine dont les musiques l’inspirent (brésiliennes et afro-latines en général).
Sur ce disque « New Dream » il s’est entouré de l’émérite contrebassiste canadien Chris Jennings et du batteur français Jeff Boudreaux originaire de la Nouvelle Orléans (où il a appris avec les plus grands et qui a accompagné une pléiade de non moins grands musiciens). La compagne de Jim Akiko Horii performe aux percussions.
L’album met en valeur le jeu brillant de Jim, tantôt classique, tantôt très swing ou encore surfant sur les tempos latinos.
Mes morceaux préférés :
« Crop Cicle Crackle » : Pour les échanges entre les 3 musiciens (trio de base) et pour les performances individuelles : Piano agile, fluide pour Jim, contrebasse au son bien rond de Chris et parfait dosage de Jeff à la batterie.
« Greenpoint Graffiti » : Pour les notes serrées au piano, le groove intense de la batterie et des percussions, le vif dialogue piano/batterie entre Jim et Jeff.
« Asteroid B612 » : Pour l’inventivité et le foisonnement des soli et des échanges sur un tempo « latino »: les envolées sauvages de Jim aux claviers, le ton incisif de la violoniste Tomoko Omura, le solo magistral de Chris Jennings à la contrebasse rattrapé par les percussions d’Akiko Horii, puis le dialogue réjouissant piano/percussions. Un morceau très réussi !
« House of Granate » : Pour le swing : le piano cascadant sur les notes et les échanges très créatifs contrebasse/batterie.
« Ikigai » : Pour les notes cristallines du mélodica puis, sur cet air de bossa nova, les dialogues piano/percu et contrebasse/percu.
Bref, un album métissé, bien agréable et remarquablement joué !
Line up :
Jim Funnell : Piano, claviers, composition
Chris Jennings : Contrebasse
Jeff Boudreaux : Batterie
Akiko Horii : Percussions
Invités : Tomoko Omura : Violon (sur Asteroid) et Nino Wenger Sax alto (sur Full Circle)
Label Funnell Jazz sortie 08 Novembre 2024
Chronique de Martine Omiécinski le 20 Novembre 2024
https://jimfunnellswordout.bandcamp.com/album/new-dream
Baptiste Castets Quintet – Patience
Dans un univers familial propice, Baptiste Castets a très tôt découvert la musique et ses outils magiques, comme un enfant lâché dans un magasin de jouets, ce qui a initié une passion qui a plus tard fait son métier. De riches études, dont il est ressorti brillamment diplômé, lui ont permis de côtoyer de grandes figures nationales et internationales, ce qui lui a ouvert quelques portes décisives, concerts, tremplins reconnus, La Défense, Action Jazz…
Batteur devenu très prisé on le verra aux côtés de personnalités fortes du jazz, parmi lesquelles Didier Lockwood, Julien Alour, Géraud Portal ou encore Fred Borey. Ajoutons que le jeu expert de ses baguettes est gravé dans la cire de très beaux disques comme « Take Off » de Gustave Reichert (Jazz Family 2017), « Suite Astrale » d’Antoine Galvani (Inouïe Distribution 2017), « Imaginary Stories » de Gabriel Midon (Soprane Records 2020) et « Jaffa Blossum » de Mohamed Najem (Label Ouest 2024). Certains de ces musiciens ont dû le toucher au point que les voilà réunis avec quelques autres sur « Patience », son premier album, qui trouve sa source dans la douloureuse période du confinement, contexte incertain qui lui a donné la volonté de continuer à écrire des choses intimes et belles. Résilience plutôt que résignation. Patience et persévérance.
Sur ce disque, sorti sur l’éminent label Fresh Sound New Talent, Baptiste Castets assure batterie et percussions, et s’est entouré de Frédéric Borey aux saxophones ténor et soprano, lui-même auteur de quelques disques parus sur le même label, de Sébastien Llado au trombone, d’Edouard Monnin au piano et de Gabriel Midon à la contrebasse, ces deux derniers déjà croisés par lui sur d’autres projets et que l’on a récemment vus associés à un beau trio formé avec Thomas Delor. Bref, une affaire de famille, dont l’histoire en dix thèmes, tous de la plume de Baptiste Castets, rend l’écoute impatiente !
C’est « Rue de Paris » qui nous plonge instantanément dans les nuits bleutées de Paname. Mais il s’agit d’une seule rue, celle « Des Lombards » peut-être ? Célèbre pour les clubs de jazz qui la bordent, dans la chaleur desquels les notes qui nous accueillent là seraient les bienvenues !
Un carton d’invitation idéal, qui nous présente cinq musiciens remarquables, unis comme les doigts d’une main. La rythmique vive et agile, et ses accents modernes et éclairés, soutient à merveille les entrelacs dorés des soufflants, qui pointent déjà leur ardente complicité. Les dés du style et de l’élégance sont d’ores et déjà jetés.
Suit le très touchant « Blake », que l’on suppose dédié à Johnathan Blake, formidable batteur dont Baptiste Castets est probablement fan, du moins le prouve-t-il par un délicat drumming, tout en scintillements et en touches retenues, qu’embellissent avec grâce certaine les autres musiciens, en particulier le saxophone. Même impression dans cette « Histoire de mélancolie » qui porte bien son nom. Elle est habitée d’un étrange feeling, à la David Bowie dernière période par moment, à moins qu’il ne s’agisse de Nick Drake, et servie par de belles envolées, notamment de contrebasse, de trombone, et d’une batterie plus accentuée sur le final, méfions-nous des eaux calmes !
À peine le temps d’un court « Prélude » que voici « Patience ». Le piano prend la main au départ, d’un déroulé de notes subtiles et lumineuses, bientôt rejointes par celles du saxophone. Les impacts rythmiques et percussifs tracent le chemin de manière ferme mais distinguée, puis l’on revient au thème en douceur, sous un échange cuivré exquis. Par la suite, l’on ne résistera pas au charme discret de ces « Mille nuits » qui dans une harmonieuse sérénité font défiler les étoiles et nous poussent à oser en réclamer une de plus, « À la dernière minute » !
Nous terminons déjà ce beau périple avec d’abord « Flamingo », pépite au cœur très hendersonien, cher à Fred Borey, donc le bel élan harmonique émeut, avec en prime un superbe chorus de Baptiste Castets. Suit l’attachant « Cloé », qu’on imagine dédié à une personne aimée, petite ou grande, et dont l’âme collective séduit par ses interactions généreuses et ce feeling profond.
Enfin « Adios » devrait nous rendre tristes, et bien non, il y a dans cette pièce une humanité qui est superbement servie par tous, en de belles phrases, qui s’allongent et se replient, et la preuve, s’il en était besoin, qu’ici chacun est présent et personne n’est effacé. Cet album est bien né et son jazz tout autant. Une écriture actuelle raffinée et une interprétation de haut niveau, bénéficiant d’un son de premier plan, nous le rendent à chaque écoute un peu plus attachant, au point que nous sommes impatients d’en découvrir la suite, par exemple en concert !
Enregistré les 1,2 et 3 décembre 2022 à Mix&Rec Studio, Paris France, par Julien Reyboz.
Mixage et Mastering à Bass Hit Studio, New York USA, par David Darlington.
Produit par Baptiste Castets, producteur exécutif : Jordi Pujol.
Photographie : Sandy Rabe
Design graphique : Mathilde Pageaud
Par Dom Imonk
Label Fresh Sound New Talent/Socadisc
https://www.facebook.com/baptiste.castets.1
https://www.baptistecastets.com
https://www.freshsoundrecords.com/1001-fresh-sound-new-talent-records
https://freshsoundrecords1.bandcamp.com/album/patience
Valeria Maurer – Here is The Silence
Paru en septembre dernier, « Here is The Silence » est le premier album de Valeria Maurer, une chanteuse, auteure, compositrice et interprète à l’étonnant parcours. Née au Kazakhstan, elle a grandi en Sibérie, puis est venue en Allemagne en 2013 pour étudier le chant jazz-pop à Mannheim. Jeune vocaliste fascinée par la poésie et divers courants culturels, Valeria Maurer réussit l’exploit de mêler au jazz des intonations, soul-groove, pop et folkloriques, ainsi que des visions oniriques, en maniant de jolie façon les langages anglais et russe. Afin d’encore mieux la situer, notons qu’elle avoue aussi son faible pour des artistes comme Esperanza Spalding, Gretchen Parlato, Sting et José James.
Valeria Maurer a créé son quartet en 2021 à Mannheim, s’entourant de Konrad Hinsken au piano, de Lukas Hatzis à la contrebasse et de Julian Losigkeit à la batterie. Une excellente formation, dont le dynamisme et la synergie sont omniprésents et servent au mieux le chant de la leadeuse. Nous apprenons que, faisant fi de la pandémie, cette équipe jeune et alerte a déjà joué avec de beaux retours dans des hauts lieux du jazz tels que le JAZZAHEAD Clubnight, « Jazz am Rhein » et « Jazz in the Black Forest ». Des manifestations propices aux rencontres et à de nouvelles émotions. Nous notons aussi que le groupe a de plus obtenu le prix « Future Sounds » aux Leverkusener Jazztage et le prix de parrainage de la Fondation d’Art du Bade-Wurtemberg. Excusez du peu !
L’album se déguste comme la bande originale d’un film musical relatant un voyage et propose neufs morceaux chantés, dont les influences évoquées plus haut, auxquelles nous serions par moment tentés de rajouter celles de Rickie Lee Jones et de Suzanne Vega, ressortent avec fraîcheur, et une détermination sans équivoque à nous faire prendre conscience de la situation mondiale très inquiétante, qui doit à chaque instant alerter et inciter à la paix, comme le suggère le poignant « Only the Soul can see ».
Outre ses propres paroles, Valeria Maurer traduit aussi des poèmes, en particulier russes, et les adapte à sa musique avec justesse et engagement, par exemple dans « Here Is The Silence », le morceau titre, où elle marie un poème de la poétesse ukrainienne Sasha Saytseva, à des sonorités orientales. Un peu plus loin, c’est « When We Were Very Youg » de A.A. Milne qui est évoqué, avec le titre « Where Am I Going » qui en est tiré, une réflexion philosophique sur le devenir.
Nous sommes aussi séduits par les alternances de climats. Ainsi, « Watercolours » nous entraine-t-il dans un irrésistible jazz-groove, et « Breathe », le tube de l’album, est une sorte de balade à la voix soul habitée, traversée d’un chorus de piano puis d’un synthétiseur au ton seventies. Nous aimons aussi des pièces à l’humeur plus tempérée, comme le très beau « Only To Read Children’s Books » (poème de O.Mandelstam) chanté alternativement en russe, le lyrique et mystérieux « Labyrinth » et cette obsédante ligne de contrebasse que nous retrouvons sur le magnifique « Turn To The Light » (co-écrit par Valentina Batura).
Enfin, « Pegasus » nous offre ses ailes pour survoler un peu de mythologie grecque. Valeria Maurer chante en russe mêlant avec originalité limpidité de sa voix et scat plutôt funky. Ambiance mouvante qui « rappelle les images traditionnelles des contes de fées et des mythes slaves ».
Au final, « Here Is The Silence » est un album à l’âme vive, superbement écrit, joué et capté, un voyage chargé d’émotion, de couleurs et de générosité. À découvrir au plus vite !
Par Dom Imonk
© Valeria Maurer
https://www.valeria-maurer.com/
https://valeriamaurer.bandcamp.com/album/here-is-the-silence
Joe Sanders – Parallels
5 étoiles
Sur première partie : morceaux 1 à 4
Joe Sanders : Contrebasse, basse électrique, composition
Logan Richardson : Saxophone alto
Seamus Blake : Saxophone ténor
Greg Hutchinson : Batterie
Sur deuxième partie : morceaux 5 à 10
Joe Sanders : Contrebasse, basse électrique, batterie, piano, voix, composition, production
Taylor Eigsti : Piano et claviers (10)
Jure Pukl : Saxophone ténor (6)
Joe Sanders est un bassiste acoustique et électrique originaire du Middle West des Etats Unis qui vit en Europe. Il a étudié la musique aussi bien à New-York que sur la côte ouest, il a donc des « sensibilités » complémentaires et dépasse les notions d’appartenance aux divers courants du jazz ! Il tourne et enregistre notamment avec des musiciens comme Joshua Redman, Ambrose Akinmusire ou encore Charles Lloyd.
L’album « Parallels » propose 2 facettes de son art : 4 morceaux captés en Live au festival « Jazz en tête » de Clermont Ferrand en octobre 2021 et 6 morceaux concoctés et enregistrés dans son propre studio.
Pour le Live il est accompagné de 3 brillants musiciens : le batteur Gregory Hutchinson (qui a partagé la scène notamment avec Roy Hargrove ou Joe Anderson), le saxophoniste ténor Seamus Blake (lauréat à Washington du prix Thélonious Monk 2002) qui joue beaucoup à New-York et le saxophoniste alto Logan Richardson (ayant performé avec Pat Metheny et Christian Scott).
Mes morceaux préférés :
Les 4 du Live :
« Dualities » : Pour les 11 minutes captivantes ou l’interplay et les impros mettent en avant ce quartet, la contrebasse de Joe Sanders y a un rôle de premier plan, la rythmique décoiffe avec un Greg Hutchinson en boucle, l’alto Logan Richardson dévoile d’alertes sonorités quant à Seamus Blake il nous charme totalement avec son solo au ténor.
« Gran’Ma » : Tempo lent et itératif insufflé par la rythmique pour ce morceau plein de tendresse où les saxophones volutent délicatement.
« J’ai » : Swingant, dynamique, couronné par un solo de batterie ravageur et original !
« La vie sur terre » : Un modèle de transmission réjouissant où le fils de Joe : Elioté – 5 ans – joue du mélodica sur le jeu de cordes du papa qui reprend la mélodie de la voix : moment touchant partagé également avec les saxos qui portent aussi tour à tour le jeu du mélodica, Elioté tentant même quelques notes improvisées !
Donc 4 morceaux Live très appréciés, on entend bien sûr le public les encourager !
Pour la suite, changement complet de cap et de style, plus West Coast avec des moments de musique planante et avec des effets en boucle comme dans « The rise and fall of Pipokhun » ou « Orangebleu », la basse tirant son épingle du jeu !
Dans « Amalfi » où Joe Sanders fait l’homme-orchestre essentiellement en production numérique (basse, piano, claviers, batterie) sublimé par le jeu véloce et volubile du saxophoniste ténor slovène Jure Pukl (dont Joe Sanders est le contrebassiste sur son album de début 2024).
« D.H » : Joe alterne contrebasse et basse électrique, le pianiste et claviériste américain
Taylor Eigsti (détenteur d’un Grammy Award en 2022) éclaire de ses accords lumineux cette dernière plage de l’album.
Bref une œuvre composite dont Joe Sanders dit lui-même : « C’est toute ma musique qui est ici : pas seulement le jazz, pas seulement à l’intérieur, pas seulement à l’extérieur – tous les côtés sont mis en parallèle ». D’où le titre de l’album !
Label Whirling Recordings – sortie octobre 2024
Chronique de Martine Omiécinski
https://joesanders-whirlwind.bandcamp.com/album/parallels
Naamloze Trio – Naked
« Jeunes talents »
Thomas Poulin-Barron : Piano, composition
Dorian Beheregaray : Basse électrique, composition
Tom Sireix : Batterie
Invité : sur « Osmoze » : Téva Philippon : Congas
Comment passer sous silence ce premier album de 3 jeunes lycéens pyrénéens pleins de fougue et d’envie ?
Dorian et Tom 18 ans chacun, Thomas 15 ans ont déjà cette détermination de s’unir pour jouer ce jazz fusion égayé de leurs références musicales communes, de le porter sur les routes de Midi-Pyrénées (et notamment Marciac !) et d’enregistrer un premier album de 5 morceaux de 8 à 11 minutes chacun ! Saluons cette témérité peu fréquente. Les 3 poursuivent des études musicales à Tarbes, Toulouse et Paris, nous recroiserons donc leur route, c’est ce que nous leur souhaitons vivement !
Thomas Poulin-Barron du haut de ses 15 ans nous bluffe au piano, apportant des colorations et des rythmes très variés : lyrisme, changements de tempo, touches hispaniques (comme disait Nougaro dans « Toulouse » : « Est-ce l’Espagne en toi qui pousse un peu sa corne ?»), cubaines (tel un Rolando Luna passe allègrement d’un jeu « classique » à une envolée typique de musique cubaine). Il signe deux morceaux intéressants : « Static Waves » et « Naked ».
Dorian Beheregaray signe « Gentle Groove » et « Osmoze » sur lesquels sa basse éloquente au son rond et chaleureux nous enveloppe agréablement. Sur « Osmoze », le piano reprend quelques notes de standard latino, Téva Philippon leur manager et ami à peine plus âgé qu’eux colore le rythme de ses congas.
Tom Sireix, élément très présent de la rythmique, complète le trio avec vivacité et impulse le groove (l’enregistrement aurait peut-être mérité un peu moins de son sur la batterie sur certains morceaux pour mieux entendre la basse…selon mon goût personnel !)
Bref, cet album est un cocktail d’énergie nous basculant de moments émouvants en séquences endiablées d’où jaillissent quelques références musicales, le plaisir qu’ils ont de partager est très communicatif !
FunkYou Studio sortie le 31 Octobre 2024
Chronique de Martine Omiécinski le 16 Décembre 2024
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