Gazette Bleue Week-End # 11
Bonjour ! Voici le onzième numéro de notre série, qui vous invite à découvrir quatre nouvelles chroniques ! Encore un étonnant voyage ! Nous vous souhaitons un excellent week-end musical et de bonnes lectures !
La rédaction.
Gustavo Cortinãs – « Live in Chicago »
5 étoiles
Desafio Candente Records sortie le 08 Févier 2024
Chronique de Martine Omiécinski le 02 avril 2024
Drew Hansen : Trompette
Artie Black : Saxophone
Matthew Davis : Trombone
Joaquin Garcia : Piano
Kitt Lyles : Contrebasse
Gustavo Cortinãs : Batterie
Gustavo Cortinas est un batteur, compositeur, leader et professeur d’origine mexicaine basé à Chicago. Dans sa musique transparaissent ses diverses influences venant du jazz, de musiques latino-américaines et notamment du Mexique.
Sa carrière de musicien, débutée à Mexico, s’est faite aux Etats Unis ces dix dernières années soit en tant que leader soit sideman. Il a participé à plus de 30 albums confirmant sa place parmi les grands batteurs actuels de Chicago, son groove incontestable entraine irrésistiblement ses compagnons de jeu et fait bouger le public ou les auditeurs, particulièrement sur ce Live.
Ses co-équipiers dans ce sextet sont parmi les meilleurs de cette scène musicale du Midwest.
L’album est un enregistrement Live d’un concert au Constellation à Chicago avec 1 CD par set (donc 2). Les longs morceaux, toutes des compositions de Gustavo, durent jusqu’à 15 minutes pour certains, ce qui permet d’une part à chaque musicien de prendre sa place et son temps et de mettre en valeur toutes les nuances des riches compositions de Gustavo !
Mes morceaux préférés :
« Ouverture » : Entame à la clave de Gustavo suivie des 3 soufflants époustouflants en chœur puis le saxo d’Artie Black volute librement avec brio sur quelques notes de piano de Joaquin Garcia, puis le piano en boucle se lance dans un très long dialogue avec Gustavo, pas de démonstration de force pour la batterie mais des pirouettes, du délié et de la subtilité. Les 3 cuivres reviennent en force pour le final !
« Hanaki » : Cette ballade ouvre la porte longuement au trombone de Matthew Davis sur le trio de base délicat dont la contrebasse douce et ferme de Kitt Lyles qui poursuit en un long et sensible solo, le piano se fait bluesy, puis un duo contrebasse / batterie suit, la contrebasse au centre du morceau se pare des plus beaux graves, Gustavo est au tambour en souplesse.
« Wish I Could Be There Now » : Entame profonde à la contrebasse puis bel ensemble des six avant que le saxo ne prenne le chorus, les 2 autres soufflants lui faisant écho puis le saxo devient lyrique sur fond de batterie aérienne avec des accents latinos, cette chanson d’émigrant a quelque chose de très touchant, puis le saxo part en live et devient déchirant, le trombone poursuit avec la même veine, on vit l’histoire à la fois foisonnante et pleine de désespérance.
« La balada del Leon » : Morceau en hommage à son père décédé, beau à pleurer comme les sanglots du saxophone puis ceux de la contrebasse à la sensibilité à fleur de cordes, la trompette de Drew Hansen poursuit sur le ton émouvant des souvenirs !
« Arete » : Entame solo à la trompette non sans évoquer les « mariachis » ces musiciens aux rythmes typiquement mexicains, le groove est latino, le trio de base nous offre un « trilogue » parfaitement équilibré puis trombone, trompette et saxo se succèdent joyeusement pour cette déambulation de rue, le piano déroule la mélodie sur ce tempo scandé et groové. Un généreux solo batterie/percussion poursuit le morceau.
Bref, de riches compositions jouées par des musiciens valeureux et chaleureux, à écouter absolument !
https://www.facebook.com/gustavocortinasmusic
WORK IN PROGRESS – ÉRIC BARRET TRIO
Chez : jazz family
Par : Alain Fleche
Eric Barret : Sax Ténor, Compositions
Gautier Garrigue : Batterie
Emil Spanyi : Piano
Les travaux continuent ! « En travaux », le nom du disque est aussi le nom du trio depuis… 2011 !
Trio sans contrebasse, pour laisser plus d’espace aux discours et échanges, mais plus de travail pour gérer le lien entre harmonie et rythmique. La main gauche du pianiste fait le job avec force et beauté, pulsant un swing puissant que les parties plus calmes n’apaisent peu. On a parlé du talentueux Emil sur la chronique du disque de Xavier Desandre (in pulse), et on peut entendre ce lauréat de nombreux prix (Vienne, Avignon…) auprès de Christophe Moniot, Bob Berg, Ray Brown…, ou dans sa classe au conservatoire de Paris.
Le maître du temps ? Gautier, ne cherchez pas, il est partout, ici, ailleurs, il est sur tous les bon coup, avec David Enhco, Roberto Negro, Federico Casagrande, Paul Lay, Henri Texier … Personnage discret en privé, une bête au boulot avec une écoute attentive et une grosse culture jazzistique qui lui permettent de s’adapter à toutes formations, avec assurance et intelligence.
Eric Barret, qui ne se prive pas non plus ici, de jouer (sur le rythme lorsque nécessaire, ou envie (?), est un musicien rare, malgré ses collaborations avec l’ONJ, Marc Ducret, Henri Texier et quelques autres. Peut-être tire-t-il son détachement d’avoir étudié la spiritualité non-dualiste shivaïste… ? C’est aussi un excellent pédagogue qui propose nombres de publications fort utiles et pertinentes sur l’étude du saxophone, en plus de son enseignement au conservatoire de Paris où il transmet sa passion du jazz. Il a un son de professeur : droit, juste, équilibré et sans référence particulière l’approchant d’un ancien héros… Il passerait inaperçu sans sa dextérité redoutable, son génie imaginatif, son inspiration insondable, et son sens mélodique permanent, qualités sans doute héritées de son penchant coltranien indubitable, dont on repérera quelques citations ici et là, soutenues par les arpèges d’un piano proches des couleurs de ceux d’ Alice (Coltrane), et des fulgurances du batteur capable, aussi, de se lâcher, tout en restant collé à la mélodie.
Et des mélodies, il y en a ! Parfois ardues, certes, mais présentes. Novatrices, révélant que l’ombre du ‘géant’ n’est jamais bien loin… , modernes mais chantantes, enchaînement de phrases qui construisent des édifices originaux, flanqués de portes mystérieuses entre-ouvertes sur des mondes à découvrir, sans en épuiser les ressources.
Toutes les géométries sont explorées généreusement : solo, duo, trio, sans ordre figé, avec une complicité joyeuse dans l’échange permanent, selon l’inspiration, la vibration choisie, dans l’élaboration d’un langage d’expression, de sensibilité, visant l’universel, s’adressant à toutes les oreilles de tout horizon.
Le son lisse du saxophone force l’attention sur la large palette de jeux exprimés naturellement, les difficultés techniques, loin de toute esbroufe, ne servent que l’imagination débordante du souffleur qui nous offre des paysages évolutifs, de formes et couleurs, dont on prend grand’ joie à suivre le développement harmonieux et surprenant.
Enregistré ‘sur le vif’, en juin 2022 dans un club de Dunkerque, la musique est directe. Sur le support de chansons à tiroirs, bien ficelées, les improvisateurs en cherchent sans cesse les limites pour se dépasser eux-mêmes. Joie du direct (non retouché) : pousser la machine au bout de ses capacités en prennant des risques, stigmatisés par quelques (rares) ‘pains’ qui, finalement, rendent cette musique vivante, humaine, passionnante et attachante dans son engagement vers une liberté de chaque instant, de chaque note choisie.
Les travaux continuent, on voudrait qu’ils ne se terminent jamais !
Avishai Darash – « Between Hope and Despair »
4 étoiles sup
Stilletto Productions sortie 22 Mars 2024
Chronique de Martine Omiécinski le 12 Avril 2024
Avishai Darash : Piano, Rhodes, Composition
Antonio Moreno Glazkov : Trompette
Ivan Ruiz Machado : Basse
Shayan Fathi : Batterie
Basé à Amsterdam depuis 2010 ce compositeur et pianiste d’origine israélienne a un parcours original qui lui a permis d’intégrer, outre les musiques de son pays d’origine celles d’Afrique du nord où il a collaboré de 2012 à 2017 avec le grand joueur de oud marocain Mohamed Ahaddaf, le jazz américain. Il a aussi tourné avec des artistes internationaux dont le Marmoucha Orchestra, l’Amsterdam Andalousian Orchestra et a obtenu un award avec le All-Around Jazz Rome Ensemble ainsi que le prix du meilleur soliste au Liden Jazz Award.
Ses albums précédents en tant que leader ont été encensés par les médias notamment le précédent « Samskara » de 2019.
Sur ce disque Avishaï Darash nous dit vouloir développer ces deux émotions en fouillant dans sa créativité et en partageant avec ses musiciens habituels, sensibles, capables de donner avec lui au final un moment musical réconfortant pour nous apaiser des tensions du monde.
Quelques repères :
« Between Hope and Despair » : Les sons lancinants de la trompette d’Antonio, serrés du piano d’Avishai, saccadés de la batterie de Shayan et sombres de la basse tous très émouvants semblent lutter pour émerger du désespoir.
« Don’t Think Dance » : La rythmique groove et invite effectivement à la dance suivie du piano gouleyant, un solo de trompette bien envoyé nous happe, cette fois nous sommes dans l’espoir !
« Bastrika » : Une de ces mélodies faciles à retenir, reprise en boucle par les instruments qui chacun prend amplement sa place, on capte des échos d’ailleurs par petites touches suggérées habilement.
« Echo Chamber » : Avishai et Antonio rivalisent d’inventivité, chacun déroulant sa partition avec ferveur, les notes d’espoir dominent, la tendance est plus classique, c’est magnifique !
« The Old Days » : Bruitages insolites de Shayan à la batterie, la trompette suggère la nostalgie, Avishaï au Rhodes nous embarque dans un autre monde rejoint par Ivan à la basse, l’univers musical est foisonnant, chacun innove, plutôt « The New Days » : Réjouissant !
« Midnight Express » : L’histoire ne dit pas s’il s’agit d’une référence au film, mais le démarrage est dans l’urgence ! Le piano jette vivement la mélodie, la trompette envoie haut ses volutes, leur dialogue est à l’unisson, la rythmique soutient vaillamment. La virtuosité d’Avishaï est telle qu’on a l’impression qu’il a au moins 3 mains ! Le tempo devient plus haché vraiment de plus en plus dans l’urgence !
Bref encore un pianiste découvrir et/ou à suivre de près !
https://www.facebook.com/avishai.darash
The Very Big Experimental Toubifri Orchestra – Outre
Par Dom Imonk
La Grande Expérimentale/Inouïe Distribution
Sachez que si vous êtes en recherche de sensations fortes, alors la musique de The Very Big Experimental Toubifri Orchestra est faite pour vous, et en particulier son tout nouveau « Outre » ! Ce groupe est une sorte d’énorme ovni, qui embarque là plus de dix-huit membres d’équipage, pour aller dans les directions spatiales les plus inattendues, grâce à des réacteurs créatifs surpuissants ! Créé à Lyon en 2006 par feu Grégoire Gensse, il propose avec « Outre » son quatrième disque, après trois albums très remarqués : « Waiting in the Toaster » (2014), « Nous » (2017, double album) et « Dieu Poulet » (2021). Habité d’une force collective rare, cet orchestre est riche d’une inspiration et d’une écriture « no limits », applicable à un large ensemble, ce qui, ajouté à un redoutable niveau instrumental, lui permet toutes les audaces, que ce soit en live ou en studio.
Divers courants circulent dans ce disque. Ils se contournent et s’observent un temps, s’amadouent, s’entrechoquent parfois, et finalement s’entremêlent naturellement, comme si un nouveau style se créait d’influences diverses, de textures éloignées puis finalement associées. Les flux s’apprivoisent puis s’unissent, entre puissance irrésistible et douceur (presque) aimable. Au menu, impression de vision à 360°, des musiques sérieuses, voire contemporaines, à de la pop mutante, en passant par du groove, du prog, du limite « zeuhl », du groove, du fusion et du jazz, oui, du jazz, que voilà réécrit de singulière façon, il en jubile !
Dans les températures « ressenties » en aléatoire au fil des morceaux, et histoire de faire un peu de name dropping, citons par exemple Sun Râ, Burnt Sugar, un soupçon de Magma, et même de P-Funk, bref ! Insistons au passage sur la maitrise des voix qui nous emportent dès le début de l’incroyable « Grande Main » qui ouvre le bal, et dont les voicings rappellent un peu ceux, très brefs, qui ouvrirent jadis le génial « Corner Pocket » de Weather Report. Magnifique morceau dont le final solaire, va faire fondre encore plus vite nos pauvres glaciers ! D’autres beautés poignantes suivront comme « Dust », « Tramonto » ou encore « Maurice » du chanteur poète Loïc Lantoine, qui collabora sur « Nous ». Ne résistez surtout pas à la bizarre énergie décalée des « Joggers », « Gravitation Minute » et « Tournicoti », difficile de s’en remettre ! Enfin, mentions spéciales au (faussement) primesautier « Outre », au final de big band joyeux et au magistral « Vert Jaune » qui clôt cet album, autre pièce majeure de ce disque fou, signé par des magiciens cosmiques !
Musicien-nes :
Mélissa Acchiardi : vibraphone, percussions
Adrien Amey : saxophone alto (1,2,4,7)
Lionel Aubernon : batterie, percussions
Stéphanie Aurières : saxophone baryton
Aloïs Benoit : trombone, euphonium
Félicien Bouchot : trompette, bugle
Mathilde Bouillot : flûtes traversières, chant (1,3,5)
Ophélia Dècle : flûte traversière (4,7)
Thibaut Fontana : saxophone ténor
Lucas Hercberg : basse électrique, chant (1,5)
Grégory Julliard : trombone, tuba
Loïc Antoine : voix (7)
Emmanuelle Legros : trompette, bugle
François Mignot : guitare électrique
Yannick Narejos : saxophone ténor
Benjamin Nid : saxophone alto
Alice Perret : claviers
Yannick Pirri : trompette, bugle
Corentin Quemener : batterie, percussions
Damien Sabatier : saxophone alto
Baptiste Sarat : trompette (1,2,4,7)
Laurent Vichard : clarinettes