Gazette Bleue Week-End # 12

Bonjour ! Douzième numéro de notre série, avec quatre nouvelles chroniques :

Crafting Quintet – Imaginary View, Adam Forkelid – Turning Point, Mega Mass – Murmurs and Wails et Armand Van Wijck – Nothing to Declare .

Des disques qui devraient vous plaire ! Nous vous souhaitons un excellent week-end musical ! Bonnes lectures !

La rédaction.


Crafting Quintet – Imaginary View

5 étoiles

Jazz Family – Socadisc Distribution Sortie le 03 Mai

Chronique de Martine Omiécinski le 13 Mai 2024

Romain Habert : Guitare, composition

Renan Richard-Kobel : Saxophone soprano, composition

Clelya Abraham : Piano, composition

Yves Marcotte : Contrebasse, composition

Jean-Baptiste Loutte : Batterie, composition

Porté par Jean-Baptiste Loutte et Romain Habert, Crafting Quintet est un collectif de cinq musicien(ne)s et compositeur(trice)s ami(e)s depuis leurs études au Conservatoire de Paris. Après un premier EP en 2021, voici leur premier album « Imaginary View » sur lequel nous retrouvons 2 compositions de chacun d’entre-eux : leur créativité et leur fougue nous offrent un jazz moderne aux sonorités et accents pluriels fort agréables. Le Grand Sud-Ouest ne s’y est pas trompé puisqu’après avoir été primés en 2023 par l’association de Pau Billère « Tonnerre de Jazz », cet été, le groupe partira sur une petite tournée du Sud à l’initiative de l’Astrada de Marciac !

Mes morceaux préférés :

« Sasha » : composition de Renan Richard-Kobel ( Saxophoniste que vous avez peut-être déjà écouté avec l’ensemble de Leila Olivesi) : Rythmique itérative sur laquelle le saxo de Renan se délie en enroulements vifs, suit un duo joliment enchevêtré guitare/contrebasse (Romain et Yves) , le piano de Clelya est fluide puis les envolées du soprano de Renan se détachent de la guitare prolixe, la rythmique est tenace débouchant sur un solo de batterie bien envoyé (de Jean-Baptiste) avant un final collectif super énergique où tour à tour se conjuguent et décollent les différentes individualités.

« Résilience » : composition de Romain Habert : Des touches impressionnistes de chaque instrument se posent sur une mélodie pleine de reliefs puis chacun lance une joute où l’improvisation a la part belle. Sur la solide rythmique, la guitare décroche ses accords sublimés d’effets, le piano et le soprano s’exprimant tout en douceur.

« Sahara » : composition de Clelya Abraham : Le saxo et la guitare s’entremêlent en douceur à l’entame, puis le piano s’en mêle tout aussi suavement avant un magistral solo de contrebasse, cordes très tendues évoquant le son des instruments à corde de la région saharienne, puis le jeu de Clelya est infiniment caressant avant une belle conclusion collective sur le thème.

« J.B.Y » : composition de Yves Marcotte : c’est vif, le saxo est terriblement audacieux, le piano également en réponse, la rythmique bourrée d’énergie et la guitare ravageuse !

« The way » : composition de Clelya : mélodie à l’humeur sautillante initiée par le trio de base puis Renan se lance dans des arabesques sophistiquées et haut perchées, la guitare et le piano se fondent magiquement, quel groove, quelle pêche !

« Météores » : composition de Jean-Baptiste Loutte (dont Action Jazz avait parlé en Avril 2023 puisqu’il était le batteur sur l’album de Julian Leprince-Caetano). Sur ce morceau la batterie et la guitare réitèrent en boucle la mélodie, le soprano propose une impro lyrique magnifique, la batterie omniprésente reprend la main pour mener le morceau vers un final collectif explosif : « una descarga » comme disent les cubains !

Bref, un album formant un tout cohérent où les individualités et le collectif évoluent en belle harmonie !

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Adam Forkelid – Turning Point

5 étoiles

Prophone Records sortie le 03 Mai 2024

Chronique de Martine Omiécinski le 16 Mai 2024

Adam Forkelid : Piano, compositions

Carl Mörner Ringström : Guitare

Niklas Fernqvist : Contrebasse

Daniel Fredriksson : Batterie

Faisons un petit tour en jazz d’Europe du nord !

Adam Forkelid est un pianiste suédois, un des musiciens préférés de la scène scandinave, il joue et a joué depuis plus de vingt ans avec plusieurs groupes et a performé avec des artistes internationaux (dont le guitariste brésilien Pedro Martins). Ses influences vonst des compositeurs classiques comme Satie ou Chopin, aux rythmes brésiliens et cubains en passant par Chick Correa et Bill Frisell. Et oui, il est aussi passionné de guitare ce qui explique que l’on retrouve sur cet album le géant suédois de la guitare progressive contemporaine : Carl Mörner Ringström ainsi que 2 autres musiciens également très demandés en Europe du nord.

Adam mélange le jazz acoustique à quelques effets électroniques, le tout dans une ambiance nordique pleine d’âme, les passages poétiques et mélancoliques alternant avec des moments d’euphorie jubilatoires.

Mes morceaux préférés :

« Turning Point » : titre également de l’album. On est tout de suite happé par le trio de base qui envoie des notes rapide et claquées, Adam au piano frappe vivement, Daniel à la batterie « cymbale » à fond, en accord parfait avec Niklas faisant résonner ses cordes ; Carl à la guitare vient s’y accrocher dans une impro incroyable tutoyant les aigus…ça dépote !

« Strive » : morceau plus calme avec des lignes mélodiques épurées joué avec beaucoup d’âme par Adam, remarquons aussi un émouvant duo contrebasse/guitare, la contrebasse finissant le morceau en apothéose.

« No Man’s Land » : pour la mélodie prégnante dont les accords reviennent en boucle et la fusion entre piano et guitare

« Moving On » : Carl, prolixe et impérial à la guitare débute le morceau, Adam plein de fougue plaque les notes, la rythmique assure un socle percutant. Puis piano et batterie « s’ensauvagent » dans une impro brillante…Retour collectif au calme pour le final.

« The Old House » : magnifique mélodie où le piano et la contrebasse mélancoliques et lyriques, tous jouent avec beaucoup de profondeur.

Quelles mélodies et quel jeu, écoutez vite cet album qui enchante et qui donne la pèche !

https://www.facebook.com/adam.forkelid


Mega Mass – Murmurs and Wails

Étonnante découverte que celle de Mega Mass, un trio de musiciens très actifs sur la foisonnante scène berlinoise. D’origines géographique voisines, et d’inspirations variées, les trois compagnons forment ce collectif, aux improvisations débridées mais à l’écriture précise, et entremêlent leurs idées d’une déconcertante façon. Pour ce superbe « Murmurs and wails », voici donc réunis le suisse Théo Duboule (guitare, compositions), l’allemand Fabian Willmann (saxophone ténor et baryton, compositions) et le français Quentin Cholet (batterie, compositions). Leurs cv respectifs forcent au respect, études, récompenses, tournées propices à de nombreux partages de scènes et/ou collaborations avec des sommités du jazz international. Bref, passons à l’album !

C’est certainement le fait de n’avoir été enregistré qu’en un seul jour, au studio Zentri Fuge de Berlin, qui donne au disque ce son live, cette urgence à la fraicheur dynamique saisissante, d’autant qu’il fait suite à « 2 ans de tournées en Allemagne, Suisse et Corée du Sud » nous dit-on. Donc pas le temps de refroidir l’ardeur des trois compères, nous les imaginons en effet jouant dans la pièce d’à côté !

Ainsi, c’est une déambulation au cœur de onze pièces aux parfums inattendus qui s ‘ouvre à nous, en des climats variés, entre sérénité méditative et emportements éruptifs. Il n’y a que des compositions, hormis la superbe reprise du « Warm Canto » de Mal Waldron dont la douce fluidité rappelle un peu celle du fameux trio de Paul Motian, Bill Frisell et Joe Lovano, influence revendiquée par Mega Mass. Impression que nous retrouvons aussi sur la mystérieuse « Intro », dans l’élégant mais presque trop furtif « Blessed are the meek » et même, en plus décalé, avec l’ambitieux « Romanticism » notamment traversé d’un superbe chorus de baryton. Feeling lunaire avec les deux parties de « Dualism », d’une beauté fascinante qui prouve encore une fois l’originalité de l’écriture de ce groupe, son audace, ses prouesses instrumentales et sonores, et cette subtile connivence qui lie ses membres.

Sachez cependant que ce disque comporte aussi des passages assez musclés, et même s’il n’y a pas de bassiste, nous restons scotchés par le groove irrésistible dans lequel nous entrainent par exemple « Mechanisms », sa guitare brûlante et ses saccades, ou encore « Methuselah » et son obsédant tempo rythmique, sous-entendant la braise, soufflée par un saxophone aux interrogations plaintives. Au rayon des autres thèmes plutôt énervés, « Elu » n’est pas en reste, avec son humeur plutôt rock limite endiablé qui ne nous laissera pas non plus indifférents.

Enfin, nous ne risquons pas de descendre de ce tapis volant émotionnel, y étant retenus par le délicat « Lunar love » qui nous séduit par son feeling, furtivement innervé d’un sax que n’aurait pas renié Grover Washington Jr, et par un « Flow » plus guilleret, voire enflammé, qui clôt l’album et nous entraîne vers les étoiles qu’il éclaire de son chant libéré.

Par Dom Imonk

Label JazzHausMusik

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Armand Van Wijck – Nothing to Declare 

5 étoiles

Howling Jazz sortie Avril 2024

Chronique de Martine Omiécinski le 10 juin 2024

Armand Van Wijck : Harmonica chromatique, suling (flûte indonésienne en bambou), compositions

Axel Liliedahl Nordström : Piano

Björn Petersson : Contrebasse

Johan Björklund : Batterie

Invitée : Magdalena Eriksson : Violon (1,2) et voix (5)

Faisons un petit tour du côté de la Suède pour mettre en lumière un album atypique dont le leader Armand Van Wijck joue de l’harmonica et de la flute en bambou dans un univers très personnel et apaisant ! Armand est originaire des Pays-Bas et vit à Stockholm où il est leader de ce quartet de jazz. Il a aussi des racines indonésiennes par une de ses grands-mères qui a dû s’exiler aux Pays-Bas après la deuxième guerre mondiale (rappelons que l’Indonésie était une « colonie » hollandaise).

Il s’agit du premier disque du groupe, l’intitulé « Nothing to Declare » fait référence à l’exil : celui de sa grand-mère et le sien. Il s’agit d’une musique jazz aux colorations nordiques légèrement teintée de folk scandinave, de touches indonésiennes où pointe parfois la nostalgie du pays laissé derrière soi : une œuvre très zen jouée par des musiciens de grand talent !

Mes morceaux préférés :

« Hardangervidda » : L’intro jongle entre battements sourds (sur les peaux) et grincements de cordes puis Armand à l’harmonica dévoile doucement ses notes aériennes, Johann à la batterie est toujours très présent sur les peaux, l’harmonica devient plus vif, le lyrisme de Magdalena au violon déchire l’air suivi du piano d’Axel non moins lyrique, la contrebasse de Björn précisant le tempo. Etonnant et beau !

« Nothing to Declare » : Comme une épopée mélodieuse empreinte de folk (Magdalena Eriksson la violoniste oscille entre jazz et musique folk) qui évoque les états d’âme d’un migrant ne se sentant pas toujours très bien accueilli. Chacun déroule ses phrasés avec poésie, l’harmonica volute librement, le violon reprend les accords, le piano empreint de ce mood suédois particulier n’est pas sans rappeler le regretté pianiste Esbjörn Svensson (groupe E.S.T) qui a influencé cette musique scandinave. Les sons s’entremêlent avec bonheur ancrés par la contrebasse très présente aussi.

« Autum Sun » : Cet hymne au soleil perçant à travers les nuages d’automne en apportant le « même ressenti joyeux que lorsqu’on tombe amoureux » dixit Armand, nous transporte aussi avec l’harmonica qui brode sur contrebasse et batterie tout en tendresse. Suit un magnifique dialogue piano/contrebasse : Axel module souplement ses cordes de piano, Björn tend les siennes, créant un joli contraste.

« Clouds and Clovers » : Moment contemplatif nous enveloppant d’une douce mélancolie évoquant le mal du pays, toujours dans la douceur et la zénitude, pas « plombant » du tout.

« Nenek » : La grand-mère (en Indonésie) : Entame tambour et percussions comme le gamelan sur lesquels la flûte indonésienne en bambou (suling) lance ses enluminures, le piano se fait cristallin, la flûte pleure. Un « poslude » vibrant où piano et harmonica rivalisent de poésie nous terrasse : quelle beauté !

Bref un album à écouter absolument comme une potion magique dès que vous avez besoin de sérénité et de beauté, résultat garanti !

https://www.facebook.com/armand.vanwijck