Unwalled

François Carrier : Sax Alto / Alexander von Schlippenbach : Piano  / John Edwards : Contrebasse / Michel Lambert : Batterie

Le duo choc est de retour ! Un altiste et un batteur parmi les plus passionnants, inventifs et remarquables instrumentistes de la planète « Free Jazz » de nouveau réunis, pour de nouvelles aventures et pour notre grand plaisir, et ce n’est pas cet opus qui contredira la haute réputation bien légitime de ces 2 là, ni notre attente fébrile !
Ne nous attardons pas plus sur ces 2 génies de l’improvisation que nous avons déjà largement présentés dans ces colonnes … Pour ‘Sortir du Mur’, ils se sont adjoints 2 autres musiciens de haute valeur qui ne sont pas non plus des inconnus…
Alexander von Schlippenbach est l’un des plus importants pianiste chef-d’orchestre de ce côté-ci de l’Atlantique de par sa large contribution à la diffusion du style qui nous concerne aujourd’hui. Une légende du Free Jazz européen ! Créateur du ‘Globe Unit’ (1966), puis du ‘Berlin Contemporary Jazz Orchestra’ (fin ’80) qui accueillera, entre autres : Evan Parker, Paul Lovens, Kenny Wheeler, Misha Mengelberg, Aki Takase…, avant de travailler avec Tony Oxley, Sam Rivers and Aki Takase, puis il épluche le song book complet (en orchestre) de T.Monk. Il a bien souvent joué avec Evan Parker (sax alto), ce qui l’a probablement incité à tenter l’expérience avec François ! Il garde un style lyrique et une précision acérée, hérités d’études classiques et contemporaines, ainsi qu’un côté tranchant dans son jeu qui réunit ses divers composants.
John Edwards (non, pas le bassiste de ‘Statu Quo’), quant à lui, même s’il n’est pas si connu (malgré son talent indiscutable, et sa fréquente contribution aux enregistrements de François) sur notre vieux continent, a quand même participé à une centaine d’albums, avec Lol Coxhill, Evan Parker, Veryan Weston, Paul Dunmall, Kenny Wheeler, Phil Minton et d’autres… Il commence à jouer de façon autodidacte, quasi anarchique (sans méthode ni solfège) avec des groupes ‘Punk’, puis travaille sur la place possible du bruit dans une forme de rock avant-gardiste, avant de s’acoquiner avec le gratin de la musique improvisée britannique. Il a occupé ses jeunes années à copier son grand frère sur la batterie, ce qui donne une piste sérieuse pour comprendre son affinité  avec Michel, qu’il a souvent croisé sur les disques de François !
Près d’une heure et demi de musique enregistrée en début 2022 à Berlin. On s’y sent comme chez soi (pas à Berlin, dans la musique !), comme une impression de ‘déjà vu’, non pas que les sons proposés ici puissent ressembler à quelque chose de déjà entendu, loin s’en faut, mais plutôt dans l’évidence de cette musique, où l’on sent les comparses au sommet de leur talent, totalement présents dans une symbiose absolue… qui nous semble tellement naturelle qu’elle nous appelle à y participer, à l’aune de notre capacité écoute ! il nous semble ‘reconnaître’ cette musique comme existante à l’intérieur, potentiellement, il suffisait juste de la révéler, la réveiller… c’est fait !
Nous n’insistons donc pas sur la complicité des 2 canadiens, François et Michel ont les mêmes racines qu’ils ont laisser grandir ensemble, enrichis de travaux sur d’autres projets qui les ont éloigné (géographiquement), et rapproché lors de mise en commun des trésors glanés lors de ces expériences. Nous serions tentés de parler de tronc commun culturel pour les 2 européens, mais ce sont 2 histoires différentes, plus complémentaires qu’opposées. L’un forgé d’études accomplies, de longs travaux d’écriture originale, de directions d’instruments (et de caractères) divers. L’autre, plus impulsif, direct, instinctif, presque Rock, force à découvrir des zones encore inexplorées de l’inconscient collectif qui réunit les 4 acteurs/auteurs par un dynamisme permanent qui limite toute tentative de relâchement dans ce combat amical. D’autres qualités communes les relient et tissent un lien flottant, tendu entre les 4. L’écoute, bien sûr, surtout la spontanéité indéfectible qui guide chaque intervention, provoquent des réponses cohérentes, en accord ou opposition des autres proposant lesquels, à leur tour, offrent une autre direction possible au propos précédent.
On sent le pianiste très à l’aise avec le discours ambiant. Forgeant des architectures structurées et mouvantes, laissant entendre tout un orchestre en quelques accords plaqués, reliées de notes fortes qui invitent l’altiste à le rejoindre et à le dépasser jusqu’à être, à son tour, support d’expression du piano, le temps de quelques temps, et le piano coquin pousse à nouveau l’alto hors zone confort, prêt à des risques techniques et sonores qui vont attirer l’ensemble vers une autre galaxie surprise pour en découvrir le coeur et la raison. Jeu d’adresse et de sensibilité, acrobatie d’émotions contrôlées, que reprend la section rythmique à son compte. Une énergie presque rageuse anime le couple, comme le couple d’un moteur que rien ne peut retenir, réglé au petit poil, près à faire le tour de l’univers en le couvrant de sons de cordes, de peaux et de bronze frappés, pincés, caressés, en ouragan furieux, bise insidieuse, ou brise sereine, voire en silence couvrant un potentiel qui aussitôt surgit, éclate, s’installe, puis s’efface au profit d’une proposition nouvelle où tous vont s’engouffrer pour créer une autre forme de leur musique. Tension sans relâche, même dans des parties plus ‘douces’ où l’attention reste perceptible. Une attention où affleure l’anticipation d’idées possibles, où l’harmonie constante laisse échapper des bouts de phrases en forme de mélodie prêtes à s’envoler si elles n’étaient aussitôt tues par un désir constant de renouvellement et d’innovation, sans calcul ni prospective, exit culture et éducation, jouer comme un enfant qui découvre… une forme de liberté infinie…
Enfin, beaucoup de nuances guident le navire qui tient le cap pendant les tempêtes, musarde sur mer calme et file bon vent, pleines voiles sur l’océan de la félicité, où notre bonheur n’a d’égal que celui de l’équipage, heureux de ce bout de route ensemble, auditoire compris ! 
Un dernier mot : ENERGIE 

Chez : Fundacja Sluchaj
Par : Alain Fleche