Concert du 4 décembre 2022

© Fabrice Maumy

Toujours habitée par l’envie de notes, lors d’une de ces dernières journées dorées par l’automne, me voilà en route pour un  minuscule village poitevin, quelques 200 âmes nichées autour d’une très ancienne église romane, chez des amis passionnées de jardin, de littérature, de musique et piliers de soutien du jazz dans cette campagne excentrée.

Ce jour-là, ils avaient eu la bonne idée de réunir dans leur salon quelques copains musiciens ou épris de musique autour d’un duo bordelais d’exception, Etienne ROLIN, le prolifique souffleur, auteur de plus de 600 compositions et pièces pédagogiques, et le vibraphoniste explorateur de sons, Luc LAINE.

Comment mieux découvrir les parcours et carrières de ces deux monstres de l’improvisation,  qu’en se plongeant directement dans l’écoute attentive de cette suite basée sur des instruments à vent choisis par Etienne Rolin et sur un éventail de percussions issues de la banque de données sonores préparée par Luc Lainé.

Dès les premiers appels du cor de basset je compris que la partie ne serait pas forcément facile et qu’il allait me falloir faire preuve d’une oreille affinée pour pénétrer un monde de terres inquiétantes, arides et à priori peu hospitalières,
où chaque son est une recherche qui vient heurter un silence,
où chaque son est une vibration qui vient amplifier un  silence.

Comme dans la nature où l’harmonie se créait entre le silence, les chants d’oiseaux, les cris de l’homme, le crépitement d’un feu et l’aboiement d’un chien, un bruit de moteur, c’est simple, ça se côtoie et se mêle avec plus ou moins de bonheur pour écrire une partition sonore de notes, graves ou puissantes ou encore aiguës à en décoller le tympan, de sons plus ou moins répétitifs, percutant comme le marteau sur l’enclume du forgeron ou disharmonieux comme la perceuse du voisin.

De cette musique implacable de vérité, mon cerveau embrumé allait s’envoler vers une histoire interstellaire, glaciale comme la nuit  étoilée par le vibraphone ou émouvante comme celle de la canopée amazonienne violée par la main destructrice de l’homme.

Je ne sais si la partition fut écrite ou anticipée, mais je sais que la confiance entre les deux musiciens fut tout du long à son comble donnant une symphonie vivante, attachante et souvent surprenante de liberté.

Etienne Rolin grand expérimentateur du glissotar, cet instrument inventé par Daniel Vaczi, sorte de tarogato hongrois creusé dans un bois lumière d’amarante, évidé de haut en bas et la fente recouverte d’une lanière qui, percutée par les doigts produit des sons profonds, glissés ou percussifs , des sons rapides et enivrants.

Parfois la basse de la longue flûte bansouri venait arrondir un angle du son en saillie pour redonner une vibration infinie et nous ramener sur une terre plus tendre. 

Je n’ai pas encore parlé du cor de basset dont le son m’émeut tellement intensément et qu’Etienne joue avec grand talent.

Luc Lainé écoute, pénètre, ponctue à l’économie, manipule l’envers du décor, il n’a pas donné une partition facile à son instrument pourtant si fin et ciselé ; il l’ enrichit plutôt d’ une recherche informatique, prolongement d’un univers de timbres mats, sans cesse renouvelé.

Comme pour nous faire descendre de trop d’informations sonores, entre deux morceaux il nous offre quelques gasconnades illuminées bienvenues.

Les pièces s’enchaînent en duo puis parfois en solo, chaque musicien prenant la main, le plaisir de l’écoute est palpable chez le public présent convaincu d’avoir eu un accès intime et privilégié à un univers artistique profond et mystérieux. Là, point d’harmonies faciles, mais un parcours sonore erratique et aventureux, une immersion dans un entre-deux monde musical.

Je suis sortie enrichie, bien décidée à m’installer désormais plus confortablement dans cette musique minérale et intense, ardue et introspective, si peu conventionnelle –  et peut-être y puiser une force nouvelle.

Pour nous aider à la compréhension de cet univers contemporain d’accès intimidant pour les profanes, Etienne Rolin me confiera :

«  Luc Lainé et moi-même cultivons depuis 37 années une complicité musicale qui nous amène sur des terrains variés tels que les formations jazz du duo au big-band sur lesquels nous croisons nos cultures réciproques.   
Fruit des compositions fixées et des improvisations libres nous touchons l’univers de la « comprovisation », la composition étant le résultat d’une réflexion sur la forme musicale qui structure les inventions et l’improvisation donnant la fraîcheur du moment présent avec des moments de surprises voire des égarements que nous embrassons pleinement. 

La vérité musicale y réside dans les entre-deux mondes avec un mot clé : la confiance, la confiance dans l’écoute de l’autre.

Comme indique le titre d’un CD récent In Search of Surprise, nous avançons dans une recherche de surprise ».

Merci Etienne et Luc de nous avoir ouvert votre monde présent, futur et à venir et donné quelques clés de compréhension d’un langage musical puissant de vérité et de liberté mais encore malheureusement fermé à beaucoup d’oreilles…

A tout bientôt chers amis !

par Sylvie Delanne, photos Fabrice Maumy