Erik Truffaz quintet – « Rollin’& Clap » Jazzclub du Thou – 06/09/2024

Erik Truffaz, trompette
Marcello Giuliani, guitare basse
Alexis Anérilles, claviers
Raphaël Chassin, batterie
Matthis Pascaud, guitare
Il n’y a pas d’autre choix que de s’imprégner de cette musique de films si émotive à la lueur du jazz, la trompette d’Érik Truffaz entre en scène nous emportant d’emblée vers le rêve, La Strada, un espace à la douce brume, les quatre autres musiciens s’y immiscent comme pour ne pas perturber le halo délicatement dessiné. La guitare basse de Marcello Giuliani avance à pas feutrés, la batterie de Raphaël Chassin glisse doucement, le clavier d’Alexis Anérilles construit impassiblement une architecture au tempo concentré, la guitare de Matthis Pascaud s’incruste par griffes bien choisies. La trompette d’Éric s’envole avec Fantomas.
On sent bien là que l’âme d’Éric Truffaz se prolonge dans les sons, et laisse une atmosphère irremplaçable, peut-être en noir et blanc, une cinématographie de polar où toutes les strates des émotions possibles sont abordées. Les autres musiciens grouillent, grondent dans un tourbillon, la guitare de Matthis grimpe au ciel, rock psychédélique un l’instant pour rejoindre la trompette bouchée d’Eric qui plane au-dessus de nous avec L’Armée des ombres.
Le solo de Marcello Giuliani nous soulève la peau, juste un frisson. La batterie et les percus entrent en tendresse pour appeler la guitare ici voluptueuse. Imaginez une source chaude, au léger débit, enfin, une caresse et cette étrange douceur d’Érik Truffaz. On peut fermer les yeux, définitivement absorbés…
Si la guitare bat la cadence comme un pouls presque régulier, Circle by Circle, la trompette dessine sa dentelle, avec des sons longs, somptueux, alternant avec des circonvolutions. Les quatre autres musiciens s’enroulent, téméraires, autour de la trompette pour l’honorer, la soulever.
Pour Le Casse, Erik Truffaz s’approche de nous pour favoriser l’intimité de son jeu, que nous nous approchions des sons soyeux, aux nuances infinitésimales, un éventail de couleurs qui se déploieraient peu à peu, créatrices d’un étrange suspense, d’une histoire de vie et de mort possiblement imminente, la guitare de Matthis Pascaud tour à tour témoin de la mélodie d’Ennio Morricone, et prétexte au déroulement du scénario. Batterie, basse et clavier, enlumineurs afin que brille au firmament l’esprit d’une trompette.
On croyait si bien partir que le quintet nous balance un swing rockeur, le clavier joue à la pulsion, par évolution concentrique, batterie, guitare et basse pulsent, accélération frénétique, 200 à l’heure, la chamade ! De quoi exciter le thème de Requiem pour un con, le transformer en pulsions pures vouées à elles-mêmes. Erik Truffaz nous invite à marquer le rythme.
Alexis Anérilles préfère le piano avec la pédale douce pour une trame délicate et que surgisse la trompette sensible d’Erik Truffaz. Le piano en paraît presque préparé offrant une atmosphère ouateuse au thème de Camille de Delerue dans Le Mépris. Ainsi, tous deux, par des sons déplacés, racontent une histoire. Ils « réduisent » les sonorités pour mieux faire émerger une essence. Ça a quelque chose à voir avec la définition de la beauté… Laisser le son montrer ses lignes, ses courbes, ses formes, en quelque sorte.
Puis, piano et trompette passent à un duo de chants d’oiseaux bavards, pépiements complices ; la batterie veille, discrètement et efficacement, roucoulant, le piano privilégie montées et descentes chromatiques aussi dysharmonieuses que possible, quelques trémolos instables. La batterie accroche le tempo, elle roule avec effet percussion par moments. Alors d’abord accompagnés par une trompette toujours aérienne, ils se retrouvent dans un grondement qui appelle celui de la basse. Le clavier lance un solo nerveux et soft, qui devient lyrique, un swing, une course effrénée mais sans violence, à corps perdus ? Érik revient pour en traverser la crête irisée de tous les sons !
Erik Truffaz trouve dans les thèmes de films et particulièrement de polars, la substance même de son jeu, et, de la puissance scénique du quintet, un univers de poésie narrative s’impose, aux sons faiseurs de fiction.
Par Anne Maurellet
