Sortie de résidence à l’OARA

En janvier 2020, lors du 8ème tremplin, juste au début des ennuis mondiaux, Black Bass quartet se voyait remettre le Grand Prix Action Jazz, ex-aequo avec A Polylogue from Sila. Une des récompenses était la possibilité d’effectuer une résidence à l’OARA, l’Office Artistique de la Région Nouvelle-Aquitaine dirigé par Joël Brouch partenaire fidèle de notre association. Il aura fallu deux ans pour qu’elle se réalise, vous vous doutez bien pourquoi.

De jeunes musiciens pleins d’avenir

Entre temps les quatre musiciens ont continué leur apprentissage au Conservatoire de Bordeaux pour trois d’entre-eux , à Paris pour le quatrième.

Le bassiste Théo Castillo poursuit son cycle à Bordeaux tout en menant sa carrière de musicien avec le duo « Bonjour Coline » et le groupe « le Biscuit » du soul/funk/hip-hop ! Il tient aussi la basse à la demande avec d’autres musiciens.

Le saxophoniste Pierre Thiot lui aussi toujours au Conservatoire Jacques Thibaud avec des perspectives de poursuites d’études musicales à Paris ou Bruxelles, joue en trio avec Mathieu Tarot (tr) et Laurent Vanhée (cb), un trio qui tourne autour de la musique de Charlie Mingus. Il est aussi membre avec Emile Rameau (dr) et Esteban Bardet (cb) du trio Périscope. En ce moment il fait des relevés d’Art Pepper !

Le guitariste Lucas Massalaz après avoir obtenu deux DEM au CNR de Bordeaux a lui le projet de rejoindre la prestigieuse Manhattan School of Music à NYC ; il a déjà réussi à distance la pré-sélection et part bientôt là-bas pour l’audition et l’examen d’entrée. Il travaille dur pour réussir ce beau projet et donne des cours de guitare.

Le batteur Emile Rameau est lui depuis cette année au très relevé CNSM de Paris dans le département dirigé par Riccardo del Fra. Il a aussi son trio Périscope, il joue toujours avec la Compagnie Lubat et à Paris se frotte dans une saine ambiance m’a-t-il dit à de nombreux musiciens de son âge ou déjà bien installés. Au conservatoire il travaille beaucoup l’écriture et les arrangements.

Voilà donc quatre musiciens sur de belles rampes de lancement, le tremplin étant l’une d’entre elles. Avec la situation actuelle en plus ils ont peu joué ensemble avec ce quartet. Grâce au tremplin Action Jazz, l’été 2021 les a vu participer aux festivals de jazz de Monségur, Capbreton, Oléron mais depuis plus rien. Cette résidence tombait donc à pic pour retravailler et peaufiner leur répertoire original. Je peux assurer qu’ils n’ont pas perdu leur temps, le résultat est exceptionnel.

 Ils n’ont jamais joué dans de telles conditions. La salle de la MECA et ses équipements sont remarquables ; un plateau technique ultra moderne, des techniciens qualifiés, une acoustique parfaite, de très belles lumières créées pour l’occasion, seules les banquettes sont un peu spartiates. Le concert est filmé et une photographe est venue les shooter dans la journée. Ils pourront ainsi repartir avec du matériel promotionnel de grande qualité. Le public a répondu présent à l’invitation de l’OARA, le concert étant en effet gratuit. Il ne sera pas déçu !

Un concert exceptionnel

Après la présentation par Joël Brouch et Alain Piarou, le groupe va nous offrir une heure trente d’un jazz d’une richesse,d’une variété et d’une maîtrise étonnantes. On comprend vite que ces jeunes musiciens ont une culture du jazz déjà immense, leur musique  le reflète parfaitement. La présence à la fois d’instruments électriques et acoustiques leur donne un espace musical très étendu. Saxophone et guitare nous entraînent ainsi dans divers univers, la basse et la batterie, fondamentales, assurant un liant parfait. La pulsation que fabrique Emile Rameau tantôt nuancée, ciselée est parfois ponctuée de « mines » rappelant son mentor uzestois ou un certain Tony Williams. Théo dans le rôle réputé plus discret du bassiste s’avère bien sûr indispensable et il montre souvent que la basse électrique est avant tout une guitare. Il nous le prouvera lors de chorus mélodieux. Je redécouvre Lucas Massalaz avec sa Gibson rutilante, il va nous impressionner par sa virtuosité toujours musicale, pas dans l’esbroufe mais dans l’efficacité. Des variétés de sons des plus classiques de la guitare jazz à ceux plus électrisés de John McLaughlin, Allan Holdsworth, même parfois ceux de Carlos Santana ou de Robert Fripp, mais à sa manière. Si j’évoque le guitariste de King Crimson c’est que certains passages vont me ramener à l’époque de Red, un spot rouge, comme par hasard, éclairant la scène à ce moment là, Pierre Thiot en Mel Collins rajoutant la furie de son sax. Mais pour en arriver là ils auront d’abord fait monter progressivement la fièvre, passant par le be-bop le sax ténor évoquant Sonny Rollins l’alto Charlie Parker avant de partir vers des contrées coltraniennes ; Pierre est impressionnant d’aisance de volubilité, la tension monte et le groupe finit par nous amener vers le free. Moi qui ne suis pas fan du genre je me fais embarquer comme toute la salle ; du free sous contrôle avec des rendez-vous, des breaks qui tombent pile. Très vite les guitaristes s’effacent laissant la place à un duo, que dis-je, un duel sax/batterie. Un moment intense, culotté. Les deux se parlent, se répondent, se comprennent en totale fusion. Puis Pierre s’efface lui aussi laissant Emile seul. Solo de batterie, tranquille au début, aux mailloches avec délicatesse, il faut presque tendre l’oreille. Et ça monte, ça monte jusqu’à cogner. Et là la folie d’Emile qui se libère, les racines uzestoises qui délivrent leur sève ; scat gascon, percussion avec des jouets pouet-pouet, des cochons, un poulet, puis des balles de ping pong cuites à la casserole explosant comme du pop corn ; délire comique, sympathique, le public conquis libérant en riant la tension que la musique avait créée. Une vraie performance. Les autres reviennent conclure cette longue suite et nous recoiffent après nous avoir décoiffés.

Le dernier titre composé par Emile en hommage à son ami Marc Peronne, a même des airs de bossa, on atterrit ainsi tranquillement, Pierre se faisant Stan (Getz)et Lucas Charlie (Byrd) mais pas que !

Ovation méritée pour ce jeune quartet qui a su construire à sa façon un répertoire moderne respectueux de leurs illustres prédécesseurs. Exceptionnel.

Un grand merci à L’OARA, son directeur Joël Brouch et toute sa belle équipe !

par Philippe Desmond, photos Philippe Marzat*.

* photos prises la veille du concert, cela n’étant pas possible le jour-même à cause de la captation vidéo