Diego Imbert Quartet – Le Temps Suspendu

[COUP DE CŒUR] Parmi les multiples formations auxquelles Diego Imbert a participé, citons Urban, Porgy and Bess et Interplay pour les plus récents projets, le présent quartet est peut-être son vrai jardin secret, sa table d’amis qu’il réunit dans une intimité créative des plus hardie. Au fil du temps, ce groupe a pu faire découvrir son étonnante musique, sans piano ni guitare, par de nombreux concerts et avec pour sources les albums « A l’ombre du saule pleureur » (2009), « Next Move » (2011), « Colors » (2015), ce dernier chroniqué à l’époque dans nos colonnes, et un enregistrement « Live » figurant dans le coffret « L’Intégrale » (2020). Pour « Le temps suspendu », le quartet est presque le même, Diego Imbert (Contrebasse & compositions), David El-Malek (Saxophone ténor), Franck Agulhon (Batterie), Quentin Ghomari (Trompette & bugle) succédant cependant à Alex Tassel (bugle).

Si « Colors » nous plongeait dans une féérie colorée, au cœur de « la visite d’un musée d’art moderne, chaque morceau étant une toile » comme nous l’imaginions, il nous faut désormais laisser palette et pinceaux de côté, pour entrer dans le monde de la plume et du papier vélin, avec cette évocation très originale de l’univers de Marcel Proust dont les compositions de Diego Imbert sont habitées. Ainsi, ce nouveau disque nous invite-t-il à parcourir un chemin musical insolite à la rencontre de l’illustre écrivain, à celle de « A la recherche du temps perdu », son œuvre majeure, et de divers détails de sa vie, en abordant des thèmes qui lui furent chers, avec par exemple les morceaux « La fugitive », « La recherche », « La madeleine » de « Combray », « Les paperolles » ou encore « Les regrets ». Saisissantes interprétations qui rejoignent celles d’autres titres, onze au total, où l’absence d’instruments harmoniques rend la musique plus agile et aérée, et surtout plus ouverte à la prise de risque, en équilibre sur l’espace des silences offerts ! A ce titre, il n’est pas interdit de penser au quartet qu’Ornette Coleman créa à l’aube des sixties (albums « The shape of jazz to come », « Change of the century »), tant le souffle free de son saxophone (alto) se mariait à ravir à celui du cornet de Don Cherry, sur le fondement rythmique inouï de Charlie Haden et Billy Higgins. Sans s’inscrire dans le concept « harmolodique » développé plus tard par Ornette Coleman, le Diego Imbert Quartet poursuit sa route dans un esprit proche, disons une « entente collective harmonieuse », qui se cale à merveille dans un 21° siècle encore avide de ces sons libres !

L’iridescence des colorations, la fraicheur ardente des interactions propices à des échappées mélodiques inattendues, nourries par l’improvisation, captivent et maintiennent en éveil à chaque note, grâce à l’originalité d’une écriture ouverte et à des jeux d’un très haut niveau. Les chorus des soufflants fascinent par la beauté de leur fluidité naturelle, et leur complicité s’épanouit dans de superbes unissons, des entrelacs moirés auxquels se mêlent ondoiements et percussions d’une rythmique rompue à l’exception, une force gémellaire qui étoffe l’ensemble, en ne cessant de se remettre en question. De l’aube vive aux regrets de devoir déjà repartir, outre les morceaux évoqués plus haut, nous traversons aussi des vagues vivifiantes et admirons des spirales de couleurs merveilleuses, probablement échappées de « Colors ».

Servis par un superbe son, les titres de ce disque magnifique défilent en funambules sur le fil tendu de ce temps suspendu, entre celui qui fut perdu et celui que nous retrouvons, grâce à ce livre musical qui nous donne envie de nous souvenir, de penser à l’avenir et, surtout, de (re)lire Marcel Proust !  

Par Dom Imonk

Trebim Music/L’Autre Distribution

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