Paradis improvisés

Thierry Maillard, Asgard

Jean-Pierre Como, Com ô Paradis

Yessaï Karapetian, Ker U Sus

Le premier point commun entre Pierre de Bethmann, Leonardo Montana, Baptiste Trotignon, Laurent Coulondre, Jean-Pierre Como, Yessaï Karapetian, Simon Chivallon, Alain Jean-Marie, Bojan Zulfikarpasic, Yonathan Avishaï, Thierry Maillard, Carl-Henri Morisset, Eric Legnini et Gregory Privat, c’est… le piano. Bonne réponse.

Et le second point commun ?

Tous ont posé leurs doigts sur le même Steinway, rue Paradis à Marseille.

Depuis 10 ans, Hélène Dumez a réussi un pari devenu fou aujourd’hui, à l’heure où les supports physiques ne se vendent plus… celui de créer une collection d’enregistrements en piano solo. Chaque artiste se dévoile dans l’intimité du lieu, livre sa singularité sans aucune contrainte, racontes ses petites histoires ou ses gros chagrins en totale liberté.

Le triptyque du jour a été enregistré au second semestre 2021 par 3 « ovnis » du piano.

Avec 30 ans de carrière, le pianiste, compositeur et orchestrateur Thierry Maillard a construit son style par le mélange du jazz et de la musique classique. Dès son premier album en 1998, « Paris-New York » enregistré avec Dennis Chambers à la batterie et John Pattucci à la basse, (label Verve) il définit un univers qui plaira à des grands noms du jazz tels que Biréli Lagrène, Chris Minh Doky, Michel Portal, André Ceccarelli, Bernard Lubat, Didier Lockwood… avec lesquels il collabore.

Son amour pour les cordes et l’orchestration le conduiront à les associer au trio jazz à 3 reprises.

Cet opus nommé « Asgard » (mythologie nordique) est un échantillon de ce qui anime Thierry ; le goût des belles mélodies assez lyriques, le sens étonnant de la reprise (Ne me quitte pas, Les feuilles mortes, Un jour mon prince viendra) ou encore l’humour avec une version délicieuse du « gendarme de St Tropez ». 15 petites pièces de 2 à 3 minutes pour découvrir ou redécouvrir le talent discret d’un grand Monsieur du piano classique, mais pas que.

A la différence de Thierry Maillard, Jean-Pierre Como débute dans le jazz et la variété, un peu plus timidement. Sideman de Pierre Vassiliu, il rencontre Jean-Paul Celea, Louis Winsberg puis forme le mythique groupe Sixun en croisant la route de Paco Sery en 1984. Le succès de ce boys’ band jazz fusion propulse Jean-Pierre dans la cour des grands et la jazzosphère l’acclame ; Stéphane Huchard, Sylvain Luc, Stefano di Battista, Michael Brecker, Jean-Marie Ecay, Jean-Luc Ponty, André Ceccarelli, Didier Lockwood, Pierre Bertrand, Paolo Fresu, Sylvain Beuf, Aldo Romano… ont joué à ses côtés.

La bonne douzaine d’albums solos de Jean-Pierre sont autant de facettes de sa personnalité brillante et mélancolique parfois. Celui qui a donné à Sixun des compositions insensées, écrit ici une des plus belles pages de son œuvre personnelle. Sensibles, sobres, totalement musicales, les compositions de Jean-Pierre aux effluves d’Erik Satie, touchent notre sensibilité au plus profond, car c’est sa sensibilité à fleur de peau qui est gravée sur ce CD, si joliment appelé « Com ô Paradis ». La seule reprise, « Over the Rainbow », semble avoir été composée par lui aussi !

Changement d’ambiance, de génération et de style avec Yessaï Karapetian. Né à Eravan en 1993, il vit entre Paris, New-York et l’Arménie. Ce virtuose aux multiples facettes puise son identité entre les diasporas des cultures africaines ou d’Amérique et les met en résonance avec ses racines arméniennes. Plus habitué au format quintet version électrique, Yessaï défend ici quelques compositions pleines de verve et de modernité. Son jeu impressionniste est parfois déroutant, mais l’énergie emporte, la virtuosité interpelle et la douceur qui lui succède surprend. On est border line avec la tonalité, le temps se distord parfois, la ligne mélodique se dérobe, puis revient. Lui qui a écouté les enseignements de Danilo Perez, John Patitucci et Terri Lyne Carrington au Berklee Jazz Institute de Boston, révèle ici en solo tous les aspects de sa personnalité musicale et expérimente en se nourrissant des influences du monde entier. Pour l’anecdote « Ker u Sus », le nom de cet opus, est aussi un plat traditionnel arménien à base de steak de bœuf et de pommes de terre… comme quoi, Rossini n’a rien inventé !

Enfin, nous avons hâte d’écouter les prochains solos du « Paradis improvisé », non ?

Signé : Vince

Paradis Improvisé/L’autre distribution