Super Nova 4

Le trio du saxophoniste Jean Derome est très réputé sur le continent américain, il est temps qu’on en parle !

Le pianiste Félix Stussi, d’origine suisse, installé au Canada, habitué de l’écurie ‘Effendi’, encyclopédiste averti de tous les jazz, désirait logiquement tester sa musique originale avec ces monstrueux musiciens auxquels aucun style de cette musique n’échappe. C’est une réussite totale ! Le pianiste se retrouve naturellement ‘avalé’ par le trio soudé, et c’est bien un quartet compact qu’il nous est donné d’entendre. Étonnant que Jean Derome ne soit pas plus écouté sous nos latitudes !

C’est un virtuose plein de coeur et d’humour comme nous les aimons en pays latin, et la section rythmique n’a rien à envier à celles que nous aimons écouter habituellement. Doigts et archet, peaux et cymbales, du ‘old school’ à la ‘musique présente’, rien ne les gène, à l’aise en toutes conditions, en accompagnateurs et en solistes, en parfaite symbiose avec les harmonies diverses et changeantes, ils sont très forts ! 
Le disque commence par un parfait exemple d’écriture au cordeau, à la fois exigeant et ouvert, où toutes les qualités des exécutants seront sollicités : Tapir Racing Team. Le ton est donné. quelques dissonances et beaucoup de blues échevelé, croisement incertain entre T.Monk et Tex Avery. L’alto et le piano nous la font ‘Tom et jerry’, la contrebasse en profite pour doubler le tempo, batterie royale qui suit, quand elle ne devance pas. Retour au rythme à l’archet, progression tragi-comique, la course animée et joyeuse reprend, pleine de rebonds et de sketchs quasi visuels.
On enchaine avec un morceau en 5/4, ça balance, ça sautille, la flûte fait  penser à un autre génie de l’instrument habitué des valses approximatives, impression confirmée sur le titre suivant où c’est le baryton qui ouvre et couvre une ambiance très mingusienne, la contrebasse s’en offrira un beau chorus bien soutenue par la batterie chatoyante et vigoureuse, avant de prêter la place à un gros sax plein de verve légère, et  de clin d’oeil aux personnages de dessins farfelus. On continue sur la lancée sur un autre titre, puis une intro de ‘grand’ mère’  pour un sujet plus grave, plus introverti. mystérieux. Arrive le numéro 6 (de J. Derome) : ‘La Nouvelle Africaine’ (plutôt que belle…), qui sera suivi, plus loin de ‘Stray horn’ (un certain Billy ?), puis de ‘G Jam Blues’ (un autre accord… mais même sens !). Là, c’est bien le grand Duke (chouette !) qui est invoqué. en hommage au maître, ils sont à la hauteur ! En évitant cliché et redite, sans chercher à jouer ‘à la façon de’, un sage esprit de beauté éclatante et d’amour distribué et partagé s’installe. Quelques accords de piano sur ‘Catch’, blues intelligent qui sent la transpiration d’une chemise blanche, et nous aussi ‘commençons à voir la lumière’. Le tour cosmique et stellaire s’achèvera en forme de film (super 8), résumé, condensé de l’album qui nous laisse pantelant de tant de beauté, d’humour, d’amour, de joie, de gaieté, de verve virtuose et de laisser-aller naturel. Sans oublier la prise de son irréprochable de la maison ‘effendi’ ! 

Bonheur total pour un disque dont on ne finira pas de parler. Ne passez pas à côté, ça sent le disque de l’année ! (On ne peut s’empêcher de penser au choc de la découverte de « Monk’n roll » de F. Bearzotti, savant mélange de la musique d’un protagoniste du Be-Bop de génie et de titres phares du Rock actuel, savant mélange de rigueur et d’humour, qualité  plus fréquente chez nos amis transalpins (Comedia dell’arte oblige) que l’idée que l’on se fait sur les habitants des pays du nord ! Pourtant…)


Par Alain Flèche

Label Effendi
Jean Derome : saxophones et flûtes
Félix Stussi : piano et compos
Normand Guilbeault : contrebasse
Pierre Tanguay : batterie