Black Lives au Rocher de Palmer le 23 novembre 2024
Reggie Washington, basse électrique, contrebasse
Christie Dashiell, voix
Sharrif Simmons, voix, spoken words, poèmes
Jacques Schwarz-Bart, saxophone
Pierrick Pédron, saxophone
Grégory Privat, claviers, piano
Federico González Peña, claviers, piano
David Gilmore, guitare
Adam Falcon, guitare, voix
Dj Grazzhoppa, platines
Marque Gilmore, batterie, sampling et programmation batterie
Sonny Troupé, batterie, ka, percussions
Le DJ Grazzhoppa démarre avec un tempo en forme de pouls, des chants tribaux en fond ; les onze autres musiciens entrent pendant que le son est déformé par les mains méticuleuses.
La musique est planante, chatoyante même si le Spoken word de Sharrif Simmons est revendicateur. Ne pas s’y méprendre, elle traduit une énergie féroce ; la batterie en témoigne. Au tour de la guitare de David Gilmore de jeter sa vindicte puis le clavier nerveux de Federico González Peña, le piano de Grégory Privat qui swingue aussi. Ils découpent tous le rythme au souffle de la voix : c’est fort ! Sharrif chante un morceau en français en nous rappelant que la haine ne gagnera pas, seul l’amour vaincra, qu’il faut vivre avant de mourir. L’amour est le meilleur combat ; être humain…
La voix de Christie Dashiell correspond à la douceur de ses mots pour repousser l’obscurantisme, encouragée par la guitare de David Gilmore, la délicate contrebasse de Reggie Washington, une batterie joyeuse. Le solo de sax traduit la complainte. Le rythme soutenu est celui de la concorde.
Le DJ relance la rythmique, scansion pour une musique lucide et généreuse. Le guitariste Adam Falcon nous rappelle lui aussi « we’re here ». Ce qu’il y a de magnifique, c’est cet état de conscience et la réponse altruiste et existentielle immédiate, deux batteries, deux sax, deux claviers pour la gémellité des âmes sans doute… Ça plane, nous planons, bluesy, du soul aussi, la guitare électrifiée à la Hendrix, nous sommes emplis de vagues tièdes délicieusement submergeantes. La batterie de Sonny Troupé jubile.
Souvent lancée par le DJ pour que le tempo imprègne les morceaux, une ballade aérienne, ça fait un moment que nous lévitons emportés, pourtant ancrés par les batteries plus roots. Les instruments jettent juste quelques éclairs mais maintiennent en fond ce groove. Ils sont autant de planètes lumineuses, éclairant les âmes de la bienveillance, alerte soft d’un monde à protéger.
Les deux chanteurs se sont éclipsés. Place à la cavalcade des claviers et des batteries. Une guitare à la McLaughlin, ondulante, les deux sax sortent leurs couleurs, distordent les sons, les deux batteries battent la chamade, pas question de ralentir la cadence, quelque chose d’intercontinental en jaillit, mélange hybride, heureux. La batterie de Sonny Troupé explose, aussi nerveuse que précise, appelant les percussions comme fondement disons d’une terre nourricière, vite rejointe par son comparse qui à son tour cherche la percussion pour faire rouler à nouveau sa batterie.
Un sax commence par battre la mesure pour attirer la batterie au tempo souhaité et c’est encore un goût suave, mais pas trop, juste pour réveiller les papilles, prendre le temps de déguster la vie, n’oublions pas, we’re here… Sax et voix de Christie se suivent, se chevauchent, s’appellent dans un duo parfait, scat à hauteur des notes du sax, alliance, tendresse. Un délice.
Encore un morceau d’une douceur inouïe, la voix susurrante, piano, contrebasse et batterie, sax, accompagnateurs attentifs et discrets. Le piano jarretien appuyé par le clavier lance un chant lyrique en réponse. Quelle déclaration comme un gospel même ! Nous sommes dans les nues.
Le DJ envoie des bribes de voix, hachées par le swing imposé, le piano de Grégory Privat en émerge, raffiné, notes feutrées, en parallèle avec le sax velouté de Pierrick Pédron, batterie et contrebasse assurant le tempo. Sorte de valse à plusieurs temps tournoyante avec des ralentis pour en livrer la grâce, la voix vient en fin s’y surimprimer, toujours des abandons à une certaine sensualité -on suit…
Le Dj Grazzhoppa détourne des voix sur ses vinyles pour que la chanteuse impose la sienne, entouré du guitariste qui vient chanter à son tour, tous groove, pulsions, joies partagées, puissance du collectif, beauté du partage, don de soi… On entend Freedom, Mercy, bon Dieu (ou pas), que ça fait du bien ! Le piano debussien laisse place soudain à la vivacité des autres musiciens, ils reprennent tous l’espace, le remplissant de leur course folle illustrée par la guitare véloce de David Gilmore, la batterie mène un train d’enfer, le sax alto de Pierrick Pedron virevolte bien soutenu par les autres, le sax ténor de Jacques Schwarz-Bart lui emboîte le pas en arabesques et swing affirmés.
Le spoken work de Sharrif Simmons, poésie du réel et de l’espoir, de retour pour être de la partie, la batterie joyeuse et la guitare dansent follement, et sa voix aussi. Ces sacrés musiciens, réunis ici dans la liesse jouent une tran(s)e euphorique, aux racines africaines enluminées par un jazz libérateur.
Anne Maurellet
Galerie photos Géraldine Gilleron :