Chronique du concert NAÏSSAM JALAL – RYTHMS OF RESISTANCE « UN AUTRE MONDE »

Jeudi 7 mars 2024 – Le Rocher de Palmer

Pour cette première rencontre avec le public bordelais, l’artiste franco-syrienne, NAÏSSAM JALAL (nominée aux Victoires du Jazz 2018 et 2021) aura donné du son de ses flûtes et accompagnée de quatre excellents musiciens un concert de jazz magique, contemporain teinté de lyrisme oriental, un concert en harmonie sur plusieurs mondes, un concert d’émotions pour l’entente et la Paix.

Habitée profondément d’une errance multiculturelle, Naïssam et son quintette forment depuis 2011 le groupe RYTHMS OF RESISTANCE qui donnera vie à plusieurs disques engagés dans une musique complexe et centrée sur l’intime, le spirituel et la résistance aux chaos de ce monde matérialiste.

« Un Autre Monde », (titre du 8ème album sorti en 2021), nous convie à introspecter notre relation à l’Autre et au monde en privilégiant les échanges de Beauté, d’harmonies, d’écoutes mutuelles.

C’est de cet espoir et de cet idéal que NAÏSSAM JALAL veut nous imprégner ce soir – « Un autre monde pour remettre un peu de lumière dans notre quotidien, et renouer avec l’espoir que cet autre monde est peut-être le monde de demain » (NJ).

Le batteur ARNAUD DOLMEN (Victoires du Jazz 2022, entr’autres distinctions) dès le premier morceau laisse éclater de la sourde douceur de ses mailloches un rythme puissant et fondamental. De par sa position sur la scène et l’énergie qui s’offre à nous, on sait qu’il sera un pivot central du concert.

Après cette première attaque toute en souplesse féline, entrent la flûte puis la contrebasse tenue par DAMIEN VARAILLON dont les notes tiennent parfaitement la mélodie, son son venant tempérer la légèreté échevelée parfois de la flûte.

Naïssam, la flûte, l’air, hautes vibrations, nous fait planer à l’infini et tutoyer les oiseaux, pendant que MEHDI CHAÏB ponctue de ses castagnettes puis ré-embouche son saxophone pour un voyage sans fin vers une transe moderniste soutenue par les tambours et cymbales d’Arnaud Dolmen, Naïssam ondule, danse et finit cet extraordinaire moment dans une envolée vocale qui lui est propre.

Arnaud Dolmen, toujours souriant, dans une communication intense avec Naïssam frappe doucement des mailloches et nous ramène dans l’énergie de la terre.

Vient ensuite Promenade au bord du rêve – Hésitant d’abord, puis profond comme le sang, entre le violoncelle de KARSTEN HOCHAPFEL (précedemment à la guitare), musique sobre, subtile et raffinée qui part en intensité et s’envole au son de la flûte.

Plus tard, un grand moment d’émotion partagé avec le public présent lors de cette déchirante prière en solidarité avec les souffrances de deux peuples courageux et suppliciés, le Peuple syrien et le Peuple palestinien humiliés et écrasés.  Introduite à la flûte orientale et la basse continue du violoncelle, la voix de Naïssam se fait cri supplique pleurs souffrance ; l’émotion est à son comble et les peaux frissonnent, elle chante et joue à la fois, la flûte pleure les bras des mères qui nous tendent l’agonie de leurs enfants. C’est tragique, épique et sublimement beau.

Dans Samaaï Al Andalus, la flûte orientale et le violoncelle partent au plus profond sur une rythmique contrebasse continue comme les secondes qui s’égrènent, puis le sax soprano pénètre pour apporter sa touche universelle parfois orientale parfois jazz improvisé, les sons s’envolent et se posent sur cette époque bénie où les cultures populaires grandissaient en se côtoyant. C’était l’âge d’or de cette Andalousie métissée.

Dernier morceau, Buleria Sarkhat Al Ard, commence par une flûte, fine, très haute, aussitôt rejointe par une symphonie profonde, les basses conjuguées et des volutes aériennes soutenues par les coups d’archets, rythme endiablé, montées et ornementations, le corps est en ligne, ondule et s’élève.

Le public se déchaîne et Naïssam revient avec un poème profond « D’Ailleurs, nous somme d’ici », il se termine par le chant de la flûte silencieusement triste, un dernier unisson pour célébrer la Mère Terre et la Fraternité de ses enfants, divisés, explosés, tellement dissonants et énervés. La musique unit, le son élève… de la guitare de Karsten, je vois le potier accélérer son tour et élever une montagne vers le ciel.

Indispensable concert, public touché, présence de jeunes scolaires enthousiastes qui ont pu rencontrer Naïssam Jallal dans leurs classes aujourd’hui et manifestent leur joie ce soir.

Nous sortons enrichis par la présence forte et sympathique de Naïssam, volontaire à donner un axe positif, saluer la Terre et ses histoires, à l’aune de la magie des métissages.

Par hasard, dans son enfance, Naïssam a choisi d’étudier la flûte, cet instrument du vent, de l’air léger, de la liberté des grands espaces qui fait fi des frontières. C’est devenu son cheval ailé pour entraîner son public vers un tourbillon de vie et d’amour.

Il faut écouter ce disque « Un Autre Monde », aux compositions, au chant, aux flûtes, la grande NAÏSSAM JALAL, accompagnée de ses formidables acolytes depuis 2011, « RYTHMS OF RESISTANCE », ARNAUD DOLMEN à la batterie et percussions, KARSTEN HOCHAPFEL, à la guitare et au violoncelle, DAMIEN VARAILLON à la contrebasse et MEHDI CHAÏB aux saxophones et castagnettes orientales.

Par Sylvie Delanne, photos Philippe Marzat.

Pour la Gazette Bleue d’Action Jazz

https://lerocherdepalmer.fr/

Galerie photos :