Symmetric

Baptiste Herbin : Saxophones alto et soprano

Nicolas Gardel : Trompette et bugle

Laurent Coulondre : Orgue Hammond et synthétiseurs

Yoann Serra : Batterie 

Très très bien. Un concentré d’excellence…

Rencontre au sommet, réunissant une partie de la fine fleur de la scène jazz française actuelle. Tous sont bien connus, et on renvoie à leurs sites internet respectifs pour leur biographie musicale, leur discographie déjà fournie, et les distinctions légitimes dont ils ont fait déjà l’objet.

10 morceaux sont proposés dans ce CD, composés par Baptiste Herbin et Nicolas Gardel.

On entend chacun avec plaisir. Tout est bien. On ne s’ennuie jamais. C’est rare dans un CD ! Les compositions sont originales, surprenantes, et structurées autour de riches orchestrations. Les plages se succèdent. Les improvisations, toujours brillantes, ne sont pas trop longues, et s’intègrent dans la construction d’ensemble. L’énergie est puissante.

On sent « la patte » de Nicolas Gardel dans ce perfectionnisme. La rigueur, l’efficacité, l’énergie, le rythme, l’équilibre. Le duo de cuivres, à l’unisson ou en contrepoint dans l’exposé des thèmes, donne une teinte jazz un peu « big band ».

Les deux solistes dialoguent avec impétuosité au-delà et délivrent à tour de rôle, « symétriquement » (c’est le titre de l’album), de splendides chorus. La qualité du son des saxophones et trompettes, toujours très travaillée, retient l’attention. 

L’association avec Laurent Coulondre donne un résultat exceptionnel. Le jeu de celui-ci est d’une perfection, d’une originalité et d’une finesse époustouflantes. Comme d’habitude. Tout l’accompagnement, les basses, et une partie des chorus, reposent sur le claviériste. Celui-ci ne semble gêné à aucun moment par l’ampleur de la tâche. La richesse des accords se combine avec la beauté et la variété des sons de l’orgue Hammond et des synthétiseurs : plénitude des accords tenus, additions harmoniques, son tournant, modulations permanentes. Le vigoureux soutien rythmique et harmonique s’appuie sur le jeu de basse au synthétiseur, dont le son un peu « métallique » et dur, apporte une teinte particulière qui contribue beaucoup à la personnalité de cette musique. 

La première symétrie dans le duo de cuivres, se double d’une seconde entre ceux-ci et les claviers, dont le jeu remarquable constitue l’autre polarité. Durant les chorus d’orgue, les cuivres s’unissent pour relayer l’accompagnement et tisser une toile harmonique en soutien.

Cette élaboration fait qu’à quatre instrumentistes seulement, à quelques rajouts près, on a l’impression d’entendre un grand orchestre. Le tout est construit dans une grande intelligence. Et traversé aussi à différents moments de diverses notes d’humour et de malice.

Le batteur Yoann Serra soutient le tout impeccablement. Son jeu précis et varié s’intègre parfaitement dans cette musique souvent complexe, qu’il enrichit en retour. Toujours présent là où il faut, comme il faut, soulignant avec pertinence et énergie chaque modulation.  

Une impression d’unité domine. Les quatre musiciens sont en affinité. La « congruence » du jeu de chacun se fond dans une harmonie d’ensemble.

Le style est original et difficile à caractériser. Un côté « hard bop » si l’on veut pour le rôle et la virtuosité des cuivres, mais pas seulement. Le jeu plein et les sonorités très riches des claviers tissent une atmosphère où l’on sent percer parfois l’influence de Joe Zawinul. Le mélange des deux dimensions nous transpose dans un univers inédit.  

L’album commence très fort avec le premier morceau « Jungle Bells ». Le thème, au début et à la fin, fait penser à « Snarky Puppy ». La force et le tempo des improvisations qui suivent, conjugués à la puissance de l’accompagnement créent une ambiance de folie. Quelle intensité !

Le second morceau « Yo-Yo » démarre, et se termine, par un « drôle de reggae ». Inattendu et facétieux. Le thème, dans lequel la basse au synthétiseur simule les gestes saccadés d’un pantin animé, ouvre la voie ensuite à de forts développements. Le drôle de reggae n’a servi que de prétexte.

On retrouve dans le troisième track, « 10-07 », une ambiance un peu « Snarky puppy ». Style plutôt « funky » et binaire. A nouveau, superbes impros des trois solistes. Ça « groove ».

Le quatrième morceau, « EMY », est une balade lente, qui met en valeur la beauté des sons du bugle et du saxo soprano, sur fond d’accords tenus à l’orgue Hammond. C’est bien fait. Prenant.

« Le Zappy » qui vient ensuite est un genre de « slow blues » qui nous transporte dans les décors des années 1960 -70. A nouveau étonnant et plein d’humour. Le son d’orgue, volontairement ringard, avec vibrato à fond, fait sourire. On penserait presque à Charly Oleg, l’inoubliable organiste de « Tournez manèges »… Les breaks prolongés sont également surprenants. La justesse de la composition et des impros font de « Zappy » un morceau plein de charme.

On repart avec « The Stroke » dans des tempos vifs. Ça swingue fort avec des solos toujours éclatants.

Deux morceaux lents succèdent. « Heart Breaker », où les messages doux des cuivres s’impriment sur le son plein de l’orgue et viennent brises les cœurs. Avec « Henriette », valse lente impeccablement orchestrée et interprétée, tout n’est plus que beauté, luxe, calme et volupté…

Le rythme accélère avec « Go Kla Yeh », sorte de samba rapide où brillent les soli.

Le dernier morceau, « Arcos », évoque le village d’origine de la mère de Nicolas (Arcos de la frontera), terreau de ses influences andalouses. L’ambiance orientale évoque un marché d’antan, aux épices, ou aux esclaves. Un caravansérail ? Une ambiance animée, où un génie tournoyant surgit de la lampe d’Aladin… Le morceau tourne bien autour d’une rythmique répétitive soutenue. 

Des concerts doivent suivre. A vos réservations ! Ça vaut le déplacement…

CONCERTS :

– 24 mars – Toulouse / Connexion Live

– 29 avril – Limoux Brass Festival

– 25 mai – Studio de l’Ermitage (Paris)

– 3 juin : Jazz 360 – Cénac (33)

– 8 juillet – Août of Jazz – Capbreton (40)

– 5 août – Jazz dans les Vignes (Cairanne – 84)

– 17 août – Festival Jazz de Malguenac (56) 

Matrisse Productions / L’autre distribution

Sortie : le 3 mars 2023

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Chronique : Jean-Luc Dagut