Rocher de Palmer – 14 octobre 2021 – 20H30
Avishai Cohen, contrebasse
Elchin Shirinov, piano
Roni Kaspi, batterie
Bien sûr qu’ils commencent par un des thèmes favoris. Le piano d’Elchin Shirinov lance le leitmotiv de la tendresse, une mélodie douce pour que les doigts d’Avishai commence à caresser les cordes de l’humanité. On prend, comme une comptine qui raconte des histoires sans vraies paroles, juste l’accord entre soi, entre nous. Il suffit d’y entrer et ce sera le fil d’Ariane de la soirée. On sait comment Avishai Cohen enrobe sa contrebasse, mais on ne s’en lasse pas. Le piano lui répond délicatement sage. Pas d’esbrouffe ici, l’idée est d’entrer en paix.
Avishai Cohen a la maîtrise du tempo, et ce qu’il cherche, c’est un swing essentiel, épuré, comme si les mots/notes, les simples, suffisaient à dire la profondeur. Il est entouré pour cela de deux jeunes musiciens : leur fraîcheur, l’apparente spontanéité de jeu l’accompagnent ainsi. Dans le présent, tout est nouveau. Ses ritournelles renaissent dans un printemps juvénile.
Le thème toujours très originel traduit néanmoins subtilement une certaine gravité, de la nostalgie sans doute ? C’est l’idée d’une transmission. Du passé, construisons un avenir sensible, peut-être même responsable. Le pianiste enhardi avance avec élégance.
Avec la répétition de quelques accords on entend la mélodie se construire, on l’apprécie, note après note avec l’impression de s’y glisser, d’évoluer parmi eux attiré(e)s par le chant des sirènes. La batterie assure fidèlement le compagnonnage. Avishai sait se régaler des envolées lyriques du pianiste Elchin Shirinov, nous aussi.
Les morceaux du nouveau disque récemment enregistrés, offerts en prime time, semblent davantage
libérés des mélodies passées et privilégient un swing plus enlevé, un piano dégagé de contraintes et une batterie qui s’envole davantage, à son tour. Un brin funky…
La contrebasse ne cesse pourtant de raconter une histoire, on entend un récit en filigrane, c’est la marque d’Avishai Cohen qui remplit les salles.
Avishai prend son archet pour entraîner le piano et la batterie dans une farandole aux accents yiddish. La tonicité un peu rock du jeu de Roni Kaspi à la batterie enchante Avishai qui, avec une énergie presque féroce, appelle la batterie à lui renvoyer son énergie. Chapeau ! Avishai Cohen retourne à un jazz plus « classique » formellement et on ne s’en plaindra pas, mais il s’inspire intelligemment de ces deux jeunes pousses pleins d’une sève puissante et sincère.
Et ça swingue à vive allure. Ça vous donne une sacrée pêche! Pas question d’entrer dans l’hiver. Ravigorant !
Quand Avishai éraille avec son pouce sa contrebasse, il semble entre le plaisir du jeu chez l’enfant et le désir d’en découdre avec l’instrument et la musique. Pudeur ? de l’homme sensible. Paradoxe?du musicien en quête de création encore et toujours ? Le bruissement de la musique ?
Ils répètent la mélodie jusqu’à son débordement, comme une chantilly dont le blanc grossirait sous l’effet de l’oxygénation. On s’y sent bien dans ce coton nuageux qui se déplace harmonieusement. Une voie lactée.
Puis un swing comme une note répétée à l’infini que l’on recouvrirait de tous les attributs possibles pour le faire encore mieux éclore. La contrebasse saisie, assiégée par l’archet savant, gourmand et exigeant d’Avishai devient charnelle et aérienne à la fois…avishaienne en quelque sorte, et creuse des trous d’air ! Nous nous y maintenons en apesanteur avec la douce Alfonsina qu’Avishai nous sussurre en rappel, bien sûr.
Anne Maurellet,
photos Jean-Michel Meyre