En visite chez Synthé-Grall

Olivier Grall

Les sons nouveaux du jazz-rock

A la fin des années soixante, le jazz a vécu un tournant important vers le jazz-rock les instruments se faisant de plus en plus électriques. Le rock était en plein essor, le jazz plutôt en stagnation et ce mouvement lui a redonné de l’énergie, certains qualifiant de commerciale cette approche moderniste. Pourtant les piliers de ce mouvement sont pour la plupart issus du jazz acoustique et pour ne citer que les pianistes devenus claviéristes pas les moindres : Herbie Hancock, Joe Zawinul, Chick Corea, George Duke, même Keith Jarrett… Il faut ajouter un certain Miles Davis, toujours à l’affût qui dans les années 70 a eu sa période claviers, au détriment de son instrument de prédilection. A cette époque sont donc apparus sur les pochettes de disque de jazz – comment peut-on se passer de cette mine d’informations désormais avec la musique en streaming ? – des noms comme Fender-Rhodes, Clavinet, Mellotron, Wurlitzer, Mini-Moog, Arp Odyssey…. Certes certains étaient déjà utilisés en rock ou pop mais là ils bousculaient la tradition des pianos acoustiques, élément central de beaucoup de trios. Un orgue particulier faisait déjà parler de lui depuis pas mal de temps dans le jazz, arrivé du gospel pour lequel son usage était destiné, l’instrument ayant été conçu à la base pour les églises : l’orgue Hammond.

Le Fender Rhodes de Miles Davis

La vie en Rhodes

Toute cette histoire, Olivier Grall chez qui nous nous sommes rendus à Andernos-les-Bains, peut vous la raconter à travers sa collection extraordinaire de claviers. Collection mais pas musée, pas de poussière ici ou d’objets inanimés, quasiment tout fonctionne , il appelle ça un pôle de ressources des claviers électriques. Je n’avais jamais vu autant de Fender-Rhodes, plus de vingt, aux esthétiques différentes, les fixes avec ampli, les transportables, les instruments d’écoles installés en batterie et joués au casque comme un peu les labos de langues, le professeur pouvant ainsi suivre plusieurs élèves. On trouve exactement le même que celui que Miles Davis avait imposé à ses pianistes, Chick ou Herbie ceux-ci lui demandant où était le piano en arrivant au studio et tombant devant ces drôles de machines. Olivier a découvert le son de ce clavier avec « Get Back » des Beatles puis avec des productions de Miles Davis et il en est tombé amoureux. Il bichonne les siens et répare aussi ceux des heureux propriétaires, l’instrument, un temps en désuétude, étant redevenu à la mode. Le principe, chaque touche active un marteau qui frappe une tige métallique qui vibre devant son propre micro et amplifiée aussi par un résonateur. Une électro-mécanique de précision. Olivier Grall est un des rares spécialistes en France, un passionné de cet instrument majeur du jazz. Michael Geyre, le claviériste – et accordéoniste – qui est avec nous n’hésite d’ailleurs pas à nous dire qu’Olivier voit la vie en Rhodes !

Les plus beaux claviers vintage

Dans un coin voilà un Mellotron, principalement utilisé en rock progressif, très peu en jazz. Chaque touche actionne un mini magnétophone (!) et donc une bande magnétique pré-enregistrée d’un son d’instrument réel. La note dure 8 secondes maximum. La « flûte » de Strawberry Fields c’est lui. Chaque instrument propose trois sons d’instruments , celui-ci c’est violon, violoncelle et voix. Si on veut d’autres instruments il faut « recharger » avec un autre module de magnétos. Rick Wakeman de Yes avait ainsi deux ou trois Mellotron sur scène pour avoir une large palette ! Un truc dingue créé avant l’échantillonnage numérique.

Ici un Würlitzer plus courant dans la soul, le R&B et bien sûr Ray Charles et Supertramp.

La plupart de ces instruments sont arrivés sur scène après avoir été créés pour les particuliers étant bien moins encombrants que les pianos et souvent transportables. L’idée des constructeurs était que chacun puisse avoir un instrument chez soi.

Tiens on dirait un vrai piano ? Presque, un Yamaha CP80, avec cadre et cordes mais directement amplifié, très utile sur scène. Voilà un ARP 2600, le même que Joe Zawinul avec Weather Report.

Nous voilà devant l’emblématique orgue Hammond, Jimmy Smith, Eddy Louiss, Rhoda Scott, Thierry Eliez…  Ce n’est pas le gros B3 mais son petit frère, le M3. Une dynamique de clavier terrible, très rapide à jouer avec ses touches goutte d’eau sans rebord qui facilitent la vitesse. A côté une cabine Leslie, accessoire de son que les frères Hammond n’aimaient pas et que finalement ils ont admis pour les associer à leurs orgues. Deux jolis « meubles » bourrés d’électro-mécanique.

Voilà un Clavinet Hohner très utilisé par Herbie Hancock époque Headhunters ainsi que par George Duke, lui avait tout ! Celui-ci a un look années 60 magnifique. Sur une étagère, une armée de boîtes à rythmes (très rares en jazz), puis un Electra-Piano de chez Hohner. A ce sujet Olivier nous compte l’anecdote du concert de Miles Davis à l’ile de Wight en 1970 ; Keith Jarrett avait demandé un Fender-Rhodes si rare en Europe à l’époque que la prod lui a fourni à la place un Electra-Piano et il a fait le concert avec ça ; il devait être de bonne humeur… Le son est proche mais pas aussi dynamique. C’est en réalité un piano d’appartement ! Ici le Rhodes du pauvre, le Pianet de chez Hohner, des Farfisa, un ARP rare (6 exemplaires construits) un Yamaha YC45 cet orgue aux sons particuliers utilisé par Miles en studio ; utilisé aussi par Chick Corea avec Return to Forever

Un lieu vivant

A l’étage (et oui deux salles au rez de chaussée et une au premier) les grosses bécanes et la régie-studio. On peut ici enregistrer, mixer, masteriser, un lieu vivant.

Voilà le standard des standards, le fameux et toujours très utilisé Mini Moog, un modèle des 70’s en bois, le synthé que tout le monde a joué, le plus demandé sur le marché de l’occasion. Un ARP Odyssey qui a voyagé dans le jazz rock, le jazz des années 70.  Occupant tout un pan de mur un synthétiseur RSF, marque française, avec ses innombrables boutons, ses fils enfichés, son clavier, des pièces uniques. Uniques comme ce synthé maison au look inspiré des romans de Jules Verne, le Grallophone.

Impossible de faire un inventaire complet tant il y a de modèles différents ! Alors si vous voulez en savoir plus sachez que des visites de groupes sont possibles. Mais Olivier Grall assure aussi des formations au son, aux synthés, aux Rhodes, il propose des prestations de studio, enregistrement, mixage et mastering. Il est aussi Sound Designer, créateur de sons, ces échantillonnages numériques que les claviers modernes ont en mémoire. Et oui de nos jours les clavier numériques peuvent à eux-seuls assurer tous les sons de leurs ancêtres vintage mais ils ne remplaceront jamais les originaux, leur grain, leur dynamique et leur look !

Pour terminer cette rencontre si instructive nous évoquons avec Olivier Grall son passé de musicien notamment avec le Philippe Cauvin Group dans les années 80, un musicien fabuleux pour lui mais ça on le savait déjà.

Je quitte à regret cette collection complètement folle rassemblée par ce passionné passionnant.

NB : pour en savoir beaucoup plus sur les claviers il faut lire l’indispensable « Les fous du son » de Laurent de Wilde en poche chez Folio.

texte et photos Philippe Desmond

Site web : http://olivier-grall.yusynth.net/

Visite en vidéo : https://youtu.be/09wCuTyrO14