Explorers

[COUP DE CŒUR] Parée du velours sombre de la nuit, à peine transpercée des lumières blanche et jaune de projecteurs imaginaires, la pochette d’Explorers, le nouveau disque d’Alexis Valet, paru sur jazz&people, plante un décor nocturne qui sied à merveille à notre vibraphoniste, très actif sur diverses scènes, et dans des projets que l’on ne compte plus ! Faisant suite à son premier opus, sorti il y a deux ans sur le label Déluge, album dense et solaire, propice aux rencontres, il n’en est pas moins ouvert à l’autre, et montre de nouveau une capacité créative ébouriffante, et déjà une remise en question, vers des climats plus épurés. Ce qu’a très bien compris Alexis Valet, et qui le rend tout aussi valeureux que ses collègues d’outre Atlantique cités à l’envi, c’est qu’aujourd’hui, pour faire aimer le jazz, il faut, à la lumière de son histoire, aller de l’avant en rendant le futur désirable, non par l’esbroufe ou des gimmicks entendus, mais par une vraie recherche intérieure, une qualité d’âme, que l’on ose mettre à nu, une prise de risque inventive, ouverte et sans limite. Il semble que tout ce qu’Alexis Valet a appris, et continue de le construire, depuis son passage au Conservatoire de Bordeaux il y a presque dix ans, est une suite d’explorations, de la teneur de la musique, de la complicité avec les autres musiciens, de son propre être. Pour perpétuer cette quête, et donner vie à Explorers, dont il signe huit des onze thèmes, il a formé son trio avec Lucas Fattorini (contrebasse) et Antoine Paganotti (batterie), auxquels se sont joint les illustres Ben Van Gelder (saxophone alto) et Bojan Z (piano), ces deux sur cinq titres chacun, dont trois en commun, ainsi que Christelle Raquillet (flûte sur le dernier morceau). Une équipe d’exception, pour une expédition au cœur d’un jazz dont l’âme tumultueuse témoigne bien de la ferveur actuelle.

C’est par « Casual polyglot », suivi de près par « Plaza de la Alfalfa »,  que débute en trio le voyage, les notes subtilement colorées du vibraphone s’envolant par myriades, dans un courant d‘air frais à la fluidité tournoyante, électrisé par la clarté dynamique d’une alliance contrebasse/batterie dont la symbiose intuitive est de tout premier plan.  On retrouvera la force de ce trio sur la remarquable reprise du « Dixie’s Dilemma » de Warne Marsh, ainsi que sur « Voyager 1 », petit brûlot speedé qui nous entraîne au plus profond de quelque cave, pour écouter des notes bleutées jusqu’au bout de la nuit ! Impression qui ne sera pas démentie un peu plus tard, quand l’on jouera le « Dr. Jakle » de Jackie McLean, avec une battle incroyable entre saxophone et vibraphone, portée par cette époustouflante rythmique, présente au point qu’on la croirait en train de jouer dans la pièce à côté, c’est fou !  Comme l’est la vie intense qu’il y a dans cet album, grâce à l’alternance de climats et à la synergie naturelle entre les musiciens. Mais l’on a aussi plaisir à retrouver la poésie romantique d’Alexis Valet, la singulière élégance de son art, quand il est notamment servi par le jeu riche et envoutant de  Bojan Z, lorsqu’il survient  sur la très attirante « Île aux fleurs », que l’on pressent magiques et dont les enivrants parfums modèlent le message cuivré de l’alto précieux de Ben Van Gelder, fort persuasif à inspirer l’hôte des lieux à y vivre avec sa belle « Any Sunday with her », invitation à laquelle elle ne pourra que succomber ! Nous ne résisterons pas non plus à la grâce de la reprise de « Fall », que Wayne Shorter signa jadis pour la Reine « Nefertiti », celle de Miles Davis, ici honorée par les jeux délicieusement entrelacés de Bojan Z et d’Alexis Valet, en équilibre sur les lianes inépuisables du rythme. Captivés par toutes ces découvertes, nous plongeons sans hésiter dans l’univers plus dense des trois compositions où se trouvent réunis les invités. Le morceau titre d’abord, qui annonce des échanges hauts en couleurs, et scelle une fraternité sonore au lyrisme des plus vifs, qu’on aura délice à retrouver plus tard avec « Hats and cards », vrai thème de film, d’une touchante mélancolie, et enfin l’interrogatif « What’s next », titre profond, ouvert au futur, qui semble poser avec un brin de gravité la question de ce qu’il adviendra, pour Alexis Valet et ses amis, pour la musique et les artistes, et pour le monde, comme le firent jadis des thèmes phares, chargés eux aussi de sens, tels que le « So what » de Miles Davis, ou encore le « What’s going on » de Marvin Gaye. Comme le titra un jour L’Art Ensemble of Chicago pour l’un de ses albums, « The Third Decade » est la route qui s’ouvre désormais à Alexis Valet, avec souhaitons-le beaucoup de succès et de concerts pour soutenir ce brillant « Explorers », au chant très finement capté, qui est un superbe hommage au vibraphone, instrument dont la voix intemporelle demeure vitale pour le jazz.

Par Dom Imonk

Label jazz&people

Enregistré les 16 et 17 janvier 2021 au Studio Libretto.

Prise de son et mixage : Erwan Boulay

Mastering : David Darlington

Photographie : Audrey Radas

Design graphique : Olivier Linden

https://jazzandpeople.bandcamp.com/album/alexis-valet-explorers