Al Jarreau et NDR Big Band – Ellington

Le label allemand Act Records a eu la formidable idée de sortir le 1er novembre un album posthume d’Al Jarreau consacré à Duke Ellington. Al Jarreau s’était associé en 2016 au fameux NDR Big Band, avec une tournée malheureusement interrompue par son décès en février 2017.
Alwyn Lopez Jarreau aura marqué de son talent le monde entier pendant 4 décennies tout en restant lui-même, c’est-à-dire un vocaliste inimitable et inclassable comme le prouve ses 6 Grammy Awards et ses 19 nominations en tant que « meilleur chanteur » dans 3 catégories distinctes, jazz, pop et R&B.
Ni crooner, ni scateur, il utilisait sa voix comme un instrument et ses innombrables collaborations avec le gratin du jazz mondial attestent de son profond ancrage dans ce style dont il ne se revendiquait pas forcément. Toutefois Duke Ellington était l’une des influences majeures d’Al Jarreau dont il disait « c’est un compositeur pop, car à l’époque, les gens dansaient sur sa musique, et de manière beaucoup plus sauvage et folle qu’aujourd’hui ».
Al Jarreau chantait du Al Jarreau et les genres musicaux ne le concernaient pas vraiment. « La musique peut très bien entrer dans des catégories pour d’autres personnes, et je le comprends, mais pour moi, si j’aime une chanson, je dois la faire, et c’est tout ». En 2004, en sortant « Accentuate The Positive » il étonnait d’ailleurs la critique et le public en épurant son propos, sur un substrat plus acoustique et en reprenant quelques standards comme « My foolish heart ». https://www.youtube.com/watch?v=lQSga77Le5Y

Puisque l’occasion m’est donnée de parler de cette personnalité si singulière, voyons comment tout cela a commencé et pourquoi la musique, les sons et les rythmes semblaient couler en lui, avec tant d’évidence.
Né en 1940 dans une famille de musiciens, Alwyn rejoint un trio dirigé par le pianiste George Duke à la fin des années 60 et se produit dans des lieux nocturnes de Los Angeles.
C’est à ce moment-là que Siggi Loch, alors cadre chez Warner et qui fondera plus tard le label ACT Records, l’entend pour la première fois. Alors, Siggi fait tout pour sortir son premier album, « We Got By » en 1975. Ce projet connait un certain succès aux USA mais surtout, il remporte le prix des critiques de disques allemands et Jarreau fait sa première tournée en Allemagne. Elle l’y a rendu célèbre du jour au lendemain, et depuis ce moment-là, Al Jarreau a toujours eu une place spéciale dans le cœur du public allemand.
Ce premier disque est suivi de « Glow » (1976), qui est à nouveau bien accueilli en Europe, remportant un deuxième prix de la critique du disque allemand, mais ce dernier ne marche pas aussi bien aux États-Unis : « cet album était destiné au public du “smooth jazz” », explique Loch.

En 2026, Jörg Achim Keller, Chef d’orchestre du NDR Bigband a proposé une collaboration à Al Jarreau et lui a présenté une centaine de titres d’Ellington et sa réaction a été très positive dès le début. « Ce qui était important pour moi, c’était de me retrouver dans la musique et peut-être de faire une proposition nouvelle sur Ellington pour que les gens puissent entendre la musique d’une manière différente de tout ce qu’ils avaient entendu auparavant ».

Jarreau et le NDR Bigband ont présenté cette relecture en tournée fin 2016. « Il y avait encore des ajustements en cours de tournée, d’un concert à l’autre », ajoute Jörg, « il aimait faire les ballades, et chacune d’entre elles avait une atmosphère différente. C’est le style et la personnalité d’Al qui ont tout fait tenir. L’ensemble était une véritable combinaison de la maîtrise musicale de Jarreau et d’Ellington. Il a séduit le public dans toute l’Europe, qui a adoré le programme ».

Côté musique donc, rien à (re)dire ! Ce projet est juste une perfection, tout simplement ! Les titres du grand Duke, plus ou moins connus, sont tous mis en valeur par la combinaison des talents du NDR Bigband, de la voix de Jarreau et aussi du fidèle saxophoniste, claviériste et arrangeur Joe Turano.

Parmi mes pistes préférées, « Come Sunday » dont l’arrangement bossa fait des pupitres flutes, sax, trompettes, trombones un délicieux tapis velours sur lequel Jarreau dodeline avec élégance.
https://www.youtube.com/watch?v=Rew8AfmgwYY
Le fameux « Take the A train » est un véritable TGV en première classe, pas tant qu’il soit pris sur un tempo très rapide, mais ici tout n’est que calme, luxe et volupté. « Sophisticated lady », un autre tube d’Ellington sonne très « Georges Benson » avec la présence marquée du son mythique de la guitare jazz Gibson.
« I ain’t got nothing but the blues » montre de nouveau cette versatilité de genre ; ici c’est du blues, pur et dur, la guitare est électrique, l’ambiance est épaisse, brute, mais toujours élégante.
https://www.youtube.com/watch?v=MuFD3VU0UsY
Le standard « Satin doll » clôture la sélection des 11 morceaux ; la version mambo est à la fois ébouriffante et inattendue ! Et ça fonctionne si bien, que cela parait écrit comme ça !
Franchement, je ne suis pas objectif, mais si vous voulez le vérifier, précipitez-vous sur ce CD.

Depuis peu, Jarreau vient de retrouver son vieux complice Quincy Jones et là-haut… ça devrait swinguer grave !
https://www.youtube.com/watch?v=WUgITqEQhog&list=RDWUgITqEQhog&start_radio=1&rv=WUgITqEQhog
https://www.youtube.com/watch?v=nOt2iogtakA

À bien des égards, « Ellington » boucle la boucle ! Cet album sort sur le prolifique et exigeant label ACT, le label fondé par Siggi Loch, qui a défendu Al Jarreau comme personne et qui l’a mis sur la voie de la célébrité, pour notre plus grand bonheur.

Par Vince
ACT

https://actrecords.bandcamp.com/album/ellington