Lucas Dorado – El Sueño 

[COUP DE CŒUR] Dans l’histoire du jazz, le vibraphone a toujours joué un rôle particulier, projetant à l’envi des étincelles inattendues, jazz, groove et même parfois avant-gardistes, le tout dans une fluidité cristalline et une douceur feutrée engageante. Des ingrédients qui ont alimenté les rêves poétiques de « El Sueño », un nouveau projet qui porte bien son nom, proposé par le vibraphoniste et compositeur Lucas Dorado.

Né en 1995 à Biel-Bienne (Suisse), Lucas Dorado a depuis sa tendre jeunesse beaucoup appris de son père Carlos Dorado, réputé guitariste argentin et maître en rythmes latino-américains, aux côtés duquel il a souvent joué en duo, et même en trio, son jeune frère Dalmiro Dorado, pétulant saxophoniste en devenir, se joignant à cette délicieuse fête familiale ! Initialement formé à la batterie et aux percussions au Conservatoire de Biel-Bienne, c’est au vibraphone qu’il s’est désormais pleinement consacré. Après de profitables études poursuivies à Berlin, Lausanne et Copenhague, et diverses distinctions reçues, il a obtenu des bourses, dont la dernière en 2022 lui a permis de mener à bien « El Sueño », coup de cœur du public au Tremplin Tonnerre de Jazz 2024.

Musicien professionnel depuis 2012, il a beaucoup tourné, en particulier dans des lieux prestigieux tels que la Philharmonie de Berlin, le New Morning à Paris ou encore le Nja’Nja M’ndzang au Cameroun. Pour compléter ce riche cursus, il a par ailleurs participé à divers albums de styles variés tels que Parcels (Because Music 2018), « Viaje » -Trio Dorado (L’Horizon Violet Paris 2023) ou encore MetaMadera (Sound Surveyor 2024). Il est enfin l’auteur de « Nuevos Ritmos », un livre consacré au vibraphone solo (Norsk Musikforlag 2019).

Un parcours fécond pour Lucas Dorado et « El Sueño », lequel réunit en quintet de jeunes musiciens basés à Paris, et quelques invités.e.s de marque. Leurs origines diverses et l’utilisation du bandonéon, qui se marie à ravir aux autres instruments et voix, ont marqué d’une grande originalité cet album. Alliant avec grâce et inventivité jazz et musique latine, l’écriture ensoleillée est servie par un son très pur, un chant d’âmes enflammées et le chatoiement coloré d’une subtile harmonie instrumentale.

Le groupe est composé des intrépides aventuriers que sont les argentins Lucas Dorado au vibraphone et aux compositions et Fabrizio Colombo au bandonéon, le chilien Gabriel Zamora Cortese à la guitare, l’italien Michelangelo Scandroglio à la contrebasse et le français Sacha Souêtre à la batterie. Mais pour que la fête soit complète, le capitaine Lucas a invité pour quelques titres Ingrid Legrand et Aitzi Cofre Real aux vocaux, Juan Villarroel à la basse électrique, et aux percussions Fabian Suarez et Minino Garay, autre argentin célèbre, également présent dans le projet MetaMadera évoqué plus haut. Quelle équipée !

Le bleu des têtes des maillets que nous tend souriant Lucas Dorado, nous pousse à découvrir sans résister les neuf attachants poèmes, en commençant par le mélancolique et réfléchi « Ese Momento » qui annonce brièvement la couleur du disque, où les bleus de l’âme peuvent souvent trouver apaisement grâce au baume au cœur qu’est la musique. Suit « Lunecer » (le lever de lune), c’est parti, on décolle ! Vibraphone chatoyant, basse en discrètes syncopes, l’occasion aussi de découvrir la belle voix d’Ingrid Legrand, puis un premier solo rêveur de guitare et les percussions foisonnantes de Minino Garay, liant la rythmique aurifère. La tension ne redescend pas vraiment avec le sourire aéré de « Sonrisas del Aire », remarquable pièce où le vibraphone « electro-préparé » accueille à merveille son ami le bandonéon, quelle chaleur ! Les chorus fusent et se succèdent, en de beaux phrasés propres à fendre les cœurs ! Nous sommes capturés, la vitesse de croisière de ce rêve éveillé semble acquise. La preuve, histoire de faire la fête au rythme de la célèbre « Zamba » argentine, quoi de mieux que cette très belle reprise de « Zamba de Balderrama” signée jadis par Manuel J.Castilla (paroles) et Gustavo « Cuchi » Leguizamón (musique), et interprétée avec succès par Mercedes Sosa dans les années 70. Ici c’est Aitzi Cofre Real qui la chante habitée d’un feeling solaire, juste accompagnée par Lucas Dorado et Minino Garay.

C’est malin, nous dansons maintenant, et le petit intermède festif « LOOTYOGU » ne nous arrêtera pas, grâce au disco-groove de la basse électrique de Juan Villarroel qui nous embarque avec ses camarades, sur un dancefloor nommé désir !

Suivent les quelques instants d’émotion de « Charliando », joli thème dédié au guitariste Carlos « Charly » Dorando, le père de Lucas cité plus haut. Traversé des superbes vocaux d’Ingrid Legrand et d’un époustouflant solo de guitare, ce thème de « jazz argentin » est une saisissante preuve d’amour d’un fils à son père, portée avec passion par la force collective du groupe.

Trois dernières étapes de ce voyage sinueux et porteur de messages : « Nada », un tango repris de José Dames, célèbre bandonéoniste et compositeur argentin. Une pure pépite du style où vibraphone et bandonéon rendent seuls leur hommage à ce grand homme, rien que de la musique, dans son plus simple appareil. Non, « Nada », ce n’est pas rien ! Les couleurs « Cherry, Oliva & Magenta » viennent ensuite nous éblouir. Elles rendent grâce à Bienne, Berlin et Paris, villes tant aimées du vibraphoniste. C’est peut-être la pièce majeure de l’album, tant l’émotion surgit de partout ! Une ode colorée en trois parties, où nous retrouvons Fabian Suarez aux percussions et l’incroyable complicité de ce groupe, uni « à la vie, à l’amour » ! Enfin, tout aussi émouvant, « Yacarandá » referme le rideau de ces rêves. C’est le nom que portait le premier groupe de Lucas Dorado, et une dédicace à Topo Gioia, un célèbre percussionniste argentin qui accompagna bien souvent Lucas à ses débuts à Berlin. Fabian Suarez est toujours là, alors qu’Ingrid Legrand vient une dernière fois nous enchanter.

El Sueño est une œuvre rayonnante, servie par de remarquables musiciens, dont le message chaleureux diffuse des images vraies qui suscitent l’envie de voyage, et la fuite vers la liberté, quoi qu’il en coûte ! Un vibrant hommage rendu à la musique d’Argentine, aux artistes qui la servent, et à ce grand pays dont le peuple, noble et courageux, souffre depuis si longtemps le martyre des violences de certains dirigeants, à la funeste et aveugle cruauté.

Il n’est de meilleure conclusion que cette citation, extraite des notes intérieures :

« Pero lo malo del sueño no es el sueño. Lo malo es eso que llaman despertarse… »

« Mais le problème avec le rêve, ce n’est pas le rêve lui-même. Le problème, c’est ce qu’on appelle le réveil… »

Julio Cortázar, « Rayuela »

Mention spéciale aux riches notes de presse de Lionel Eskenazi (Journaliste à Jazz Magazine)

Agenda :

11 juin : Sunset – Paris – Release party

19 juin : AWO – Potsdam (DE)

20 juin : Ibero – Amerikanisches Institut – Berlin (DE)

21 juin : Fête de la Musique – Paris

30 octobre : Kulturcafé Elbphilharmonie – Hambourg – (DE)

Par Dom Imonk

L’Horizon Violet/Absilone/CDZ

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