Quand le jazz sauve un collège.

Au début des années 2000, le collège de Monségur commence à se dépeupler, problèmes démographiques, concurrence, son avenir est menacé. La Mairie, l’OMCL, l’Office Monségurais de la Culture et des Loisirs, qui organise les 24 Heures du Swing depuis plus de 10 ans sous la houlette de son créateur Michel Rostein, et la direction du collège ont alors une idée. Faire comme à Marciac, proposer des classes jazz aux jeunes. Une dynamique commune, cohérente et attractive. Un temps en balance avec une section tennis-étude – l’ancien numéro 1 français Patrice Dominguez est natif de la ville et y a disputé ses premiers jeux – c’est finalement le projet musical qui emporte la confiance de l’Education Nationale et du Département financeur des collèges. Un internat de 45 places est même créé pour élargir la zone de recrutement. Depuis le collège est passé de 160 à 300 élèves, un succès.

Les classes jazz font partie d’un projet plus large, amener les jeunes vers la culture en créant une pratique rurale collective et à visée sociale. Un projet ambitieux, connaître et apprendre la musique, emmener les élèves aux spectacles, dans les festivals, créer.

De plus le projet est très ouvert, pas besoin de connaître et pratiquer la musique en entrant en sixième, la sélection ne se fait pas comme au conservatoire. Ainsi chaque année des débutants se présentent au collège. « En sixième cette année nous avons trois élèves qui viennent de démarrer la trompette et qui jouent déjà très bien » s’enthousiasme Slobodan Sokolovic, lui-même trompettiste et intervenant au collège. Une fois au collège par contre les jeunes sont tenus soit de fréquenter l’école de musique locale ou d’ailleurs, soit de suivre des cours particuliers de l’instrument choisi. Les enfants ont 5 h hebdomadaires consacrées à la musique, une heure de culture jazz et 4 heures en orchestre ou en ateliers. Pour cela Rémy Poymiro, professeur de musique de l’Education Nationale, Christophe Gagner, vacataire et deux intervenants, le contrebassiste François Mary et Slobodan Sokolovic encadrent les jeunes.

A mon arrivée, le professeur et photographe maison Patrick Pac, m’a conduit vers l’auditorium « Michel Rostein » intégré aux nouveaux bâtiments du collège, inaugurés en 2006. C’est l’heure de la pause pour certaines classes, annoncée par les haut-parleurs, non par une sonnerie, mais par l’intro de « Under pressure » version Queen-Bowie. Les élèves sont-ils ici sous pression, je n’en ai pas eu l’impression !

En même temps que sa reconstruction, un nom de baptême a été donné à l’établissement, Eléonore de Provence, à ne pas confondre avec l’autre Eléonore ou Alienor d’Aquitaine. La première était l’épouse d’Henri III le Roi d’Angleterre (la Guyenne est alors anglaise) la seconde au siècle précédent, le XIIe, étant elle l’épouse d’Henri II. Quant à Eléonore de Provence, elle a signé à Monségur en 1265, la Charte de Coutumes facilitant la vie des habitants de la région en leur donnant quelques avantages. Voilà pour la parenthèse historique.

Sur les traces des grands aînés

Dans le joli auditorium en amphithéâtre, 22 jeunes musiciens d’une classe de 5ème très mixte et tant mieux, sont en train de travailler « I don’t mean a thing » avec Rémy et Christophe. Un gros big band avec trompettes, sax, clarinettes, trombone, violon, basses, batterie, djembé, percussions et claviers. Ceux qui le peuvent sont masqués, les soufflants les enlevant bien sûr quand c’est leur tour. Drôle d’époque vraiment, même jusqu’ici. On travaille la structure, les chorus « Rentre dans le creux pour lancer ton chorus ! ». Mais voilà le batteur qui se met à l’envers, on reprend d’autant que certains ont oublié quil fallait jouer le thème deux fois. Le bassiste ralentit, ça cafouille. « Ouvrez vos oreilles pour vous rattraper quand il y a un accident ! ».

On passe à « The Return of the Prodigal Son » de Freddie Hubbard (1967) un titre alerte propice aux chorus. D’ailleurs il y a la queue au micro. Des timides, des téméraires, mais tout le monde se lance. Les professeurs interviennent en direct, relancent le tempo, redonnent de l’énergie, du vrai travail d’orchestre. Un plaisir pour moi de voir ces jeunes en action, jouant des répertoires qu’ils ne seraient pas allés chercher seuls certainement. Tous ne feront pas carrière comme le contrebassiste Louis Laville (Capucine) et son frère Arthur, le trompettiste Paolo Chatet (VEGA), les guitaristes Thomas Boudé (Cie Lubat) et Jean-Loup Siaut (the Kilometers) que nous connaissons bien à Action jazz, ou encore Clément Colle de la Compagnie « les Frères Colle », mais ils auront acquis une culture musicale et collective, un dépassement de soi qui les aideront toute leur vie.

Les promotions sont parrainées par des artistes reconnus. Citons, Eric Séva, Roger Biwandu, Mario Canonge, Michel Alibo, Mickaël Chevalier ; ils avaient donné un magnifique concert des « Eleonore Godfathers » sous les tilleuls aux 24 heures du Swing 2019 (article dans actionjazz.fr). Didier Lockwood était venu en son temps aussi. Les parrains animent des masterclass. Récemment c’est le guitariste Jean-Marie Ecay, parrain de cette promotion qui est venu prodiguer ses conseils.  D’autres musiciens viennent donner des cours, comme les saxophonistes Jerôme Mascotto et Jonathan Bergeron.  Du sérieux !

Un concert en ligne faute de mieux.

A Noël les 6ème et 5ème avaient offert un concert en ligne, cette fois c’est aux grands, les 4ème et 3ème, de jouer devant un public virtuel grâce à une diffusion en direct sur Youtube. Ils n’en seront pas moins intimidés. Ce genre de concert, surtout avec autant de musiciens, nécessite une préparation minutieuse et les techniciens s’affairent depuis midi pour être prêts à 15 h. A leur tête, à la régie, Sébastien Vailler dont c’est le métier et qui n’est autre que le président de l’OMCL et donc directeur des 24 heures du Swing, encore incertaines pour cette année. Ici tout est cohérent.

Une heure avant, voilà la classe de 4ème qui arrive pour faire les derniers réglages. Ils et elles sont 25 ! Par rapport au matin on retrouve les mêmes instruments, plus un violoncelle, un accordéon, des flûtes, une clarinette basse et même un Mélodica, tous entre les mains de jeunes filles. Les jeunes ont travaillé leurs tenues et leurs accessoires, avec souvent originalité. Les bobs et chapeaux, voisinent avec les lunettes de ski et les jupes noires avec les chaussettes multicolores. Réglages techniques, notamment la synchronisation image son ; l’image est plus lourde, mettant plus de temps à traverser les « tuyaux » et il faut retarder le son à la table de mixage. Réglages musicaux, il en reste encore pas mal, la tension monte, Rémy le professeur les rassure tout en prodiguant les derniers conseils musicaux et sanitaires. Port du masque obligatoire sauf pour les soufflants quand ils jouent évidemment.  Slobodan vient me dire à l’oreille « Le problème avec ces âges-là c’est que beaucoup ont des appareils dentaires, à la trompette ils perdent un octave ! ».

C’est parti pour un répertoire éclectique et pas si facile. « Nostalgia in Time Square » de Mingus, suivi de « Impressions So What ». Ca joue nettement mieux qu’à la répétition, l’adrénaline fait son effet, celle qui fait se surpasser tant de musiciens sur scène et cela tout au long de leur carrière. Puis voilà « Blues for Pat » de Charlie Haden en hommage à son complice Pat Metheny. La douce mélodie de « Mo’ Better  Blues» de Branford Marsalis sonne bien par le big band qui pour finir enchaîne sur le dynamique « Backlash » de Freddie Hubbard. Ce n’est pas encore la perfection – arrive t-elle un jour ? – mais l’affaire ne tourne pas si mal, le métier est en train de bien rentrer ! Au passage, quel plaisir d’être spectateur privilégié parmi tous ces jeunes musiciens en cette triste période. Un rayon d’espoir.

 Aux 3ème maintenant de tenir leur rang de cadors du collège. Ils sont rebelles me dit François. Pas de fantaisie ni d’effort vestimentaire chez eux, mais de la marque ! Ils se sont préparés avec Stéphane dans une salle voisine et vont donc jouer directement. Ils et elles ne sont « que » 18, effectif théorique d’un vrai big band.

« Recorda-me » de Joe Henderson pour débuter, puis « Tenor Madness » un blues de Sonny Rollins. Ça sonne très bien, de bons chorus se succèdent, mais on sent que ça flotte un peu, le tempo fluctue, les fins de morceaux sont un peu floues. La mélodie enjouée à la rythmique ferroviaire du « Night Train » d’Oscar Peterson est idéale pour ce type de formation, mais Rémy trépigne et amplifie ses gestes de chef d’orchestre. En plus une jeune fille était prête devant le micro pour chanter « Nature Boy », mais le pianiste à lancé le convoi sur les rails à la surprise générale ! Elle se rattrape après l’arrivée en gare et joliment en plus, la rythmique s’emballant un peu trop après son intervention ; pas désagréable cette version finalement. Le légendaire « Bernie’s Tune » de Gerry Mulligan conclut le set.

Place au debriefing, sans complaisance, les jeunes étant plus critiques et moins nuancés que leurs formateurs « C’était nul ». Pas tant que ça, mais ça manquait de boulot, les structures des morceaux n’étaient pas assez connues, les tempos pas réguliers commentent les professeurs. « Commencez à jouer en vous disant je ne vais pas lâcher le tempo, forcez-vous » leur dit François Mary, habitué à tenir le rythme avec sa contrebasse. «Plus de variété dans le drumming ! On aurait dit une boîte à rythmes » relève Rémy, « La rythmique regardez-vous ! » enchaîne François. Un jeune conclut avec humour « On avait beaucoup de cohésion, on se trompait tous en même temps ! ». Ambiance studieuse et bon enfant, mais surtout riche de musiques ce qui me ramène avec horreur à mes propres années collège et au supplice du pipeau… Que j’aurais aimé vivre ce que ces jeunes vivent là. Bravo les filles, bravo les gars, on compte sur vous, vous êtes entre de bonnes mains, profitez-en, faites-vous plaisir pour ensuite nous faire plaisir, mais travaillez !

Un grand merci à l’équipe pédagogique du collège pour son accueil. Elle fait un travail remarquable et elle est en train de préparer des outils de communication pour le faire savoir, enfin me dit l’un d’entre eux ! Et vivement de vrais concerts sous la belle halle XIXe de la ville ou ailleurs.

Par Philippe Desmond, photos Patrick Pac.