Le matin des ombres

Simon Goubert : Batteries
Troisième volet de la saga imaginée par PeeWee! (le retour ! ), dont le 1er était un solo de S.Domancich et le 2nd : un duo. Voici en toute logique le solo de Simon. Presque solo plutôt, puisqu’il joue avec des enregistrements d’ IVAN WYSCHNEGRADSKY qu’il sélectionne, sample, découpe, et accompagne.
Ivan W. est un pianiste compositeur Franco-Russe contemporain de P.Boulez avec lequel il travailla. Il cherche à densifier le son, les notes. Pour ce faire, il se fait construire des claviers avec des 1/4 de tons, comme pour les musiques orientales, puis des 1/3, des 1/6 et 1/12 de tons. On s’attend à un son difficile, voire faux, il n’en est rien, juste différent. Le son en est plus compact, comme rétréci et prolongé en même temps, le vrai choc vient des harmoniques perturbées, contrariées, étouffées. Dissection des tons, des temps aussi : le tempo semble régulier, puis, s’accélère, puis une note qui se nichait au fond des chaussettes rétablit le rythme…
Il fallait du matériel à la hauteur pour instaurer le dialogue, chose faite par l’aide de l’ingénieur-acousticien (et batteur) Thomas Antoine qui propose à Simon d’essayer une de ses batterie « Repercussion » qui offre de larges possibilités d’architecture de son et de pureté. Elle est couplée avec la Gretch habituelle de Simon, et elles sont accordées entre elles au 1/4 de ton. Il en résulte un instrument nouveau à large palette sonore que dompte et maîtrise notre artiste libre, innovateur, chercheur et poète.
La plupart des disques de « Drum Solo », présentent des chorus classiques de batterie qui sont souvent des modèles de puissance et de virtuosité spectaculaire, ce qui n’est pas le propos de Simon. En réponse au minimalisme du/des claviers de Ivan W., il choisit une sobriété réfléchie qui laisse place à l’édification d’un discours plein de coups et de silences, de battements et d’écoute, de musicalité attentive qui le rapproche de R.Haynes ou de P.Motian, malgré le feu et la force d’un E.Jones qui n’est pas tout à fait absent de ce travail .
Le duo « Le Matin des Ombres » occupe la moitié de cet enregistrement. ll est composé de 3 parties, à partir de 3 oeuvres de Ivan : Etude sur les mouvements rotatoires, Etude sur les densités et volumes, Dialogue pour 2 pianos et 8 mains, dont apparaissent de courtes phrases, qui disparaissent, reviennent, tournent en rond comme une comptine de « Moon Dog », jouent à cache-cache avec la batterie et avec elles-mêmes. La césure entre jazz et musique contemporaine est, encore, ici, très floue. Les temps, les tons sembles élastiques et livrés à leur propre dynamique sous les baguettes de Simon qui gère tout ce petit monde soumis à son imaginatif fertile.
8 autres compositions de Simon complètent le disque. Des pièces courtes qui s’enchaînent en évidence, sans effet de démonstration égotique et tapageuse, mais toujours en recherche de mélodicités variées et généreuses qui évitent l’ennui des chorus « forts en gueule » et redondants qui n’apportent guère à la Musique, sinon aux néophytes bernés par des accumulations superfétatoires et encombrantes qui ne flattent que l’égo de l’un et l’innocence des autres, comblés d’une technicité aisée, prise pour une imagination sans bride. ll est pourtant vrai que la vitesse (d’enchainement de clichés) fait rarement bon ménage avec l’exposition d’idées originales qui ont besoin de respirer pour exposer la beauté de leurs différents aspects, et trouver leur place dans une continuité qui se doit d’être pour le moins digne d’intérêt nouveau, et participante à la logique architecturale de l’ensemble du morceau.
Encore un bel opus de la courageuse et exigeante maison Peewee!, ainsi que de cet artiste trop peu estimé, loin des modes et courants actuels, et tend à prouver, encore ici dans l’exercice audacieux du solo, s’il s’en fallait, que la batterie peut (et se doit d’) être aussi passionnante que tout autre instrument, dans sa réflexion, sa construction, son élaboration, sa diversité, son intensité et son inventivité !
Et toc 

Chez : PeeWee!
Par : Alain Fleche