Festival Jazz360, 12° édition.– Samedi 04 juin 2022
Pour cette deuxième date, le Festival n’a pas lésiné sur les moyens, en offrant à son fidèle public, une journée pleine à craquer de musique, une fièvre jazz du matin jusqu’au soir ! Ouverture des festivités dès 11heures à la Bibliothèque de Cénac, avec…
Eddie Dhaini – projet solo
Devenu en quelques années un acteur incontournable de la scène bordelaise, Eddie Dhaini est un guitariste qui aborde la musique avec finesse, justesse, et une réserve, qui peut paraître timide, mais qui révèle en fait une certaine humilité, souriante et affable, une profondeur, et un engagement d’âme pour ce précieux instrument, dont il sait extraire des sons si purs, qui suscitent, comme il le dit lui-même, « …un sentiment de délicieuse nostalgie, où se mêlent mélancolie, allégresse, malice et tendresse ». Laurent Vanhée, Président de Jazz360, lui-même musicien, était présent lors de la prestation d’Eddie, et il ne tarit pas d’éloges à son égard, très touché par sa musique, comme le furent les quelques cinquante personnes qui en ressortirent elles aussi conquises.
Mais le public jazz ne se nourrit pas que de musique, aussi exquise soit-elle, alors ? Alors des intermèdes gustatifs étaient prévus, au restaurant Les Acacias, animés par le délicieux LB Duo (Laurie Batista, chant, Rémi Dugué, guitare). LunchJazz360 le midi et SoupéJazz360 le soir. Très vite on a affiché complet, pas étonnant, la cuisine y sonne bien, et le jazz y a bon goût !
L’après-midi se présente au mieux, de petites gouttes se croient malignes à mouiller quelques visages, mais ne convaincront pas les nuages qui passent au-dessus des petits arbres du jardin de la salle culturelle. Ils ont bien d’autres lieux à arroser et n’ont pas pu lire le titre du projet suivant, pourtant prémonitoire !…
Gaël Rouilhac – Waterworks trio
Véritable passerelle multi styles, le trio très original qu’a formé le guitariste Gaël Rouilhac, avec la violoniste Caroline Bugala et l’accordéoniste Roberto Gervasi, trois virtuoses en mode décontracté – comment ne pas l’être à Cénac – a séduit un public attentif et gourmand de cette potion magique qu’il lui a servie, alliant étincelles de jazz manouche, pépites de musique plutôt classique et bulles rafraichissantes de folklore (en particulier celui de la Sicile dont est originaire l’accordéoniste). Le premier disque du trio est sorti sous ce titre, fin 2020 chez Laborie Jazz, et ce sont principalement ses thèmes qui ont été joués. On aime parce qu’on peut se reconnaître dans cette musique, car chaque morceau est la page d’un journal intime que l’on tourne, où joie et mélancolie alternent leur encre, ce qui la nourrit d’accents universels. Certes l’écriture est précise, voire sérieuse par moment, mais qu’importe, selon les détours, il y a aussi eu des passages ouverts à l’échappée, et des instants d’émotion pure, réactivant ceux que nous avons tous vécus, à un moment de notre existence. C’est ce qui fait la force vitale du message de ce trio, tantôt grave et profond, tantôt plus aérien et insouciant, la fleur aux dents, en un chant porté par la superbe complicité qui unit ces trois remarquables artistes, dans une promenade musicale, d’un « chambrisme hors les murs », des plus captivantes !
François Corneloup et Jacky Molard – Entre les Terres quartet
Depuis plusieurs années, le festival Jazz360 se démène sur les terres fertiles et accueillantes des Portes de l’Entre-Deux-Mers. L’équipe programme avec une vision juste, en proposant la magie du qui ira avec qui. Ainsi, après Waterworks, voici une suite logique où nait une évidence. « Entre-deux- mers », « Entre les Terres », celles de Bretagne et d’Aquitaine, mais il y a connexion non ? Inviter ce projet, d’abord empêché par la crise sanitaire, puis de retour plus vif que jamais, une association d’artisans, créateurs de sons neufs, semblant pourtant familiers, qui unit Jacky Molard et François Corneloup, auxquels se joignent Catherine Delaunay lumineuse clarinettiste venue du classique, adepte perchée de contemporain et d’improvisation, et Vincent Courtois, violoncelliste maquisard et électron libre jazz, ça tient du miracle ! Pourtant, nous ne sommes pas à Lourdes, mais bien à Cénac ! Nous découvrons Jacky Molard, illustre violoniste et compositeur breton, au parcours multiple et volontiers libertaire, tout comme celui de François Corneloup, saxophoniste baryton et compositeur, que nous connaissons bien pour l’avoir souvent vu à Uzeste, Bordeaux, Cenon et même à Camblanes-et Meynac il y a quelques années, c’était déjà Jazz360, à la Maison du Fleuve, en bord de Garonne, avec le magnifique projet « Le Peuple Étincelle ». L’écriture, précise, poétique, humaine et jamais académique, dessine une musique suggestive d’envie, de rapprochement, de plaisir…d’amour. Un folklore inédit qui accroche les cœurs mais au plus profond. Rythmes calmes ou endiablés, nous nous sentons tour à tour choyés ou entraînés dans une farandole, dans le vrai sens de notre vie…qui se joue dans l’instant. Des sonorités connues sont assemblées de nouvelles façons, les cordes tendues sur les bois précieux, chantent, crient ou chuchotent, mais ne mentent pas aux bois des soufflants, basse pour le baryton, oiseau pour la clarinette, qui s’entrelacent et nous émerveillent à chaque instant. Tout au long du concert, le public est tenu en haleine par de belles histoires, dans lesquelles il aura pu se reconnaître. En fait, Entre les terres est une invitation à regarder un kaléidoscope aux images inédites, ou mieux, un film palpitant, tourné en caméra épaule, sur la vie, sur les gens, sur le peuple dont nous sommes, qui ose encore scintiller, malgré les sombres nuages…
Anne Quillier – Hirsute
A Jazz360, quand on a un jour aimé, on aimera toujours ! Il n’est donc pas rare de voir reprogrammés des artistes qui ont marqué les esprits, comme ce fut jadis le cas d’Anne Quillier et son sextet, qui porta bien haut les couleurs du superbe Daybreak. Mais pour l’heure, c’est son nouveau projet « Hirsute » qui est à l’honneur, et « Miniatures du dedans », le nouveau disque, dont la musique jouée ce soir décoiffe assurément, par une écriture à la poésie audacieuse, certes complexe, mais qui ose des associations de couleurs variées, des fuites rythmiques appuyées, des breaks presque rock , en forme de bousculades échevelées qui réveillent. Anne Quillier (piano, compositions), au jeu toujours aussi dense et éclairé, mène cette turbulente équipée, entourée d’une rythmique, que l’on retrouve du sextet, très punchy new style, ala Bad Plus, assurée par Michel Molines (contrebasse) et Guillaume Bertrand (batterie), ainsi que de Pierre Horckmans (clarinette sib, basse), lui aussi du sextet, et le petit nouveau Damien Sabatier (saxophone baryton), des soufflants boisés aux jeux d’altitude, fervents et défricheurs, qui prennent un malin plaisir à mettre en lumière leur collection de timbres rares, qui s’envolent et s’égrènent au gré des vents cuivrés, se collant à tout va sur tous ces morceaux, normal, ce sont de vraies cartes postales ! Musique intense et exigeante, à la voix qui porte parce qu’elle exhorte, souhaitant peut-être mieux ouvrir les oreilles des gens, elle présente les choses comme un manifeste surréaliste musical, l’énoncé de certains titres en témoigne. C’est probablement grâce à cela, et à une cohésion de chaque instant, que le quintet Hirsute a su d’abord surprendre, puis apprivoiser le public, en lui donnant envie d’écouter « différent », loin du jazz « en barquette », si présent sur certaines têtes de gondoles. Concert évasion, dans l’île mystérieuse du dedans, cheveux offerts au vent bleuté de Cénac, sans que personne n’ait à aucun moment souhaité se recoiffer ! Mission accomplie !
Airelle Besson – Try ! quartet
Jazz360 a eu le flair de programmer ces deux formations à la suite, car de l’évasion, il y en a aussi dans la musique d’Airelle Besson, et « Try ! » nous a fourni les ailes pour s’envoler vers des ailleurs possibles. Trompettiste surdouée et compositrice inventive, elle se fond dans son quartet, comme s’il s’agissait d’un seul et même être, car on ne ressent pas de leader, mais plutôt une impression d’unicité. En effet, sur scène, le groupe est placé en arc de cercle, face au public, personne n’est devant personne. Côté cour, Airelle Besson, et Isabel Sörling, son véritable double vocal, toute en finesse, aux commandes de ses mystérieux instruments électroniques. Et côté jardin, les deux remarquables alchimistes que sont Benjamin Moussay (piano, synthétiseurs et Fender Rhodes), et Fabrice Moreau (batterie). Avec de telles personnalités, et même si l’on a déjà écouté le disque, on devine qu’il se passera quelque chose de plus en direct ! Ainsi sommes-nous la proie de vifs frissons dès « The sound of your voice », déclinée en trois parties, d’abord douce et lyrique, puis plus électrique et empressée, et enfin tendre et intime, occasion pour les deux musiciennes de s’unir, sur l’autel de velours dressé par les roulades rêveuses des claviers et le moiré percussif, c’est simplement magique ! D’un coup de baguette, s’élève un rayon de beauté scintillante, l’émerveillement que suscitent les contes pour enfants, que nous sommes peut-être restés, et qui réapparait à l’écoute de « Try ! », ou de quelques autres, parmi lesquels « Patitoune », adorable berceuse, dont le clin d’œil supposé au « Jean Pierre » de Miles Davis, aurait surement touché en plein cœur le Prince des ténèbres. L’émotion et la douceur ont habité ce concert, le chant d’Isabel Sörling y a sa part, avec ce lyrisme nordique singulier, pas si éloigné de celui d’une Sidsel Endresen, aidé de ses petits outils dessinant des espaces imaginaires, et cette gémellité quasi parfaite avec le souffle enchanteur d’Airelle Besson. Le Try ! quartet est une union magnifique, ce concert restera dans les mémoires, et nous pousse à dire « Hope » ! Parce qu’essayer l’espoir, c’est encore permis !
Par Dom Imonk, photos Jean-Michel Meyre, Christian Coulais et Dom Imonk
Le lien au festival :