Maison-Livre à Bordeaux le18/12/2022 -17h

Jean Rougier, contrebasse et bugle
Didier Lasserre, batterie
Yves Favier, trombone

puis avec Antonino Nolé, clarinettes
Donatien Garnier, textes

La douce plainte irritée du trombone d’Yves Favier émeut la contrebasse, elle peut alors souffler, rendant l’âme un instant. Quelques verres à vin sur le comptoir servent de malignes cloches défaillantes et la salière agitée s’ajoute au frémissement de la batterie de Didier Lasserre. La contrebasse, après quelques arabesques méticuleusement esquissées, s’enrichit du bugle du même musicien.  

Additionner habilement, dessiner un espace, c’est composer. Les sons semblent lancés comme la pêche du même nom dans l’espace jusqu’à ce qu’ils s’étalent ou se replient. Le trombone saisit l’arrondi de la contrebasse, les sons devenant des pesées plus ou moins lourdes, flirtant avec leur légèreté. L’intensité de la batterie engageant celle des deux autres soudain.

 La contrebasse de Jean Rougier lance une éloquence structurée. Le trombone bouché souffle à nos oreilles un son intermittent, étouffé et appelle la batterie qui prolonge les soubresauts. Les rythmes écoutent leur épuisement pendant que la contrebasse ouvre une porte rouillée, l’archet la métallise. Des milliers d’insectes se mettent en bataille grattant les fondements de la musique. Vient l’apaisement insolite, juste quelques sons continus.

Un frôlement d’ailes chatouille la batterie, ce qu’il faut pour griffer doucement le bois de la contrebasse, quelques notes comme des gouttes de pluie sporadiques tournent le dos à une radio furtivement allumée. Le DJ en chambre brouille ainsi les rebonds croisés des sillements de la contrebasse et provoque le discret grondement de la batterie. On est dans un temps aspiré, où les sons prennent couleurs par instants et disparaissent laissant des queues de comètes.

Et puis les trois se mettent à remplir l’espace, mais sourdement, comme si prêter l’oreille rendait au son sa qualité. L’archet peut alors rôder sur la contrebasse, la batterie livrer son dernier râle.


Donatien Garnier fait ricocher les mots à l’oulipienne. Mots-valises, mots sans sens, avec sens, concaténés pour prendre force, liberté, anarchie constructive. La voix, instrument comme les autres, à la recherche d’un langage autonome qui s’inscrit dans le temps et l’espace comme les autres, construisant poésie. Logorrhée pesée, mesurée pour créer du nouveau, du par-dessus, du possible, de l’incohérence choisie. Les musiciens en libèrent la folie, les clarinettes explosives désossées d’Antonino Nolé accentuant la brèche.

Le sens, c’est la capacité du non-sens à traduire la puissance de l’expression, la violence de l’insurrection du langage, de sa nécessité. Mots du quotidien, du politique, entrechoqués, des mots défaits, des mots d’effets. Un soleil bleu commun. Poésie et musique entrelacées dans leurs cris existentiels comme manifeste.

Anne Maurellet, photos Steph Ane