Un petit café ce matin ?

[Objectif café !] Quand il y a un an, la pandémie a jeté son voile noir de faucheuse sur toute la planète, tout semble s’être soudainement arrêté dans bien des secteurs, économiques, culturels et sociaux, hormis le secteur hospitalier, constamment sur la brèche, et  bien peu reconnu pour son incroyable et vital engagement, dans une activité de tous fronts ! Des dizaines de milliers de victimes périrent, et ce n’est pas fini… Elles sont encore aujourd’hui pleurées. En matière de spectacle, toutes fréquentations furent longtemps interdites, puis rouvertes au compte-gouttes au public, sous de drastiques conditions. Impression de mort clinique, de coma… Bien que dans une situation devenue très précaire pour beaucoup, nombre d’artistes ne restèrent pourtant pas inactifs, se servant fort à propos de la période pour écrire, composer, publiant sur les réseaux sociaux de la musique live captée « at home », souvent assortie de « chat », et pour d’autres des textes, des photos, de la vie quoi !

Complice de toujours du spectacle vivant, la communauté des photographes souffrit tout autant de cette funeste période, choisissant alors d’autres chemins permis d’expérimentations imagées, champêtres, urbains, sociaux, monumentaux ou animaliers, et quelques fois plus intimes et personnels. C’est ce que nous propose aujourd’hui Philippe Marzat, oiseau de nuit bien connu des concerts jazz régionaux, et très marqué par les souvenirs de son enfance, avec ce recueil de nouvelles, simplement intitulé « Un petit café ce matin ? ». A l’origine, une matinée aussi improvisée qu’un  chorus de jazz. Au hasard d’un café virtuel, le photographe avait pris attache avec Gaëtan Martin, éminent tromboniste, à l’âme tatouée « Nola », auteur de la préface de ce livre, et s’ensuivirent des échanges, fondateurs d’une sincère amitié entre les deux hommes. Philippe Marzat commença alors à se livrer sur les réseaux sociaux, en publiant régulièrement de petits textes instantanés et intimes, sur un ton qui n’appartient qu’à lui,  à chaque fois assortis d’une photo, toujours en noir et blanc, l’une de ses spécialités, et d’un lien à un standard jazz lié à son histoire du jour. Et l’expérience se poursuivit ainsi, bien après la réouverture des grilles du confinement, et même jusqu’à aujourd’hui.

Si la maîtrise des noirs et blancs est devenue l’une des marques essentielles du travail de notre photographe, son souci du détail est tout aussi saisissant, celui d’un regard, d’une chevelure, d’une main, d’un instrument. Nous retrouvons toutes ces qualités dans le livre, qui révèle ses secrets, de page en page, à commencer par la couverture, une simple tasse de café, et sa petite cuillère comportant l’inoubliable mention « Café Quotidien », marque très connue, qui nous ramène à notre enfance. Car de cela, il en est souvent question dans ces nouvelles, l’histoire d’un petit garçon, un « puîné » coincé comme une pièce du puzzle familial, entre le frère aîné et la petite sœur. Un môme aimé par ses parents, mais dont l’envie de liberté explose aux coins des rues de son quartier, dans le jardin public à faire le fou avec ses potes, ce qui fait enrager le garde. Souvenons-nous de nos propres vies,  12, 13 ans, ce n’est pas rien, le grand démarrage !

Les photos et les mots défilent comme un kaléidoscope annoté. Les gares, Bordeaux, Paris, et les voyages, les rues de Bordeaux, avec le célèbre balcon à l’angle de la rue des Caperans et de la rue Fernand Philippart, et la description très précise des couleurs journalières des fluides rejetés par la teinturerie. On évoque aussi la rue Sainte Colombe ou la place Fernand Lafargue, et le délice des marrons chauds l’hiver, ou encore la rue de l’Arsenal à Angoulême où vivait l’une des grand-mères de Philippe Marzat. L’enfance ce sont aussi les courses de vélo, dans la rue, ou à l’intérieur de l’appartement, quitte à en briser l’une des vitres ! Mais aussi des courses de voitures miniatures, l’énoncé de marque telles que Norev ou Dinky Toys réveillant bien des souvenirs ! Sans vouloir tout révéler de ce livre « journal », pour ménager la surprise de la découverte, il est vrai que citer de petits commerces tels que « crèmerie », ou « caviste », ou décrire de manière très précise comment la maman fait bouillir le lait frais dont le laitier vient juste de déposer les bouteilles sur le pas de la porte, sont des détails « vintage » vifs et très touchants qui nous parlent instantanément. Nous ne pouvons pas non plus rester insensibles au vieux poste de radio, bientôt remplacé par un transistor, si bien décrit que nous l’entendrions presque résonner, aux aventures pyrénéennes, « La morange des Pyrénées », « Le voyage à Lourdes », « L’hôtel des trois canards » ou encore cette vraie lettre d’amour qu’est « Pyrénées ». Laissons-nous aussi enivrer par les évocations nord-africaines que sont « Le thé », « Le Maroc » et « Petites fleurs ». Et soyons rassurés que, bien après son enfance, le photographe conteur, devenu jeune militaire, soit sorti vivant de « Le peloton » !

Au final, défilent une cinquantaine de billets, au ton coloré par l’humour à vif de leur auteur, subtilement liés à des photos et à des morceaux choisis, à l’écoute desquels vous pourrez d’ailleurs directement accéder par des « QR Codes » imprimés au bas des pages à côté des titres. Comme dans une sorte de roman au flux intranquille, se mêlent des souvenirs précis à des séquences imaginaires, rêvées par l’auteur, qui jongle ainsi avec ses deux personnalités, insérant par moment entre les lignes des jeux de mots plutôt affutés, dont il est friand, ce qui en épice le contenu et provoque le sourire. Le sourire nargueur qu’il l’affiche sur la photo de quatrième de couverture, signée Alain Pelletier, en nous tirant la langue, comme le fit jadis Albert Einstein ! Décidément, ce « petit café du matin » est une vraie potion magique, elle révèle les « tas d’âmes » que possède Philippe Marzat ! C’est vrai, c’est écrit dans son livre ! Alors le lire, en buvant notre petit café du matin, c’est l’adopter et l’assortir de notre « cœur code » !

Enfin, soulignons que Philippe Marzat est membre du collectif de photographes « BlueBox » qui a sorti un livre en 2021 : « Écoutez le jazz avec les yeux » (* chronique). Et puisqu’il est amateur de standards de jazz, et qu’il est question d’yeux, nous brûlons d’envie de lui dédier « The night has a thousand eyes » écrit par Jerome Brainin et Buddy Bernier. « La nuit a un millier d’yeux », parmi lesquels il y a sans aucun doute les siens, et ceux de ses camarades photographes !

Par Dom Imonk

https://www.facebook.com/philippe.marzat

Remerciements de l’auteur :

À Gaëtan Martin pour la préface,

 À René Marzat et Alain Pelletier pour leurs photos,

 À Irène Piarou pour les corrections,

Et à Thomas Grimaud pour la mise en page.

Paru sur :

https://www.thebookedition.com/

(*) Lien à la chronique du livre du Collectif BlueBox « Écouter le jazz avec les yeux » :