One Another Orchestra

CATHERINE DELAUNAY : Clarinette, Cor de Basset / NATHAN HANSON : Sax ténor et Soprano / FRANÇOIS CORNELOUP : Sax Baryton et Soprano / TONY HYMAS : Piano Électrique / HÉLÈNE LABARRIÈRE : Contrebasse / DAVU SERU / Batterie / BILLIE BRELOK : voix

Belle distribution que nous présente l’audacieuse maison de disques Nato, œuvrant sans frontière ni préjugé, explorant des sentiers peu visités malgré leurs charges d’émotions vives et de sentiment non feints.

Tout comme chacun des remarquables musiciens conviés à ce nouvel opus où sont réunis, et non mélangés (entre deux éclats de rire, on reste sérieux ici, ce n’est pas un sac fourre-tout, ni un catalogue, plus que de la musique, c’est d’Art qu’il s’agit!) : jazz, rock, chansons, mélodies, classique, contemporain, improvisations débridées et autres poésies… qui vont nous faire rêver, danser, réfléchir, sursauter, ravir, sans nous laisser jamais indifférent par un répertoire à vivre de toute urgence pour ne pas oublier que c’est ensemble que le monde se construit !

Eux, artistes et Nato, qui finissent par faire figure de collectif, famille, tant ils sont proches d’esprit, en sont persuadés. Pas de leader ni de faire valoir, des acteurs du présent qui marchent de front, bras dessus-dessous, le regard fixé sur la ligne d’horizon qui chantera quand ‘on’ aura fait place nette de tout ce qui obscurcit l’humanité. Oui, y a du boulot, et nos amis ont retroussé leurs manches, rien ne les arrêtera ! Adelante companeros.

On n’oublie pas pour autant les figures tutélaires, des amis de route partis trop vite, qui ont fait avancer la machine, on en profite pour reprendre les titres emblématiques, en les actualisant, pour qu’ils chantent encore et encore plus fort, en les poussant encore plus loin, résonnant en écho, déformés certes, mais enrichit de la passion et de l’urgence de l’instant. À l’instar du ‘Music Liberation Orrchestra’ qui se réformait lorsque la situation politique du moment l’exigeait, ils reprennent, et inventent des chants de révolution, sources de vie et de luttes, dans de grands cris de joie, de douleur et de foi en l’Homme.

Trois soufflants, piano, basse, batterie, + voix, une formation presque classique qui a redéfini les rôles en mélangeant les cartes, et les partoches, où chacun pioche à l’envie et à l’indispensable ; tentative anarchique où règne l’ordre sans le pouvoir, avec une liberté de penser, de jouer, d’écouter inaliénable ! De tout ceci résulte un son de groupe uni, soudé, une belle machine rutilante qui nous embarque sur des chemins de traverse lumineux en un élan triomphant fait d’allégresse, de colère, de rêve, dans le reflet du temps présent.

Le groupe est né de questionnements imposés par les restrictions de quarantaine de 2020. Chacun chez soi, dans le souvenir de villes de rencontres, de musiques partagées, avec le désir de vivre plus ardemment, plus simplement aussi, mais surtout : ensemble. Tous ensemble, avec ceux qui sont là, et ceux qui se sont tus, pour tous les autres.

À tout seigneur… L’album ouvre sur une compo de Tony Hymas, réminiscence de la douceur de vivre dans les îles, d’une balade en montagne que l’on grimpe en sautillant d’une pierre à l’autre, en équilibre, et de la communion avec les éléments et tous les vivants.

Une Chanrangalla, danse d’un exotisme inventé par Lol Coxhill. Roulent les tambours, soufflez les vents, autour d’un feu de joie, pour le plaisir des gambettes et du cœur qui chavire à chaque changement de cavalière, à chaque envolée d’un instrument qui s’échappe de la mélodie.

Michel Portal a composé ‘La Cécilia’ pour le film de Jean-Louis Comolli qui commentait : « L’utilité des utopies se mesure aux résistances qu’elles rencontrent ». Sentiment d’une course forcée, des doutes et des questions sans réponses. Une fuite, une chasse ? Bah, on prendra bien le temps de mourir… malgré la camarde qui nous talonne.

Rock lent de Tony, le baryton de François dégouline de feeling, marche lente, manifestation sobre et engagée.

Une balade bluesy, Quatre Femmes’ noires qui souffrent, chant intime, abîmé des choses de la vie. Magnifiquement illustrée par la clarinette de Catherine.

Catherine Delaunay fixe le chant des gilets jaunes. ‘ On est là !’. les vestes sont tombées, la révolte résiste, là, au fond de l’espoir, dans la violence du désespoir. ‘On est là !’, Désespérément seuls, mais Tous Ensemble ! ‘On est là !’, chacun à sa place, dans l’instant, et on ne reculera pas ! Chant de lutte, chant de liberté.

Billie raconte une Romance … de la Guarda Civil Espanola, de Frederico Garcia Lorca. Chant sombre des heures noires passées et à venir. Une ville de gitans encerclée de soldats, sans issue, qui s’en souvient, et pleure, le sang qui coule dans les arènes ne séchera plus.

Chant ‘Solitaire’ de François Corneloup, perdu dans ses pensées, se réveille, se lève, marche et danse.

L’indispensable Jacques Thollot revit en faisant rebondir les instruments sur ‘Cinq Hops’. Les pieds et bras s’emmêlent pour une joyeuse improvisation commune. Retour au thème exigeant et capricieux.

François, encore, propose une version personnelle, donc quelque peu déjantée de ‘La Paloma’, chanson cubaine voguant entre mer et ciel, des vagues, des écueils, tempête et soleil. Danse !

Un titre nostalgique de Nathan Hanson. Un peu musique de cirque, un peu tango, évanescent, résigné, une autre sorte de bleu.

C’est au tour de Jef Lee Johnson de passer à la moulinette de Tony. ‘Move’. Le mouvement est moins marqué que l’original du guitariste d’Ursus Minor, mais le cri primordial éclate à chaque note du sax qui bondit jusqu’aux étoiles guidant la route.

‘Konenche’ de Beb Guérin qui défrichait les terrains vierges à grand coup de contrebasse dans les ’70. L’occasion de se lâcher entre deux tutti pointus, en désordre de bataille.

Enfin, un hommage au grand Sidney : ‘Ne gaspille pas tes larmes’. Alors (sou)rions ! Blues New-Orleans en guise de point d’orgue, de quoi regrouper la bande pour saluer en beauté, et penser à la suite… ?

Et pour parfaire le concept, l’objet, un superbe livret illustre chaque chanson. Il sont tous là, toujours présent, mort ou vivant, les voix ne se tairont jamais tout à fait, ne disparaîtront plus de notre mémoire, de nos (dé)marches, de nos revendications.

Chez : NATO

Par : Alain Fleche

https://natorecords.bandcamp.com/album/one-another-orchestra