New Origin, Samedi 1er février – 16360 Juillaguet

CHRISTOPHE ROCHER : Clarinettes 
JOE FONDA : Contrebasse 
HARVEY SORGEN : Batterie

Fin de journée printanière, au bout d’une route de campagne bientôt fleurie, nous attendent le toujours très actif Philippe Levraud, qui ne cessera jamais, souhaitons le, de nous apporter à domicile, des sons, des artistes qui ont fait des choix courageux de musique pas évidemment facile d’écoute, donc : pas souvent directement accessibles à nous oreilles avides de compositions instantanées, de décisions de choix immédiats dans l’éventail de possibilités, à chaque instant, de notes, phrases, constructions… selon le temps, l’humeur…, vécu d’immédiacité d’un présent réel que ne reproduit qu’imparfaitement l’enregistrement sevré de la participation du public à la création instantanée qui prolonge, étire le présent en devenir, vers un autre présent dans un mouvement permanent… , nous attendent aussi les hôtes de ce sympathique studio de musique nous proposant régulièrement ce genre de moment de si bon goût et unique ! Moment éphémère qui perdurera dans notre mémoire, dans notre être.

Une cinquantaine d’aficionados, en accord avec la proposition précédente, sont venus entendre pour de vrai ces 3 sacrés énergumènes et leurs bonnes paroles ! 

Philippe, jovial et bon compagnon d’échanges divers, et de table, rarement bavard en public nous confira un mot en guise de présentation : « Enjoy », c’est vrai, rien d’autre à ajouter, juste déguster cette friandise qui nous fait fondre ! 

Alors voici Joe Fonda, qui se frotta à Anthony Braxton, l’AACM, Mark Feldman, Marylin Crispell…, toujours attaché aux origines blues, débordant d’énergie, en lien avec ceux qui l’entourent, ceux qui sont là…, blaguant et bougeant en juste héritier de ses origines latines pleines de vie, de joie…, teste rapidement son instrument, et nos oreilles (?), rejoint rapidement par la clarinette de Christophe Rocher, vu entendu près de Jacques di Donato, Steve Coleman, dans ‘The Bridge’, de si multiples grands artistes et projets, dont ses démarches vers la recherche électro-acoustique, les nombreuses rencontres concluantes en musiques improvisées, enrichissent sans cesse les idées de sons, d’approche, de sens, d’histoire de ses clarinettes… pendant ce temps-là, Harvey Sorgen sort du bois. Nourri de ses expériences d’avec une grande partie des noms qui compte dans toutes espèce de genre musical, de Carlos Santana à Joe McPhee, Zakir Hussain, Léo Smith , Greg Allman ou Ahmad Jamal, bien d’autres, sans jamais être économe d’à-propos, de présence, de bonne humeur et de leste prestance, bien pote avec Jack deJohnette dont il partage bien des qualités de jeux et d’intentions/inventions, avec ses propres gaîté, joyeux allant, gestes et mots ponctuant, sa participation totale au ‘mouv’ ambiant… Il en profite maintenantnpour s’immiscer dans la construction du ‘grouv’ qui se met en place à la hauteur de l’investissement de chacun dans le global, la machine est vite fonctionnelle ! 

Alors que Joe esquisse quelques directions possibles, la clarinette se prépare au mieux, au meilleur dans un joli son tendre et chaleureux, pendant que la contrebasse s’arme d’un archet pour compléter un jeu pizzicato qui n’en profite pas pour aller voir ailleurs, mais se déploie dans une forme de ‘walking’ à cloche-pied, certes, mais bourré de swing qui ne fera défaut de tout le ‘show’. Archaïsme de mémoire revisité fiction d’un présent futur, Joe met les doigts dans la graisse pour en extraire des joyaux d’inventivité d’après des figures fondatrices de son art toujours vivantes.

La batterie précise sa présence, sur tout les bons coups ! Y a en pas de mauvais ce soir ! Rien de trop, rien ne manque, quasi perfection, symbiose, bête à 3 têtes et six mains. Pour ne pas se retrouver en reste, il sollicite ses fûts et peaux d’une paire de mailloches en plus des baguettes qui ne l’ont pas quitté, sans en mettre partout, juste et efficace, ajoute des mots pour l’élan, l’échange, le partage, le fun.

La contrebasse marche, visite, explore, marque, se prononce, s’établit dans un funk-jazz comme Archie Shepp l’affirmait dans ‘Kwanza’. La machine bondit sans s’essouffler. La clarinette fait sa belle en souffle continu, fait briller des bouts de blues pur jus, pure émotion. Fait le tour de son biniou, souffle en haut, en bas, sans le bec, du coup fait comme les copains : plusieurs becs à la fois dans le bec.

Joe reprend la main, spoke un peu, défie le silence pour mieux composer avec lui en transpirant le blues hurlant du quotidien clair et sombre. Arrive au loin le tonnerre qui enfle, gonfle, inonde et se retire, laissant le contrebassiste vociférant tel Mingus des grandes heures. Ça en fait un atelier, un athanor, un ‘workshop’, un hommage appuyé au maitre, géant révolté, homme de génie de tous les temps. Ombre fascinante que font apparaître les 3 acteurs en respect, fougue et bonheur. 

La clarinette adopte un son de Kora, voyage exotique, concentré et détendu, virtuose et sobre…

Arrêt 

Applaudissements nourris

Retour

Remise en place pour un nouveau tableau

Riff bref et acéré sur la basse qui se dirait électrisée. Leitmotiv sur une mesure, répété jusqu’à épuisement des sens et des muscles. Retour sur le ‘KrautRock’ ? Urgence de modifier l’instant avant qu’il se fige, la phrase en boucle n’est jamais tout à fait la même, selon la pression des doigts, de (ce) qui l’entoure, la complète, l’habille , lui fait subir, l’anoblit, dans un parfait ensemble harmolodique style : ‘Old and new dreams’, selon aussi les réactions du public aussi, suspendu au devenir immédiat du présent renouvelé par une écoute hypnotisée… Le mouvement s’emballe, vitesse maximum, on ne voit plus les doigts, on n’entend plus toutes les notes, on ne comprend plus le sens, seulement une émotion, une vague qui nous porte tous… et finit par se briser dans un dernier souffle de joie et de gaîté. 

Pur bonheur ! 

Fin d’un concert trop court

À suivre… !?

par Alain Fleche, photos Alain Pelletier (concerts de Sainte-Foy-La-Grande et Bordeaux)