Miki Yamanaka – Shades of Rainbow

[DÉCOUVERTE] Jeune pianiste japonaise, Miki Yamanaka s’est établie à New York il y a un peu plus de dix ans, et n’a pas tardé à s’y forger une solide réputation dans le monde du jazz, dont les portes ne sont pas toujours aisées à ouvrir. C’est pourtant ce qu’elle a su faire et la reconnaissance de ses pairs, parmi lesquels Antonio Hart avec lequel elle a collaboré, et les mentions honorables de la presse spécialisée, en particulier celles de All About Jazz et Downbeat, lui ont vite souri. A cela se sont ajoutées des résidences dans de célèbres clubs comme le Smalls et le Mezzrow, et des concerts à la maison en streaming pendant la pandémie, nommés « Miki’s Mood », qui lui ont permis d’inviter le gotha du jazz de la « Grosse Pomme » et de montrer son aisance à reprendre les thèmes historiques du jazz.

Question disques, un peu d’histoire. En 2012 parait « Songs without lyrics », son premier album autoproduit, qui annonce déjà la couleur de son indéniable talent, que l’on retrouvera sur « Miki » (Cellar Live – 2018) où la rejoignent notamment les pointures internationales que sont le batteur Bill Stewart et le vibraphoniste Steve Nelson, pas mal ! Quelques années plus tard sortira « Human dust suite » (Outside In Music – 2020), assorti de notes élogieuses du réputé organiste Larry Goldings. L’année suivante c’est en trio qu’elle propose « Stairway to the stars » (Outside In Music – 2021), superbe album enregistré chez elle pendant la crise sanitaire, principalement composé de standards savamment repris, et plébiscité aux quatre coins du globe. Elle y est entourée de l’excellent contrebassiste Orlando Le Flemming, déjà présent sur les deux albums précédents, et de Mark Turner au saxophone ténor, figure incontournable du jazz mondial, que l’on retrouve avec bonheur sur « Shades of rainbow ». Miki Yamanaka joue du piano et du Wurlitzer, invite son mari Jimmy Macbride à la batterie, déjà présent lors des sessions « Miki’s Mood », et un contrebassiste du nom de Tyrone Allen.

Le son d’ensemble du trio qu’a formé la pianiste avec sa nouvelle rythmique, formation qui a tourné depuis quelques années nous indique-t-elle, s’est peu à peu unifié, peaufiné, au point de devenir la marque d’une identité collective, gommant les individualités au profit d’un seul être à trois têtes pensantes. C’est la route qui a ajouté au trio celle de l’illustre saxophoniste, apportant son souffle créatif à la gestation naturelle de ce quartet, tant les idées et l’entente de set en set se mariaient. Et c’est d’ailleurs dans cette perspective que le morceau titre a été écrit, avant la tournée de ce nouveau quartet, Miki Yamanaka imaginant Mark Turner le jouer. De facture plutôt classique, le jeu de notre pianiste est pourtant d’une fraicheur et d’un dynamisme épatants, qui bannit toute poussière, et s’élève en de belles altitudes attirantes, dont les couleurs lumineuses n’ont d’égales que celles des kimonos qu’elle porte à chaque occasion, en hommage à sa culture et qui révèlent au fil des notes la poésie de ses racines, et le respect qu’elle porte à son entourage et à son public. Les musiciens, aux interventions magnifiques en tous points, l’entourent et s’envolent avec elle, à la moindre occasion.

La grâce du jeu de Miki Yamanaka s’exprime dès les notes de pochette très touchantes qu’elle nous livre pour chaque morceau. La fameuse « contrefaçon » du « Along came Betty » de Benny Golson, qui devient « That ain’t Betty » entre ses doigts, « Early Morning » qui évoque ses années d’étudiante au Queens College. Ne dévoilons pas tout ! Mais, les doigts s’activent librement sur le clavier nocturne, alors laissons les gambader et décernons quand même une mention particulière au « Song for Mary Lou » dont nous vous laissons deviner à qui il est dédié, de même qu’à trois thèmes plutôt amusants, mais bien liés comme de fines sauces en cuisine, « Gin », « Clam » et « Oatmeal », qui dévoilent l’attache de Miko à l’art et aux souvenirs culinaires, très importants au Japon, manière de rapprocher un jazz des plus pointus, ce qu’elle nous propose avec ses complices tout au long de ces huit thèmes qui surfent sur des eaux frémissantes, à la vie intime de tous les jours.

A la fois classique par sa base mais moderne par son pétillement, le jeu profond et coloré de cet étonnant quartet alimente à chaque instant un prisme des couleurs, qui projette en plein ciel bleuté un arc en ciel scintillant des envies de jazz. Chevauchons-le sans retenue !

Miki Yamanaka – Piano et Wurlitzer, compositions

Mark Turner – Saxophone ténor

Tyrone Allen – Contrebasse

Jimmy Macbride – batterie


Par Dom Imonk

Cellar Music

https://www.mikiyamanaka.com/

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